PARIS
Pas moins de douze sculptures de l’artiste minimaliste, soit autant de jalons de son parcours, sont exposées pour la première fois chez Marian Goodman à Paris. Une démonstration magistrale et subtile à la fois.
Paris. Parmi les expositions de la rentrée en galeries, celle de Fred Sandback (né en 1943 à Bronxville, État de New York, mort en 2003 à New York) est sans doute la plus marquante et la plus réussie. La précédente exposition parisienne remonte à 2008, chez Nelson-Freeman ; celle-ci est la première chez Marian Goodman en France puisque la galeriste américaine avait déjà montré l’artiste deux fois, en 1983 et 1985, dans son espace new-yorkais. La galeriste fut très proche de lui et l’est aujourd’hui de sa veuve, Amy Sandback, qui dirige l’Estate ; elle tenait à perpétuer ici une histoire qui a démarré très tôt. Un dessin rappelle en effet le projet que Sandback avait élaboré pour son exposition à la galerie Liliane & Michel Durand-Dessert en 1976, quelques années après sa première présentation en France chez Yvon Lambert en… 1970. Une longue histoire, donc. L’ensemble ici réuni, composé de douze sculptures en fil datées de 1967 à sa mort, de quatre dessins et d’une série de gravures, est d’autant plus important que cette sélection couvre la quasi-totalité de sa carrière. Il montre la splendide radicalité dont Sandback, véritable maître de l’épure, a fait preuve durant quarante ans, sans jamais s’écarter d’un minimalisme absolu et exemplaire. Une leçon magistrale, en quelque sorte, pour rappeler que l’on peut dire beaucoup avec très peu. Un simple fil tendu peut ainsi construire des volumes, dessiner des formes, générer des espaces, jouer avec la lumière et les ombres portées, magnifier un lieu. Car c’est bien d’un fil sous haute tension dont il est ici question, ce fil qui, tel un trait, dessine des formes en 3D.
Des oeuvres réactualisées en fonction de l'espace
À ses débuts, Sandback va utiliser un fil en élastique, à l’exemple de celui qui construit un parallélépipède ajouré, posé au sol dans un coin comme l’indique le titre Untitled (Corner Piece), la plus ancienne œuvre ici, datée de 1967. Mais assez rapidement, Sandback l’abandonne, au milieu des années 1970, pour lui préférer un fil acrylique, plus résistant, plus facile à tirer et plus propre à prendre la couleur, du jaune d’or, du bordeaux, du bleu. Car si certaines œuvres, comme celle précitée, évoque clairement des formes géométriques, d’autres se « réduisent » à un pur et simple fil vertical tendu du sol au plafond ou, comme dans Untitled (Sculptural Study, Bird in Flight),à un fil oblique, reliant le plafond à un socle carré en un magnifique et très stylisé clin d’œil à l’Oiseau dans l’espace de Brancusi.
D’une œuvre à l’autre on ne peut qu’être frappé par la maîtrise qui les régit. La perfection technique, loin de brider l’imaginaire, permet au contraire de laisser de l’espace à la légèreté, au rêve. À propos de Paul Klee, Henri Michaux, dans sa préface à Aventures de ligne (1954), écrivait : « Une ligne rêve. On n’avait jamais jusque-là jamais laissé rêver une ligne ». Dans le même esprit, Sandback laisse rêver un fil. Il lui donne le plaisir d’être fil et de sublimer une ligne. Il le rend magique. Car devant ses œuvres le visiteur se pose immanquablement la question : « Comment ça tient ? » Certes, les petits trous au sol ou sur les murs dans lesquels les fils rentrent sont visibles, mais ils gardent le mystère du système de fixation et de la tension. L’œuvre en devient aérienne, presque immatérielle, comme suspendue dans l’espace qu’elle redessine par sa discrète présence, en tenant compte à chaque fois de la configuration des lieux. En effet, nombre d’entre elles sont ici réactualisées en fonction de l’architecture, à l’exemple, dans une salle voûtée au sous-sol, de ce grand Mikado au milieu duquel le visiteur est invité à circuler pour expérimenter l’espace.
Dans le seul essai publié en français, intitulé Fred Sandback ou Le fil d’Occam (1999), que la galerie réédite, Valérie Mavridorakis écrit : « L’art de Sandback se définirait en premier lieu comme un dessin, éliminant tout ce qui n’est pas la seule ligne, définie par la qualité et l’épaisseur du fil. Or ces lignes sont comme douées d’énergie, elles vont tailler dans le vide, découper des morceaux d’espace, nous introduire à un ensemble diffus d’expériences perceptives. Car cet art n’a pas d’existence a priori, il se constitue tout entier dans l’expérience qu’on en fait. » On ne saurait mieux dire. L’exposition est d’ailleurs titrée « Le fil d’Occam », du nom de ce philosophe dont le concept visait à ôter tout ce qui relève du superflu pour aller à l’essentiel.
Compris entre 200 000 et 450 000 dollars environ (les gravures sont proposées à partir de 4 500 dollars), les prix sont élevés, mais moins que ceux, dans un même registre minimaliste, d’un Donald Judd, par exemple. Ils sont en fait assez logiques pour un artiste américain, décédé, qui n’a pas beaucoup produit et qui a fait l’objet de plusieurs rétrospectives importantes.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Fred Sandback, variations en fil majeur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : Fred Sandback, variations en fil majeur