PARIS
La galerie Sultana expose des pièces de l’installation lauréate du Turner Prize 2023, un road trip dans l’Angleterre post-Covid délabrée.
Paris. Peu de gens en France ont eu la possibilité de faire le voyage pour voir le projet de Jesse Darling pour le Turner Prize 2023 dont il est le lauréat. Accueillie par la galerie Towner Eastbourne, dans le Sussex de l’Est (Royaume-Uni), l’installation n’a pas eu la même visibilité que si elle avait été montrée à Londres (comme c’est le cas une année sur deux).
C’est à Paris qu’une partie des œuvres de cette installation Come on England sont réunies dans sa galerie du 3e arrondissement. Barrière de sécurité chancelante, béquille assemblée à un râteau par une chaîne ; gros classeurs à anneaux entassés sur des étagères en métal ; drapeau anglais rapiécé, ces pièces, faites de rebuts et de métal soudé, parlent de précarité, de l’absurdité de la bureaucratie, des forces de l’ordre face à la foule, et dressent en creux, de façon irrévérencieuse, le portrait d’une Angleterre fragilisée par un système qui crée de la vulnérabilité.
Les Anglais ne s’y sont pas trompés. Le quotidien The Guardian relevait ainsi : « Darling, 41 ans, vit à Berlin : son observation de l’état de la Grande-Bretagne est celle de quelqu’un qui est un peu devenu un étranger. Il a parlé de son choc en revenant dans un Royaume-Uni post-Covid qui semblait délabré et négligé. Berlin, avec son système de garde d’enfants décent et son soutien social, semble plus accueillant. » Jesse Darling de son côté remarquait à propos du road-movie qu’il a filmé pour le prix : « L’apocalypse est déjà là, elle est juste répartie de manière inégale. »
« Il se sent redevable d’un système éducatif qui lui a permis de devenir artiste, explique Guillaume Sultana. Il déplore que ce système ait été mis à mal et se montre volontiers critique vis-à-vis de l’institution britannique. » Laquelle l’a cependant récompensé en lui décernant sa plus haute distinction artistique. C’est d’autant plus paradoxal que l’artiste fut sélectionné pour un solo show au Modern Art d’Oxford (2022) intitulé « No medals, no ribbons » (« Pas de ruban, pas de médaille »).
Avant de recevoir le Turner Prize, Jesse Darling avait déjà acquis une renommée internationale. Cependant lorsque la galerie Sultana lui consacre sa première exposition parisienne en 2017, il n’est pas connu en France. Repéré comme l’un des premiers à aborder les questions de genre et d’identité par les commissaires de l’Hexagone, il est alors invité à participer à plusieurs expositions sur ce thème. Les institutions françaises suivent. Son travail est présent dans plusieurs collections publiques (Frac des Pays de la Loire, Frac Grand large, Cnap…). L’exposition monographique que lui consacre la Tate, à Londres, en 2018, assoit sa notoriété en soulignant l’apport de son ton provocateur et inventif dans le paysage artistique.
« Les musées lui ont offert une visibilité, mais c’est différent du fait d’avoir des expositions en galerie, avec des collectionneurs qui voient et achètent les œuvres. Si un artiste ne passe pas par le marché, sa réception n’est pas la même », assure Guillaume Sultana, tout en convenant que les pièces produites pour les institutions sont aussi disponibles à la vente. « Lorsque Jesse Darling a participé en 2023 à “Expos.ée.s”, au Palais de Tokyo, cela a donné lieu à des achats. De la même façon que plusieurs collectionneurs étrangers avaient acheté à la suite de son exposition à la Friche la Belle de Mai (“Crevé”, 2019). »
Cette fois-ci, et malgré le pont du 1er mai, le vernissage était attendu à la Galerie Sultana. « Nous avons vendu des grosses pièces à des collectionneurs que l’on connaissait, mais qui ne s’étaient pas encore manifestés. Par exemple, la sculpture représentant une barrière [voir ill.] a trouvé tout de suite un acquéreur. » Peut-on parler d’un effet Turner Prize ? « Oui, c’est un pedigree », reconnaît Guillaume Sultana.
La gamme de prix reste cependant raisonnable, de 4 500 euros pour une photo jusqu’à 30 000 euros pour une installation ou une sculpture, voire 80 000 pour une très grande installation. Cela n’est pas excessif vu le niveau de notoriété et de reconnaissance de l’artiste. Jesse Darling, qui n’a pas de pratique d’atelier, ne produit pas d’œuvre commerciale. Mais il existe plusieurs versions de certaines pièces particulièrement identifiées (telle que la série des étagères de classeurs « Epistemilogies »). Ce sont celles que les collectionneurs préfèrent.
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Jesse Darling, à l’épreuve du marché français
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Jesse Darling, à l’épreuve du marché français