Les cinq-étoiles voient dans l’art, surtout contemporain, un moyen de se démarquer. Tour du monde des propositions plus ou moins originales en la matière.
Un hôtel n’est pas un hôtel des ventes. Pourtant, le monde du luxe se sert de l’art comme tremplin vers une clientèle sans cesse renouvelée. Certaines enseignes s’y jettent à corps perdu sans prendre le temps de la réflexion. À l’inverse, le « Drawing Hôtel » prend racine dans le dessin contemporain [lire l’encadré ci-dessous]. Cet établissement, qui verra le jour d’ici à la fin de l’année, sera relié à un centre d’art privé, le « Drawing Lab Paris, » soit l’équivalent du Drawing Center de New York ou de la Drawing Room de Londres. D’un point de vue administratif, les deux entités sont distinctes. Toutes deux coexisteront néanmoins dans un même immeuble et partageront une programmation définie par des spécialistes. L’art, placé au cœur de ce projet atypique, n’a ici, exception à la règle, rien d’une cerise sur le gâteau.
L’art comme un décor
De manière générale, la présence d’œuvres d’art dans les hôtels trahit une forme de coquetterie. Qu’il s’agisse de croûtes ou de chefs-d’œuvre, ces pièces ont a priori une fonction décorative. Si la direction du Royal Monceau (Paris-8e) se targue d’en avoir accroché « du lobby au spa, en passant par les chambres », c’est bien pour signifier son intention d’être « présentable ».
Ancré dans le quartier des musées d’Amsterdam, le Conservatorium Hotel a choisi de promouvoir des artistes locaux, souvent méconnus du public international. Leurs travaux tendent cependant davantage vers le design fonctionnel que vers la sculpture. D’autres établissements mettent des noms plus cotés en avant. Fier de son Cindy Sherman, l’Hôtel du Collectionneur (Paris-8e) l’a accroché en évidence dans son hall d’entrée.
Une sélection, parce qu’elle est subjective, transmet un message. Loin de souscrire à « l’art pour l’art », les hôtels s’appuient sur leur « déco » pour tenter de se forger une réputation d’esthète. L’accrochage d’un établissement est censé en illustrer la philosophie. En mêlant classique et contemporain, le George V (Paris-8e) entend affirmer son ouverture d’esprit. Le groupe se distingue par son soutien, au travers de son site de ventes aux enchères au street art. De son côté, l’Hôtel du Collectionneur joue la carte « Art déco ». La présence dans l’établissement d’une dizaine de pièces mobilières signées de Jacques Émile Ruhlmann, des frères Martel ou d’Edgar Brandt contribue à forger une identité esthétique haut de gamme. Selon sa valeur, l’art apparaît donc comme un gage de qualité, un indice de luxe.
Place aux experts
Pour s’assurer que leurs collections sont à la mesure de leurs ambitions, certains hôtels se tournent vers des experts. Le Park Hyatt de Chicago a confié à Staci Boris, ex-conservatrice au Chicago’s Museum of Contemporary Art, le soin d’établir un parcours artistique de goût entre ses murs. Mais seuls un tableau de Sigmar Polke et des photos urbaines ont été mis en avant. À Lausanne, en Suisse, le Beau-Rivage accueille ponctuellement, dans le couloir qui mène au bar du rez-de-chaussée, les expositions temporaires de son voisin, le Musée de l’Élysée. Là encore, c’est la photographie qui est à l’honneur. S’agissant du Royal Monceau, il a créé le poste d’« art concierge », destiné à une personne capable d’offrir à sa clientèle des programmes artistiques personnalisés. Julie Eugène, qui a travaillé à la galerie Patricia Dorfman, tient actuellement ce rôle de conseillère et médiatrice. Si l’art ne vient pas au client, le client ira à l’art, sur les conseils de spécialistes plus ou moins (re)connus.
La plupart des collections d'hôtels sont pourtant soit trop modestes, soit trop jeunes pour se mesurer au prestige acquis ou requis par un cinq-étoiles. C’est pourquoi certaines enseignes s’associent avec des musées ou des galeries, afin de rendre crédible leur intérêt pour un domaine dit « de niche ». En 2013, la Fiac [Foire international d’art contemporain] Hors les murs s’invitait à l’Hôtel du Collectionneur. Cette année, l’établissement s’associe avec l’Opera Gallery, un réseau de douze galeries disséminées à travers le monde. Le parcours proposé incluera Valay Shende, Mauro Corda, Young Deok Seo et David Mach. Au Conservatorium, un catalogue d’exposition du Musée Van-Gogh est à disposition dans chacune des chambres.
Des pseudo-galeries
Dans le monde du luxe contemporain, l’expérience précède l’essence. Sur le modèle de l’art total, les palaces aspirent à fondre plusieurs domaines d’activité en un. Conformément à cette logique dite « expérientielle », aucun client ne devrait avoir envie ou besoin de s’aventurer à l’extérieur. De là, l’ouverture d’espaces exclusivement dévolus à l’art au sein de quelques hôtels. L’Art District du Royal Monceau accueille des expositions en tous genres, rétrospectives, productions in situ... Le W Amsterdam vient tout juste d’inaugurer, dans son sous-sol, sa galerie d’art contemporain. Dans la capitale des Pays-Bas toujours, le Sofitel Legend The Grand organise régulièrement des expositions d'artistes internationaux en ses murs.
Quel profit pour ces pseudo-galeries ? « Nous ne sommes pas galeristes mais plutôt médiateurs. Nous reprenons, tous les deux mois, des expositions de photos déjà produites, par différentes galeries. Nous ne touchons pas de commission sur les ventes », explique Geoffroy Sciard, de l’hôtel Jules & Jim (Paris-3e). A contrario, le George V reverse, pour chaque achat sur son site, « une partie » de ses revenus à l’association Merci la France, afin de financer un atelier d’art-thérapie pour enfants. En 2014, le Clarion de Stockholm (Suède) lançait « Room for Art », programme qui permet aux artistes d’échanger une nuit contre une œuvre d’art (« de format A4 »). Enfin, le groupe Four Seasons pousse le genre encore plus loin. Des audioguides sont distribués à la réception de son hôtel de San Francisco. Les cinq-étoiles risquent bientôt de se prendre pour des musées.
Le Drawing Hôtel n’est pas un lieu « arty », mais un hôtel placé sous le signe de l’art. Il ouvrira ses portes aux alentours de la fin de l’année 2016, au 17, rue de Richelieu (Paris—1er-2e). Son emplacement à deux pas du Louvre et des Arts décoratifs coïncide avec sa vocation de contribuer à la promotion et à la diffusion du dessin contemporain en France et dans le monde. De là sa filiation avec le « Drawing Lab », un centre d’art privé qui verra le jour au sous-sol du même immeuble. On doit ce projet à Carine Tissot et à sa mère Christine Phal, respectivement directrice et présidente du salon Drawing Now Paris. Si la première va gérer les quarante-huit chambres réparties sur cinq étages aux inspirations très différentes, la seconde assume la responsabilité du niveau inférieur. Le programme d’expositions de cet espace underground (d’une surface de 150 m2) sera défini par un comité de sélection composé de la commissaire d’exposition Daria de Beauvais (Palais de Tokyo) et des conservateurs Agnès Callu (Musée des arts déco) et Marc Donnadieu (LaM, Lille Métropole), ainsi que de Sandra Hegedüs Mulliez, collectionneuse et fondatrice de SAM Art Projects, et Philippe Piguet, directeur artistique de Drawing Now et critique d’art [collaborateur au magazine L’Œil]. Le quintette en question n’aura pas son mot à dire quant aux accrochages, permanents, de l’hôtel. Chaque couloir sera le fruit d’une carte blanche donnée à un artiste (cinq en tout), dont l’identité sera divulguée à l’approche du lancement. Exit, enfin, les croquis encadrés aux murs, pratique courante dans les cinq-étoiles qui voient l’art comme un pur objet de décoration. Ce sera aux architectes d’intégrer « des gestes graphiques » à leur travail. Ainsi, il faudra entrer dans le Drawing Hôtel comme on entre dans une œuvre d’art à part entière. S. B.
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L’art, alibi des hôtels de luxe
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : L’art, alibi des hôtels de luxe