Les galeries du Minotaure et Alain Le Gaillard célèbrent les artistes hongrois attirés entre 1913 et 1932 par l’éclectisme de la galerie Der Sturm.
Paris.« Ce qui différencie le Sturm de tous les autres groupements de son époque est qu’il ne s’attache jamais durablement à aucune forme d’expression ni de style. Il n’incarne exclusivement ni l’expressionnisme, ni le futurisme, ni l’orphisme, ni le constructivisme. Ceux-ci y apparaissaient plutôt à tour de rôle ou parfois même simultanément, à l’occasion d’une exposition. » Le constat est fait par Krisztina Passuth, spécialiste de l’art hongrois, dans le catalogue qui accompagne la manifestation proposée par les galeries parisiennes Le Minotaure et Alain Le Gaillard. Cet ouvrage érudit explique l’éclectisme relatif des œuvres des artistes hongrois qui furent présentés entre 1913 et 1932 dans ce lieu mythique berlinois Der Sturm, et que l’on retrouve pour certaines ici. Inutile, en effet, de chercher une cohérence stylistique ; il est préférable de suivre les interactions entre le parcours de chacun de ces créateurs magyars, un peu à l’écart dans leur pays, et les mouvements contemporains de l’avant-garde.
Alors, Paris, Berlin, Vienne versus Budapest ? Centre et périphérie ? Sans doute, mais l’on oublie parfois, à l’ère de la mondialisation, que dès le début du XXe siècle, les nouveautés artistiques – et les artistes – circulent en Europe. Leurs trajets, toutefois, se modifient progressivement. Si pour les fauves hongrois le pèlerinage à Paris est pratiquement une obligation, à partir des années 1920, c’est l’Allemagne et surtout Berlin qui deviennent pour eux les destinations principales.
Dans cette autre capitale de l’Europe, un homme fait et défait la notoriété des nouvelles tendances plastiques : Herwarth Walden. Homme-orchestre – tout en restant soliste, car il décide de tout –, Walden est le fondateur en 1910 de la célèbre revue Der Sturm et, deux ans plus tard, d’une galerie qui porte le même nom. Si les destins des artistes au début de la modernité sont intimement liés à leurs rapports à certains groupes phares – Blaue Reiter, Brücke, De Stijl –, rares sont les lieux de monstration susceptibles de jouir d’un prestige suffisant pour permettre à leurs « protégés » d’accéder au panthéon de la gloire. Ce n’est pas une simple coïncidence si, en 2016, la Schirn Kunsthalle de Francfort, a réuni les femmes qui ont participé aux expositions de la galerie Der Sturm. Les artistes choisis par Walden correspondent à la fois à son goût esthétique, mais aussi à une stratégie commerciale qui se veut internationale et ouverte. L’œuvre d’Alfred Reth, dont les toiles se situent entre cubisme et expressionnisme – Chevaux et personnages, 1908-1909 –, montre que le galeriste a compris que « même si ses centres d’intérêt tournent autour de l’expressionnisme et du futurisme… on ne peut pas mépriser trop facilement la référence parisienne » (Maria Tyl). D’ailleurs, cette importance du cubisme, né en France, fait que l’on décèle chez la plupart des peintres exposés ici une certaine géométrisation des formes.
La première rencontre de Walden avec l’art hongrois se fait à l’occasion de l’exposition itinérante du groupe du Blaue Reiter (Le Cavalier bleu) à la Maison des artistes de Budapest (1913). Puis, même pendant la guerre, les contacts continuent grâce la revue MA (en 1916, qui signifie en français « aujourd’hui »). Son rédacteur, Lajos Kassak, peintre lui-même, s’inscrit clairement dans la mouvance constructiviste avec des toiles abstraites, comme Bildarchitektur (1922) réduite à un strict minimalisme de formes géométriques, ou encore avec des projets pour l’architecture, qui évoquent des « Prouns » (« projets pour l’affirmation du nouveau ») d’El Lissitzky, à savoir des volumes dessinés en axonométrie. El Lissitzky, que Walden ne réussit pas à faire entrer à la galerie, de même qu’il échoue quelques années plus tôt, malgré de grands efforts, à « enrôler » Picasso. Tout laisse à penser que parfois l’appel aux peintres hongrois vient pour combler le défaut d’autres artistes reconnus internationalement. Ce n’est pas le cas, bien évidemment, avec Laszlo Moholy-Nagy, l’un des constructivistes majeurs, dont les splendides œuvres Composition G4, 1926 et Sans Titre, 1923, sont des surfaces parsemées d’une constellation de bandes obliques et de cercles qui semblent flotter dans un espace infini.
L’importance du constructivisme n’est pas sans rapport avec la fascination développée par Walden dans les années 1920 pour l’idéologie artistique qui se développe en Union soviétique. On suit ici clairement ce changement quand on compare les travaux mentionnés à ceux d’un expressionnisme semi-abstrait de Janos Mattis Teutsch. Ainsi, Nu bleu dans un paysage (1919), avec sa composition dynamique et sa richesse chromatique étonnante est proche de la spiritualité lyrique de Wassily Kandinsky ou de Franz Marc.
Il est impossible de mentionner les nombreux artistes hongrois qui ont participé à l’aventure berlinoise et dont quelques-uns sont exposés à Paris. Mentionnons au passage le style plus naïf de Béla Kádár, les accents futuristes de Hugo Scheiber ou encore l’introduction de la typographie chez Lajos Ebenth. La qualité de cet ensemble justifie la remarque de Paul Klee au sujet de Walden : « Il avait du nez. »
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L’aventure berlinoise de l’avant-garde hongroise
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : L’aventure berlinoise de l’avant-garde hongroise