NEW YORK / ETATS-UNIS
À New York, la galerie Perrotin consacre une rétrospective au peintre Hans Hartung à travers une sélection d’une soixantaine d’œuvres de 1922 à 1989, issues dans leur majorité de la Fondation Hartung-Bergman.
New York. La galerie Perrotin inaugurait le 12 janvier dans son nouvel espace du Lower East Side une ambitieuse exposition retraçant près de soixante-dix ans de carrière du peintre abstrait français d’origine allemande. Nahmad Contemporary et Simon Lee s’associent à l’événement en montrant simultanément dans leurs espaces respectifs sur Madison et à Londres un ensemble de ses œuvres.
Hans Hartung (1904-1989) n’est pas en soi une découverte aux États-Unis. Il n’est toutefois pas usurpé de parler ici de « redécouverte » tant l’ensemble montré donne un nouvel écho à la peinture de ce pionnier de l’abstraction, ami de Soulages, apprécié de Rothko. Alors qu’il vend très modestement dans les années 1930, l’artiste est soutenu par le collectionneur A. E. Gallatin, fondateur du Museum of Living Art. Représenté par la galerie Louis Carré à New York dans les années 1950, il bénéficie de plusieurs rétrospectives, notamment à Houston (Texas) en 1969. Le Metropolitan Museum of Art (New York) lui consacre une exposition en 1975. Henry Geldzahler, son commissaire, mentionne dans un courrier le nom de plusieurs artistes marqués par sa visite. Parmi eux, Frank Stella ou James Rosenquist. Hartung fascine ses pairs, y compris ceux de la jeune génération, de Mike Kelley à Richard Prince en passant par Christopher Wool.
Parcourir les salles de la galerie Perrotin permet d’avancer plusieurs explications à cette admiration. Passées les œuvres les plus connues des années 1940 et 1950, ce qui frappe, c’est l’extrême contemporanéité de sa peinture. Dans un exceptionnel état de conservation, certaines toiles des années qui suivent semblent avoir été réalisées hier. Le parcours chronologique met en lumière sa capacité à se renouveler sans cesse, explorant de nouvelles formes à travers de nouveaux outils. Ici, des traces de grattage sur la surface de la toile. Là, la peinture pulvérisée à l’aide d’une sulfateuse de jardin ; des nuages noirs aux allures de fumée d’explosion. Ailleurs, ce sont des éruptions volcaniques, des éclairs, autant d’orages parfaitement maîtrisés. Certains tableaux évoquent les photographies abstraites de Wolfgang Tillmans. À moins que ce ne soit l’inverse.
La Fondation Hartung-Bergman a joué un rôle fondamental dans ce regain d’intérêt. Lieu d’accueil des chercheurs, de conservation des œuvres et de traitement du fonds d’archives, elle est installée sur les hauteurs d’Antibes (Provence-Alpes-Côte d’Azur) dans la villa que le peintre s’était fait construire au milieu d’une oliveraie pour y vivre et travailler avec son épouse Anna-Eva Bergman. L’esprit du lieu est intact. Dans l’atelier, les pinceaux, instruments, pulvérisateurs utilisés par Hartung sont toujours là ; les murs, maculés de projections de peinture. Sous l’égide de la Fondation, le catalogue raisonné des estampes est achevé, comme celui des peintures et œuvres sur papier de la période 1914-1944 (2 241 numéros). L’ensemble du catalogue devrait pouvoir être publié d’ici quatre ou cinq ans, moyennant un long et précis travail de recensement des œuvres.
La collection de la Fondation n’est pas inaliénable dans sa totalité, expliquant la vente de certaines pièces. Suivant la volonté du peintre, une part du fonds doit pouvoir intégrer de grandes collections et des musées, et contribuer ainsi au rayonnement de l’œuvre, précise Thomas Schlesser, son directeur. La partie de l’œuvre datée 1940-1950, associée à l’école de Paris, est déjà très bien identifiée. La Fondation s’emploie dorénavant à rendre plus visibles les périodes ultérieures, de 1960 à 1989. En particulier la toute dernière, de 1986 à 1989, année de sa mort, qui n’a pas bénéficié d’un même éclairage. Sous l’impulsion de Fabrice Hergott, son directeur, l’acquisition de quatre œuvres de 1989 par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2017 et l’accrochage actuel dans la grande salle d’ouverture des collections permanentes participent de cette redécouverte.
Sans oublier, également l’an passé, l’exposition « Hartung et les peintres lyriques » organisée par la Fondation Hartung-Bergman et le Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture de Landerneau (Finistère), avec pour commissaire le regretté Xavier Douroux, alors directeur du Consortium de Dijon.
Sur le marché, les années 1940-1950 sont aujourd’hui les plus prisées. Après une période de misère jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Hartung accède à la célébrité à la fin des années 1940 et vend ensuite très bien, tout au long de sa vie. Le 6 décembre dernier, un tableau de 1956, T1956-13, a atteint le prix record de 2,7 millions d’euros chez Sotheby’s Paris. Le précédent avait été décroché par une œuvre de 1947 (T1947-10). Le travail en cours autour de l’œuvre, auquel participe cette rétrospective new-yorkaise, permettra-t-il de dépasser cette vision figée pour réévaluer sa production dans son ensemble ?
La dernière période, moins connue mais non moins fulgurante, offre sans conteste l’une des plus belles salles de l’exposition ; son chant du cygne, magistral. « Ma visite de la Fondation en 2012 a profondément modifié ma perception de l’œuvre, confiait lors du vernissage l’historien de l’art Matthieu Poirier, commissaire invité, à l’initiative de l’exposition. Dans les toiles ultimes, on trouve un exceptionnel sursaut de vitalité. Comme la dernière touche, flamboyante, d’un long tableau se déployant sur ses soixante-dix années de pratique. »
La visite à Antibes se révéla tout aussi déterminante pour Emmanuel Perrotin. « L’évidence s’est imposée. Le lieu mais surtout la force et la contemporanéité de sa peinture. L’œuvre de Hartung a été mise en suspens pendant des années. Grâce au travail formidable et passionné de l’équipe de la Fondation, l’impression de redécouverte n’en est que plus grande. » La galerie représente désormais l’estate de l’artiste. « Plusieurs pièces de l’exposition ont été acquises par des fondations privées, un musée canadien est intéressé », précisait de son côté le soir de l’inauguration Peggy Leboeuf, directrice du vaste espace new-yorkais, dont le dernier étage est en cours de travaux d’aménagement. Insoupçonnable depuis la rue, son volume de cathédrale sous une lumière zénithale permettra d’accueillir des pièces monumentales. Les prix des tableaux exposés s’échelonnent de 50 000 à 500 000 euros. Tous ne sont pas à vendre. Plusieurs ont été empruntés à des collections publiques américaines. Ainsi de T1948-15 (1948), sorti des collections du MoMA, qui n’avait pas été montré depuis des années.
L’œuvre de Hartung donne le sentiment d’un geste lyrique d’une grande spontanéité. Or, tout y fut longtemps conçu dans un contrôle obsessionnel. Jusqu’en 1958, il peint méticuleusement des semaines durant des reports d’une extrême précision sur la toile à partir de dessins préparatoires. Ce malentendu dissipé, son œuvre ne perd rien de sa puissance. En témoigne l’élan des dernières toiles. Dans tout son éclat, d’une extrême liberté, sa peinture y atteint son apogée.
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Hartung magistral à Manhattan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°493 du 19 janvier 2018, avec le titre suivant : Hartung dans tout son éclat