Personne ne s’est étonné de la désertion des acheteurs américains dans les ventes impressionniste et moderne des 3 et 4 février à Londres. Un climat morose, la santé médiocre de l’économie allemande et des œuvres de qualité moyenne aux estimations trop optimistes ont eu raison des ventes d’art allemand et autrichien. Seul le surréalisme a tiré son épingle du jeu.
LONDRES - Les préparatifs de la guerre contre l’Irak, le choc de l’explosion de la navette spatiale Columbia et le dollar en baisse : résultat, les ventes d’art impressionniste et moderne de février chez Christie’s et Sotheby’s ont souffert de l’absence des Américains, peinant déjà à obtenir des lots de qualité. Christie’s a proposé 104 lots lors de trois sessions distinctes, tandis que Sotheby’s avait regroupé les 55 lots en un seul catalogue. La sélectivité était le maître mot : si quelques œuvres se sont démarquées de leurs estimations, peu ont trouvé grâce aux yeux des acheteurs.
L’ambiance était maussade. Chez Christie’s, la star de la vente avait déjà été proposée deux fois en dix ans. Femme dans un fauteuil (1932) de Pablo Picasso a atteint son estimation basse à 4,4 millions de livres sterling (6,65 millions d’euros). Le vendeur, la compagnie d’assurance Israel Phoenix, souhaitait poursuivre la dispersion de sa collection d’entreprise (lire le JdA n° 160, 6 déc. 2002). Son ancien dirigeant, Joseph Hackmey, est lui-même reparti avec les Canotiers à Argenteuil, d’Auguste Renoir, un grand classique impressionniste, vendu 2,64 millions de livres (4 millions d’euros ; est. 2,5 à 3,5 millions de livres), et Poireaux, crâne et pichet, de Pablo Picasso, qu’il avait acquis pour Israel Phoenix à la vente Smooke chez Phillips de Pury en 2001. À l’époque, il l’avait payé 2,6 millions de dollars (2,43 millions d’euros) ; cette fois, il a dû en débourser 2,8. Christie’s avait beaucoup misé sur la délicieuse Scène de plage (1865) d’Eugène Boudin. Même un nouveau record pour l’artiste (996 650 livres, 1,503 million d’euros au bénéfice d’un acheteur européen) n’efface pas une estimation de 1 à 1,5 million de livres bien trop optimiste. Le marché est aujourd’hui sans pitié. En témoignent les laissés-pour-compte tel un bon dessin de Vincent van Gogh – certes, un cimetière – et un tableau fauve de Maurice Vlaminck, qui était presque trop “joli” avec ses bateaux à voile. Avec une recette totale de 18,385 millions de livres (27,8 millions d’euros), Christie’s est bien loin des 28 à 39 millions de livres escomptés. 18 œuvres sur 37 sont restées invendues et seuls trois lots ont dépassé leur estimation.
Lors de la soirée suivante, chez Sotheby’s, l’auctioneer Guy Jennings a redoublé d’effort afin de susciter l’intérêt pour une sélection de qualité inégale. Il a néanmoins proposé le plus beau tableau de Pierre Bonnard sur le marché depuis des années. Le marchand William Acquavella et deux enchérisseurs au téléphone se sont disputé La Porte-fenêtre, qui faisait la couverture du catalogue, qui est parti à 4,26 millions de livres (6,43 millions d’euros, est. 2 à 3 millions de livres). Richard Green s’est offert un superbe Camille Corot tardif, Rêveuse à la fontaine, pour 991 200 livres (1,5 million d’euros, estimation 500 à 700 000 livres). La vente a totalisé 16,3 millions de livres (24,6 millions d’euros), un peu plus de la moitié des 23 à 32 millions de livres espérés.
Art allemand et autrichien
Il semble que l’art allemand et autrichien s’essouffle, les espérances des vendeurs étant trop élevées et les œuvres de qualité trop rares. En sus de l’économie allemande en souffrance, les invendus se sont fait la part belle aux côtés de quelques bons prix. Christie’s a proposé la sélection la plus intéressante et a établi de fait quatre nouveaux records : Der Blaue Mäher (1914) de Heinrich Campendonk (1,1 million de livres, 1,6 million d’euros ; est. 500 à 700 000 livres), Heimweg (1921) de Conrad Felixmüller (567 650 livres, 856 600 euros, est. 400 000 à 600 000 livres) Liegender wieblicher Akt (1905-06) de Paula Modersohn-Becker (226 650 livres, 342 017 euros ; est. 200 000 à 300 000 livres) et une aquarelle de Georg Grosz, Quer durch Berlin N (1919) (303 212 livres, 458 212 euros ; est. 100 000 à 150 000 livres). Toutes ces œuvres étaient issues des meilleures périodes des artistes. Il est ainsi surprenant que le bon Papageienmann de Max Liebermann n’ait pas trouvé preneur. L’estimation de 700 000 à 1 million de livres était trop optimiste pour le Sommer (1910) de Max Pechstein qui a rapporté 776 650 livres (1 172 000 euros). D’une manière générale, les enchères sont retombées lors de la mise en vente des œuvres expressionnistes classiques. Le Bauhaus s’est mal vendu et les quatre Kandinsky, à la surprise générale, sont restés invendus ; Entwurf zu Grüner Rand (1919) mis en vente par Israel Phoenix a toutefois trouvé acquéreur après la vacation. Chez Sotheby’s, rien ne pouvait aller plus mal. Personne n’a voulu des dix œuvres “propriété d’un collectionneur européen” qui incluaient tous les artistes importants de Die Brücke – Erich Heckel, Ernst Ludwig Kirchner, Karl Schmidt-Rottluff, Otto Mueller, Émil Nolde et Max Pechstein. Mais, ces œuvres étant de second niveau, les prix demandés étaient exagérés.
Surréalisme
Enfin, Christie’s a été soulagée en réussisant à vendre près de 80 % de ses lots. Les Barricades mystérieuses (1961), de René Magritte, ont rapporté 2,09 millions de livres (3,15 millions d’euros ; est. 1,6 à 2,2 millions d’euros), et Max Ernst a établi un nouveau record avec Épiphanie (1940), vendue 996 650 livres (1 503 106 euros ; est. 900 000 à 1,2 million de livres). Chez Sotheby’s, la section surréaliste a déçu, excepté l’insolite Jeune vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté de Salvador Dalí, ancienne propriété de la collection Playboy, vendue 1,3 million de livres (1,96 million d’euros).
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L’art moderne avec peine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : L’art moderne avec peine