Les modifications intervenues sur la taxe forfaitaire et l’abattement sur le revenu des jeunes artistes précise les traits d’un dispositif désormais ouvert aux échanges internationaux et à la création contemporaine.
Le 4 août, l’administration a publié l’instruction concernant les aménagements de la taxe forfaitaire. Le 26 octobre, elle commentait le dispositif concernant l’abattement sur les revenus des jeunes artistes.
Ces avancées fiscales, adoptées en décembre 2005 dans le cadre de la loi de finances, étaient déjà connues. Mais, dans le domaine très technique de la fiscalité, les instructions administratives constituent la mise en vigueur pratique des intentions du législateur, et parfois les limites que le fisc entend mettre aux largesses supposées des parlementaires. Ces instructions présentent aussi l’avantage de rendre compréhensibles des textes législatifs qui, de renvoi en référence à l’intérieur du code général des impôts (CGI) et de ses annexes réglementaires, deviennent pratiquement illisibles. Les dernières instructions sont de parfaits catalogues fiscaux raisonnés.
Plus claire pour les non-résidents
L’imposition sur les plus-values est clarifiée. Si le principe d’exonération était inscrit dans le dispositif de la taxe forfaitaire, qui n’est qu’une modalité de l’imposition sur le revenu, le dispositif aboutissait parfois à imposer les non-résidents, en particulier pour leurs achats effectués en dehors des ventes aux enchères. La circulaire rend très apparente l’exonération pour l’ensemble des opérations des non-résidents puisque son introduction mentionne, parmi les « principales nouveautés », que sont exonérées les « ventes privées de bijoux et d’objets d’art, de collection ou d’antiquité réalisées en France par des personnes qui n’y ont pas leur domicile fiscal » (les « objets d’art » visés incluent les œuvres d’art, tableaux, sculptures…).
Désormais, le mode d’acquisition, aux enchères ou de gré à gré auprès d’un marchand ou d’un particulier, est sans incidence. L’exonération de taxe forfaitaire à la revente ou à l’exportation nécessite simplement la preuve d’une importation régulière préalable ou d’une acquisition en France. Cette preuve peut résulter de documents douaniers, mais également d’une facture d’un professionnel français ou européen, ou encore d’une attestation de vente d’un particulier sans qu’il soit besoin « de justifier que l’acquisition en France a donné lieu au paiement de la taxe », ou enfin d’une preuve de succession ou de donation pour les acquisitions à titre gratuit. Quant à la preuve de la qualité de non-résident, une déclaration sur l’honneur accompagnée de la photocopie d’une pièce d’identité suffit.
La circulaire rappelle utilement que les expéditions vers un autre État membre de l’Union européenne (UE) ne constituent pas des exportations.
La consultation des documents déclaratifs exprime ce souci de clarté, puisque le formulaire de déclaration (1) mentionne l’exonération « sous certaines conditions », le document explicatif précisant nettement que « sont exonérées les cessions ou les exportations lorsque le cédant n’a pas son domicile fiscal en France ». Les formulaire et document explicatif établis en 2005 n’évoquaient même pas l’hypothèse de cessions ou d’exportations par des non-résidents…
Les acheteurs étrangers, dès lors qu’ils disposent d’un document prouvant l’importation ou l’achat ou l’acquisition à titre gratuit en France ou dans l’UE, n’ont donc plus à s’inquiéter d’une taxation en France, qu’ils y vendent des objets ou décident de les exporter. Pas plus d’ailleurs – il faut le rappeler – que les étrangers n’ont à s’inquiéter de la TVA à l’importation s’ils achètent un bien en France ; cependant, ils doivent, aussitôt après son achat, réexporter le bien vers leur pays. Ce qui préexistait sans être tout à fait bien compris.
Plus simple pour les professionnels
Pour les professionnels, la circulaire rappelle tout d’abord que leurs ventes sont hors du champ de la taxe forfaitaire puisque soumises à l’impôt sur le revenu (bénéfices commerciaux) ou à l’impôt sur les sociétés. Elle exprime ensuite nettement que, depuis le 1er janvier 2006, « l’acquéreur est déchargé de toute responsabilité ». Auparavant, si l’impôt était en principe dû par le particulier vendeur, c’était l’acheteur professionnel qui était chargé de la collecte, de sorte que l’impôt devenait le plus souvent un coût additionnel pour lui, tant il lui était malaisé de parler impôt en pleine négociation avec le vendeur. Le texte précise aussi à propos des obligations déclaratives, que « l’acquéreur est dégagé de toute formalité ».
Désormais, seuls les intermédiaires – essentiellement les sociétés de ventes volontaires aux enchères, mais également les dépôts-vente et courtiers – restent comptables de l’impôt. Toutefois, pour les « confiés », c’est-à-dire les dépôts en vue de vente, la responsabilité des marchands subsiste. Mais cette situation, sans changement notable, est relativement plus aisée pour eux, car leur réquisition de vente ou contrat de dépôt-vente peut les autoriser à récupérer les taxes sur le prix d’achat ou d’adjudication nette. Et, dans le cas d’une vente par des non-résidents, ou d’objets détenus depuis plus de douze ans par les vendeurs ou acquis par succession, les nouvelles simplifications leur faciliteront l’exonération.
Plus attractive pour les collectionneurs
Les dispositions les plus intéressantes mettent en application l’option pour le droit commun en matière de plus-values. En effet, depuis janvier 2005, le régime de taxation des plus-values sur biens meubles a été très favorablement remanié. Tout d’abord en créant une taxation à taux unique (26 % des plus-values) ; auparavant, le calcul de l’assiette était complexe (il associait un coefficient d’érosion monétaire et un abattement de cinq ans par année de détention), et celui de l’impôt dépendait du taux marginal d’imposition sur le revenu du vendeur. Ensuite en portant à 10 % par an, après deux ans de détention, l’abattement sur les plus-values, ce qui l’annule complètement après douze ans et rend évidente l’option pour le régime de droit commun, l’impôt dû étant nul.
Toutefois, le bénéfice effectif de ces améliorations butait sur les preuves exigées par l’administration pour accepter l’option. Elle n’admettait pas les factures des particuliers, des professionnels non établis en France, et ne prenait en compte les donations ou successions que si le bien y figurait en clair et assorti d’une valeur. En ce qui concerne les biens détenus depuis plus de douze ans et dont la plus-value réelle était nulle par le jeu de l’abattement annuel, le fisc n’avait pas clarifié sa position quant à l’admission des documents prouvant la durée de détention sans mention du prix d’achat ou de la valeur de succession.
La circulaire précise que l’option est possible « si le contribuable est en mesure d’établir de manière probante la date et le prix d’acquisition de l’objet ou de justifier que le bien est détenu depuis plus de douze ans ».
Parmi les documents probants en matière de prix, l’instruction mentionne les reçus ou factures délivrés par des particuliers. À propos des biens acquis par succession, elle maintient les exigences antérieures (déclaration de succession identifiant et valorisant le bien), mais indique l’utilisation possible de la disposition du CGI (art. 764-I-1o). Celle-ci fixe d’office comme valeur de succession le prix d’adjudication des objets vendus aux enchères dans les deux ans, en précisant que le vendeur peut mentionner cet article dans sa déclaration d’option. Ceci le dispense de fait de produire une succession valorisée et réduit en même temps la plus-value à zéro (la valeur de succession étant égale au prix d’adjudication) ; une manière élégante – sinon motivante – d’intéresser les héritiers à la vérité financière de la déclaration de succession. L’option ne peut cependant être exercée si la déclaration de succession n’a pas encore été déposée, sauf à préciser la date du décès et l’identité du défunt.
Concernant la durée de détention, la compréhension administrative s’affiche, puisque sont notamment acceptés catalogues d’art, inventaire d’huissier, contrats d’assurance. Seuls sont expressément exclus les « témoignages » (c’est-à-dire les attestations). La bienveillance va jusqu’à prévoir des palliatifs aux déclarations de succession muettes (l’instruction cite le cas « d’application du forfait mobilier ou d’estimation conjointe avec d’autres objets »), en précisant qu’elles peuvent être complétées par « la facture du bien adressée au défunt ou une lettre de celui-ci mentionnant avec suffisamment de précisions le bien en cause ». Même les lingots ou diamants pourraient être pris en compte sous certaines conditions (« numérotation, gravure personnalisée, emballage scellé identifiable, objet inscrit au crédit d’un compte de dépôt ouvert auprès d’un établissement financier »). Presque un rêve, mais il faut mettre cette dernière largesse administrative en regard des actifs concernés, propices à l’évasion successorale.
Le texte signale aussi que l’exonération de la taxe s’applique aux cessions à des musées, bibliothèques et services d’archives, confirmant au passage que peuvent être concernés les musées privés dès lors qu’ils ont obtenu le label « Musée de France » créé par la loi musée de 2002, ainsi que les organismes privés, lorsque les archives qu’ils gèrent ont été classées. Manière sans doute de montrer que Bercy encourage les efforts des conservateurs pour attirer les collectionneurs.
Plus incitative pour les artistes français et étrangers
L’instruction du 4 août rappelle utilement que les ventes de leurs œuvres par les artistes ne sont pas soumises à la taxe forfaitaire, car elles sont des revenus inscrits en bénéfices non commerciaux et non des plus-values. À noter toutefois que l’artiste collectionneur qui achète des œuvres d’autres artistes ou rachète ses propres pièces en vue de revente peut être assimilé à un particulier ou collectionneur et soumis à la taxe dans les conditions du droit commun. Toutefois, ces mêmes opérations réalisées par un artiste non-résident en France sont exonérées.
Le texte du 26 octobre met en musique l’abattement de 50 % sur les revenus des plasticiens pendant leurs cinq premières années d’activité, à compter du 1er janvier 2006 (art. 93-9 du CGI).
Il constitue un rappel exhaustif des critères de l’administration fiscale et permet donc aux plasticiens, mais aussi à leurs mentors, de qualifier précisément leur situation. Qui sont les auteurs ? Quelles sont les « œuvres d’art de la création plastique » ? Comment s’apprécie la date de création d’activité ? Quels sont les revenus concernés par l’abattement ? Quid des prix et aides à la création ? des produits reversés par les sociétés d’auteurs ? Quelles sont les exclusions ? L’instruction a réponse à tout ou presque tout et les définitions sont nettes, sauf peut-être sur le critère de début d’activité, où des difficultés sont à craindre, tant les conditions d’entrée en « arts plastiques » sont variées.
La partie la plus significative du texte concerne probablement l’ouverture franche aux plasticiens étrangers. L’instruction s’étend au cas des « artistes résidant ou ayant résidé hors de France » pour préciser d’emblée que « la circonstance qu’un artiste plasticien ait exercé son activité à l’étranger durant plusieurs années ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse bénéficier de l’abattement à l’occasion de sa première installation en France pour exercer son activité ». Il est donc clair qu’un artiste confirmé s’installant en France peut bénéficier de l’abattement. L’abattement étant limité à 50 % des revenus et plafonné à 50 000 euros par an, il ne fera pas venir les vedettes. N’importe, l’ouverture est réelle et le libellé ne fait pas apparaître de chausse-trappes.
Si l’on ajoute à ce constat l’inclusion dans les œuvres concernées des œuvres audiovisuelles, nouvelle catégorie attendue par les professionnels, on peut apprécier la cohérence incitative de l’ensemble.
La fiscalité en France, c’est presque le paradis…, comme un avant-goût de Monaco. Ce qui est dommage pour les Monégasques, qui appliquent la taxe forfaitaire sur les métaux précieux mais pas sur les objets d’art, c’est que la circulaire précise que « la réforme de la taxe forfaitaire opérée par la loi de finances 2005 n’a apporté aucune modification au régime antérieur qui continue donc de s’appliquer dans les mêmes conditions ».
Pauvre Principauté.
(1) 2091-Cerfa 11294*07.
(Instructions fiscales 8 M-2-06, BOI no 131 du 4 août 2006 et 5 G-2-06, BOI no 175 du 26 octobre 2006)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°249 du 15 décembre 2006, avec le titre suivant : La France plus désirable