Déjouant les perspectives les plus sombres, la dernière édition d’Art Basel a fait fi de la crise financière, à la faveur d’œuvres de qualité et de ventes soutenues. Les marchands qui ont pris des risques ont vu leurs efforts récompensés. Et si le secteur « Art Limited » a manqué d’audace, les foires off ont tiré leur épingle du jeu.
BALE - Malgré la croix en bois monumentale de Valentin Carron dressée à l’entrée de la Foire de Bâle, la dernière édition a déjoué les perspectives les plus sombres. Si l’humeur n’était pas à la kermesse, elle n’était certainement pas à l’enterrement. Faisant fi de la crise, les marchands avaient joué le jeu, proposant des stands souvent remarquables, comme celui, intelligemment scandé, de gb agency (Paris), les face-à-face singuliers d’Eugène Leroy et Patrick Faigenbaum chez Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles) ou de Charlotte Posenenske et Peter Roher chez Mehdi Chouakri (Berlin). La palme revenait à Andrea Rosen (New York), dont l’accrochage qualité musée était finement articulé autour de tableaux de Robert Ryman, dont un surprenant spécimen mauve ancien, de Kudo et David Altmejd. Au rez-de-chaussée moderne, on ne savait où donner de la tête, entre les Donald Judd des années 1960-1970 chez Elvira Gonzalez (Madrid) ou la sublime toile percée d’épines d’acacia de Penone sur le mur extérieur de la galerie Marian Goodman (New York, Paris). En revanche, le secteur Art Unlimited a péché par un excès de conservatisme. Dans ce panel extrêmement décevant, surnageaient quelques œuvres, comme Location, paysage enneigé illusionniste d’Hans Op de Beeck, vendu par la galerie Continua (San Gimignano-Pékin) à un futur musée privé milanais baptisé Il Palazzo del Arte Infinito. Malgré le vent de sagesse et la pléiade de revivals, le bling-bling n’était pas encore révolu. Pour preuve, les objets incrustés de diamants et d’or de la star du hip-hop Pharell Williams, présentés dans un « écrin » de Murakami par Emmanuel Perrotin (Paris). Une pièce kitchissime achetée par la partenaire du galeriste à Miami, Cathy Vedovi, associée à l’une de ses amies.
Nouvelles questions
Le temps des achats sur la foi d’une simple signature est pourtant révolu. Un réflexe pavlovien que stigmatisait à sa façon une œuvre de Rob Pruitt chez Gavin Brown (New York). Celui-ci avait recensé des paraphes de célébrités, comme l’artiste John Currin ou le marchand Tony Shafrazi. Cette pièce proposée pour 200 000 dollars n’avait pas trouvé preneur au troisième jour du salon. En revanche, les dessins anonymes du projet Bluetenweiss présentés pour 300 francs suisses sur la foire Liste ont eux été pris d’assaut… « Ce serait bien que les gens achètent enfin non pas des noms mais ce qu’ils aiment », confiait l’artiste Anke Beker, responsable de ce projet. Les collectionneurs semblaient se poser de nouvelles questions, proches de celles égrenées par l’œuvre de Muntadas présentée par Luisa Strina (São Paulo) : « Who ? What ? Why ? Where ? When ? ». De manière prophétique, les questions « For who ? » et « How much ? » ne venaient qu’en dernier lieu. « On est désormais concentré sur l’art, confirme Gerd Harry Lybke, de la galerie Eigen Art (Berlin-Leipzig). Les clients ne se demandent pas : “Combien ça coûte ?”, mais : “En ai-je besoin ?” » Un temps de réflexion qui n’a pas empêché les affaires d’aller bon train lors du vernissage de la foire. Eigen Art avait ainsi vendu un Neo Rauch récent pour 450 000 euros tandis que son confrère David Zwirner (New York) en avait cédé un plus ancien pour environ 1 million d’euros. La collectionneuse américaine Rosa de la Cruz, qui ouvrira en décembre un bâtiment de trois étages dans le Design district de Miami pour déployer sa collection, a, elle, acheté deux pièces de Seth Price chez Friedrich Petzel (New York, Berlin) et Gisela Capitain (Cologne, Berlin), une peinture de Rudolf Stingel chez Paula Cooper (New York) et un Rachel Harrison chez Green Naftali (New York). Le Français Antoine de Galbert a quant à lui acquis une œuvre de Magritte chez 1900-2000 (Paris). Les galeries avaient toutes capitalisé sur l’effet « Vu à Venise ». Tanya Bonakdar (New York) a vendu trois éditions d’une sculpture arachnéenne de Toma Saraceno, version « domestique » de l’installation visible dans le Palais des Expositions de la Biennale. « Après un automne tumultueux et un hiver rude, on sentait les gens curieux, acheteurs, résumait la galeriste berlinoise Esther Schipper. Ce n’est pas l’ambiance de 2007, mais c’est un grand optimisme mêlé de réserve. »
Une retenue qui a surtout frappé les galeries les plus jeunes, lesquelles n’ont pas toujours profité du reflux positif, hormis dans la section Statements. Jouant sur le croisement entre le film Metropolis de Fritz Lang et les constructions Bauhaus de l’Europe de l’Est, le Polonais Pawel Ksiazek y montrait l’impasse de l’utopie moderniste. Ce travail très fin montré par Zak/Branicka (Cracovie, Berlin) a séduit notamment la collectionneuse polonaise Grazyna Kulczyk. Sutton Lane (Londres-Paris) a pour sa part cédé une sculpture de Nora Schultz au collectionneur romain Giovanni Giuliani, tandis que Projecte SD (Barcelone) a vendu un film d’une toute jeune pousse, Patricia Dauder, à la Fondation Serralves à Porto.
Moins bricolée que d’habitude, la foire Liste ne méritait toutefois que modestement l’engouement des collectionneurs. Quelques propositions sortaient pourtant du lot, comme l’exposition personnelle d’étienne Chambaud chez Lucile Corty (Paris) ou l’accrochage tout en finesse de Schleicher Lange (Paris). Celle-ci avait notamment cédé une œuvre de la Polonaise Maria Loboda à une collection suisse. Peres Projects (Los Angeles, Berlin) avait quasiment fait sold out. « Ma recette était simple : j’avais un jeune artiste pas cher, John Kleckner, et un artiste plus âgé, estimé par la critique mais encore établi comme Mark Flood », expliquait Javier Peres. « Il y avait une meilleure énergie, une meilleure façon de regarder les œuvres et de les acheter », notait-on chez Dicksmith (Londres). Malgré un démarrage lent, la foire Design Miami a aussi globalement tiré son épingle du jeu. Patrick Seguin (Paris) y a fait feu de tout bois, en cédant trois pièces au milliardaire russe Roman Abramovitch. « Dès le premier soir, j’ai fait une dizaine de ventes avec six nouveaux collectionneurs », constatait le marchand. Carpenters Workshop (Londres) avait pour sa part vendu à un musée américain une installation très facétieuse de Random International composée de petits miroirs sur pattes lesquels suivent le mouvement des passants. Elle avait aussi cédé la minicapsule Hotel de l’Atelier Van Lieshout à l’acteur Brad Pitt, coqueluche de Bâle. « On a fait très attention aux prix des pièces, confiait Loïc Le Gaillard, co-directeur de la galerie. C’est important de créer un climat de confiance pour que les gens nous suivent dans les vingt ans à venir. » Sur la foire Volta, Dominique Fiat (Paris) avait aussi veillé à afficher un prix « juste ». Elle avait ainsi baissé celui d’une grande photo d’Hannah Collins de 35 000 euros en octobre dernier à 26 000 euros. « Hannah ne se sent pas dévaluée car elle sait que ça lui permet d’entrer dans des collections et des musées », explique la galeriste. Malgré des tarifs réajustés et une bonne qualité globale, Volta a pâti du succès des autres événements alternatifs. Les affaires n’ont démarré réellement qu’au troisième jour. Magnus Muller (Berlin) a ainsi vendu à un collectionneur français Deep North, une vidéo fascinante de Chris Larson, dans un esprit proche de Mika Rottenberg. Mais l’attraction de la foire fut une sculpture d’Eugenio Merino représentant Murakami attifé en prostituée sur le stand d’ADN (Barcelone). Un one-line joke qui ne vaut guère mieux que ce qu’il prétend caricaturer.
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La Foire de Bâle rassure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : La Foire de Bâle rassure