Le marchand d’art et collectionneur Michael Werner évoque, dans cet entretien, ses débuts sur le marché de l’art et le processus qui a abouti à la donation d’une partie de sa collection au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP).
Eric Tariant : Comment en êtes-vous venu à faire cette donation au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ?
Michael Werner : Je connais Fabrice Hergott, le directeur du Musée, depuis trente à trente-cinq ans. Il y a quelques années, il m’a demandé s’il serait possible d’envisager une donation d’une sculpture d’Otto Freundlich au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Je m’y suis opposé dans un premier temps. Un an plus tard, j’ai organisé une exposition de sculptures de Freundlich à Berlin qu’est venu voir Fabrice Hergott. Il m’a dit à cette occasion : « Le Musée national d’art moderne possède Ascension, une œuvre de Freundlich datant de 1928-1929. J’aimerais beaucoup faire entrer Composition [un grand bronze de Freundlich de 1933] dans nos collections. » Je lui ai répondu : « Fabrice, fais en sorte de rassembler la somme nécessaire et la sculpture est à toi. » Croisant à nouveau Fabrice Hergott quelque temps plus tard, je lui ai assuré que j’acceptais d’aider le musée, mais que je souhaitais d’abord connaître son projet pour celui-ci.
Il m’a expliqué qu’il souhaitait enrichir et développer le musée en montrant des séries réalisées par des artistes. Il m’a alors proposé d’exposer ma collection au sein du musée. Celle-ci constitue plutôt une réunion d’un grand nombre d’œuvres d’art collectées dans les années 1970 et 1980 qu’une véritable collection. J’ai été séduit par le fait que ce soit Fabrice Hergott qui opère lui-même une sélection dans cet ensemble pour enrichir le musée. Je ne lui ai néanmoins pas laissé accès à toute ma collection, aux Baselitz notamment. C’est une sélection à mes yeux très étrange. Mais elle s’inscrit bien dans la collection du musée.
E.T. : Avant de faire don de cet ensemble au MAMVP, aviez-vous déjà une idée du devenir de cette collection ?
M.W. : Non, pas vraiment. La politique muséale allemande est assez incompréhensible. J’avais déjà fait quelques donations, outre-Rhin, à de petits musées de province. Le problème tient au fait qu’il n’y a pas véritablement, en Allemagne, de musée dédié à l’art de la seconde moitié du XXe siècle.
E.T. : Vous avez débuté votre carrière de marchand d’art il y a cinquante ans. Quels sont les principaux changements qui ont affecté le marché de l’art depuis les années 1960 ?
M.W. : Si, dans ces années-là, vous aviez entre les mains des pièces importantes de Matisse, de Picasso ou de Wols, vous ne parveniez pas à les vendre. Nous n’étions, à l’époque, pas plus de six galeries dans toute l’Allemagne et les collectionneurs se comptaient sur les doigts de la main.
E.T. : Comment avez-vous procédé pour promouvoir les œuvres de vos artistes allemands ?
M.W. : Le grand rêve des artistes allemands a toujours été de sortir de leur isolement d’artistes « provinciaux » en gagnant les bords de Seine. Beckmann par exemple est venu vivre à Paris. C’était leur grand rêve. Mais, dans les années 1960, Paris a perdu son rang au profit de New York.
Ne parvenant pas, à mes débuts, à vendre leurs œuvres, dont personne ne voulait, j’ai prospecté en premier lieu les pays germanophones. C’est aux Pays-Bas que nous avons rencontré le plus de succès, auprès de collectionneurs qui se sont mis à acquérir des œuvres de [Georg] Baselitz et de [Markus] Lüpertz. Le marché s’est ensuite étendu à la Grande-Bretagne, puis aux États-Unis. Cette parenthèse de vaches maigres, qui a duré une quinzaine d’années, m’a permis de mieux comprendre comment fonctionne le système. Tout tourne autour de l’argent, faire le plus d’argent possible. On juge la valeur d’un artiste au prix obtenu par ses œuvres. Être un grand artiste, c’est avant tout bien vendre ses pièces. Qu’en est-il de la qualité intrinsèque des œuvres ? Je ne suis pas un idéaliste. Mais le monde de l’art a besoin d’avoir des convictions, des valeurs. Faute de réelles convictions, vous pouvez être très doué en affaires, il manquera toujours quelque chose.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Entretien avec Michael Werner - marchand d’art
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Entretien avec Michael Werner - marchand d’art