Faïence

La majolique italienne en bonne forme

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 15 février 2017 - 1058 mots

Pareille vente n’avait pas eu lieu depuis cinquante ans. La dispersion de la collection Guerlain, très attendue et médiatisée, a remporté tous les suffrages, et réalisé plusieurs records mondiaux.

PARIS - C’était l’événement de ce début d’année dans le monde très fermé de la majolique. Vente en « gants blancs » – 100 % des lots ont été vendus – orchestrée par Beaussant-Lefèvre, l’« Ensemble exceptionnel de majoliques provenant de la succession de Mme Jean-Pierre Guerlain » a totalisé 1,1 million d’euros frais compris en seulement 29 lots (estimation 400 000-500 000 euros) le 31 janvier à Drouot. « Cette vente a été un succès pour plusieurs raisons. Le nom de “Guerlain” a donné un véritable coup de projecteur et la qualité des pièces a fait le reste. De ce point de vue, cette collection était du même niveau que la collection Adda dispersée en 1965 », commentait Michel Vandermeersch, expert de la vente. La dispersion de la collection Fernand Adda, grand négociant en textile, au Palais-Garnier en décembre 1965, est la dernière grande vente dans la catégorie. « Probablement la plus importante dispersion d’une collection privée en France au XXe siècle », souligne Pierre-Richard Royer, expert. Constituée entre 1923 et 1960 sur les conseils du plus grand marchand de l’époque, Alfred Spero, établi à Londres, la collection Adda comprenait entre autres pièces 200 majoliques italiennes. La vacation avait récolté entre 2 et 3 millions d’anciens francs, soit un gros prix à l’époque, et enregistré plusieurs records du monde.

Le terme de « majolique » désigne les faïences italiennes créées au XVe siècle et fabriquées jusqu’au XVIIe. Facilement identifiables, elles se caractérisent par un décor polychrome lumineux posé sur un émail blanc stannifère. Souvent à sujets bibliques ou mythologiques, ces céramiques – plats et albarelli (pots à pharmacie) pour l’essentiel – s’apparentent parfois à de véritables tableaux. Pour certains, le mot « majolique » vient de Majorque, car c’est par là que transitaient les pièces hispano-mauresques en provenance de la péninsule ibérique. Pour d’autres, il a pour origine la ville de Malaga, en Espagne toujours.

Plusieurs centres de création rivalisaient entre eux. Dès le début du XVe siècle, la Toscane, ses villes situées surtout autour de Florence, comme Montelupo [Montelupo Fiorentino], Cafaggiolo ou encore Sienne, mais aussi Deruta en Ombrie, sont des lieux de production très actifs. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, la région de Faenza entre dans la danse. Au XVIe siècle, Urbino et Castel Durante dans les Marches prennent le relais.

Évolution du marché
« À la fin du XIXe siècle et début du XXe, le marché était très fort, mais il a connu un coup d’arrêt avec la crise financière de 1929 », explique Pierre-Richard Royer. De belles collections ont malgré tout été dispersées dans les années 1930, notamment chez Sotheby’s Londres, à l’instar des collections Glogowski (1932), Charles Damiron (1936) ou encore Pringsheim (1939), mais les prix étaient très bas, signe d’un marché moribond. Les périodes de guerre et d’après guerre n’inversent pas la tendance, en dépit de l’importance de certaines ventes comme celle de Whitney Warren à New York en 1943 où les pièces « Orsini Colonna », des majoliques réalisées entre 1500 et 1530 à Castelli et provenant de l’Apothicairerie appelée « Orsini Colonna » (très recherchées car identifiées), pas moins de 12, se négocient entre 200 et 300 dollars. Mais les prix les plus spectaculairement bas sont ceux de la vente Berney à Londres (Sotheby’s, 1946). Un plat de Gubbio daté de 1526, adjugé alors 350 livres à Spero, a atteint 430 000 euros à Florence en 2014 !

En quête de décor historié
Si la vente Adda va mettre fin à des années de stagnation, il s’en suivra un léger tassement. Inondé, le marché a peiné à tout absorber, d’autant plus que Cyril Humphris, le successeur de Spero, avait acquis lors de la vente Adda un tiers des céramiques italiennes pour organiser une exposition-vente à Londres en 1967. Dans les années 1980, sous l’impulsion du marché italien, les prix remontent avant de connaître un nouveau ralentissement à la décennie suivante. En cause, la guerre au Moyen-Orient et l’opération « mains propres » en Italie.

Au cours des vingt dernières années, les collectionneurs cherchent des pièces à décor historié pouvant être attribuées à des potiers. Les chercheurs John Mallet et Timothy Wilson ont ainsi réussi à rassembler des pièces par style ou famille et à leur attribuer des noms, tels Nicola da Urbino ou Xanto Avelli. Le prix record revient d’ailleurs à un plat daté autour de 1525 et attribué à l’atelier de Nicola da Urbino (adjugé 1,2 million d’euros chez Christie’s Paris en 2009). À décor historié en plein, il provient du service d’Isabelle d’Este (1474-1539). Aujourd’hui, une très belle pièce de cet artiste pourrait, en raison de sa rareté, aisément atteindre les 2 millions.

La vente Guerlain ne comportait pas de telles pièces. L’adjudication la plus élevée concerne une grande coupe de Castel Durante ou d’Urbino, vers 1530, à décor d’un buste de femme de face dit « bella » pour 136 250 euros (est. 30 000-40 000 €). Une autre Bella, du même centre de fabrication et datée de 1531, s’est vendue 135 000 euros (est. 20 000-25 000 €). Ce sont les majoliques de Castel Durante et d’Urbino, quel que soit le décor, qui ont le plus séduit les acheteurs. Elles ont toutes dépassé leurs prix habituels – autour de 60 000 euros – pour atteindre un nouveau palier, entre 90 000 et 137 000 euros. De même, les pièces à décor historié de Pessaro et d’Urbino ont été plébiscitées. « Les pièces les plus rares, celles du XVe siècle, se sont vendues moins facilement que les pièces du début du XVIe, une période esthétiquement plus facile à comprendre. D’ailleurs, les acheteurs des faïences les plus anciennes sont des connaisseurs très pointus italiens et anglais », a souligné Michel Vandermeersch.

La place de Paris
Le marché reste donc stable. « C’est une période favorable pour débuter une collection », indique Pierre-Richard Royer. On peut trouver des pièces correctes pour 2 000 à 3 000 euros. Pour une belle pièce, bien conservée, il faudra débourser 12 000 à 25 000 euros. « Entre 80 000 et 120 000 euros, c’est un chef-d’œuvre, mais une pièce du service d’Isabelle d’Este, c’est le rêve ! »
Paris reste la place numéro un, bien qu’il existe un marché à Londres, contrairement aux États-Unis. L’Italie ne connaît pas non plus beaucoup d’activité. Quant aux collectionneurs, s’il reste encore quelques Italiens, la plupart sont anglais et allemands, auxquels s’ajoute une poignée de Français. À l’issue de la vente, les quelques faïences primitives françaises, notamment de Montpellier, sont restées dans la limite de leurs estimations, voire en dessous. « Cela n’intéresse que les Français ! », s’exclamait Michèle Vandermeersch.

(1) Les résultats sont indiqués frais compris, les estimations, hors frais acheteur.

Légendes photos

Coupe ronde à petit piédouche, décor polychrome en plein sur fond bleu d'un buste de femme dit «Bella» parée d'une veste et d'une coiffe à motifs rayés, Castel Durante ou duché d'Urbino, 1531, diamètre : 21,5 cm. © SVV Beaussant-Lefevre, Paris.

Grande coupe ronde à petit piédouche, décor polychrome en plein sur fond bleu d'un buste de femme de face dit «Bella» habillée d'un corsage jaune et coiffée de tresses descendant sur son cou, Castel Durante ou duché d'Urbino, vers 1530, diamètre : 24,5 cm. © SVV Beaussant-Lefevre, Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : La majolique italienne en bonne forme

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