Ventes aux enchères

RENCONTRE

Cécile Verdier ou Christie’s au féminin

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2024 - 1236 mots

La commissaire-priseuse a gravi les échelons jusqu’à se retrouver à la tête de Christie’s France en 2019.

Paris. Cécile Verdier reçoit ses visiteurs dans son lumineux bureau de Christie’s, avenue Matignon dans le 8e arrondissement, avec vue sur le Grand Palais. Un empilement de livres sur une table ronde en verre renvoie à l’actualité artistique : Jacques Grange, François Halard, Guy de Rougemont, le dernier catalogue de la vente « Heroes for Imagine ». Au mur, une photo de Patrick Hourcade, un tableau de Jacques Soisson, quand dans la bibliothèque trônent un vase de François Azambourg et une Croix d’Alexandre Noll… C’est elle-même qui a chiné tous ces objets. « J’achète beaucoup plus depuis que je suis présidente car je suis plus loin des objets et ils me manquent… »

Cécile Verdier (57 ans) célèbre cette année ses cinq années passées à la tête de Christie’s France. Elle se souvient encore avec émotion des moments qui ont précédé sa prise de décision, quand Guillaume Cerutti, devenu P.-D.G. de Christie’s Monde en 2017, lui a offert ce poste. « C’était difficile mais, avec le recul, il suffisait d’être pragmatique : j’avais 50 ans, c’était quoi la prochaine marche pour moi ? » Si elle avait eu très envie d’aller à New York à l’âge de 40 ans, dix ans plus tard, cette mère de deux filles était dans une autre dynamique.

Depuis sa prise de fonctions, les défis à relever se sont succédé, à commencer par la pandémie de Covid-19 seulement six mois après. Ce temps en suspens lui a permis d’analyser et de moderniser les processus, comme les ventes en ligne, la réduction des catalogues papier ou encore le développement des ventes de gré à gré, lesquelles représentent maintenant 20 % du chiffre d’affaires de la maison. Mais la maison de ventes de la famille Pinault lui doit surtout d’avoir apporté une vision d’ouverture et de modernité. C’est elle qui a modifié le profil d’une équipe un peu figée, voulu des expositions scénographiées ou bien encouragé l’accès d’un public plus jeune et diversifié dans les locaux grâce à des cartes blanches offertes à de jeunes artistes contemporains.

Des rencontres déterminantes

N’étant pas issue du sérail, ce sont les déjeuners dominicaux organisés dans la belle maison de Saint-Germain-en-Laye par un grand-oncle et des parents sensibles à la culture – visites des châteaux de la Loire, musées, cinéma, théâtre – qui ont éveillé son intérêt pour l’art. Le bac en poche, Cécile Verdier intègre Sciences Po, qui lui offre une ouverture sur le monde, une compréhension des dynamiques économiques et sociales, et l’enracine dans le XXe siècle. L’histoire de l’art, étudiée en parallèle, renforce son intérêt pour le marché de l’art.

Quand une amie lui propose un stage chez Chayette & Cheval, elle fait sa première grande rencontre : Hervé Chayette. Cet esprit vif et raffiné lui donne de nombreuses clés et lui ouvre les portes de Drouot Estimations, où tous les commissaires-priseurs parisiens se relayent pour tenir le marteau. « J’ai appris au contact de nombre de personnalités différentes, et découvert le monde fascinant des objets, moi qui connaissais davantage les tableaux. »

Malgré l’ambiance de Drouot, le contact direct avec les objets, la diversité des publics, Cécile Verdier voit plus grand. Elle intègre alors Christie’s en 1997, au département des inventaires, puis, à partir du moment où le marché s’ouvre en France, elle postule au département des arts décoratifs du XXe siècle, et devient le numéro deux de Sonja Ganne (décembre 2001). L’entre-deux-guerres la fascine, une période de transition où tout change, avec la libération des femmes, les courants modernistes, les nouveaux matériaux, le mélange de luxe et de créativité.

En 2008, le « poste d’après » ne venant pas, Cécile Verdier quitte Christie’s, sollicitée par Sotheby’s pour devenir directrice du département design. Surtout, elle rencontre Guillaume Cerutti, devenu entre-temps président de l’antenne française. « Quand je suis sortie de son bureau, j’ai su tout de suite que j’allais travailler avec ce monsieur. Nous étions sur la même longueur d’onde intellectuelle, une façon synthétique de comprendre la problématique, de voir le grand sujet, de ne pas se cantonner à sa spécialité. » Guillaume Cerutti, Hervé Chayette, mais aussi Hugues Joffre qui a été le premier à lui tendre le marteau, François de Ricqlès ou bien encore François Curiel, sont des figures qui ont compté dans son parcours professionnel.

Comprenant vite que le design est une porte d’entrée pour décrocher les pièces majeures, les spécialistes d’art moderne et contemporain – discipline phare – emmènent Cécile Verdier avec eux dans les collections. Petit à petit, le marché commence à intégrer le fait que les objets du XXe siècle participent de ce siècle, au même titre que les tableaux. « J’étais là au bon moment pour accompagner la reconnaissance de l’importance des arts décoratifs du XXe siècle. »

Comprendre et convaincre

Nommée présidente de Christie’s France en 2019, celle qui assume n’être pas une pure spécialiste, est davantage intéressée par l’entreprise, le projet, les connexions entre les gens, les pays, les arts. Taillée pour le poste, elle veut comprendre les enjeux et comment une maison de ventes peut s’inscrire dans un écosystème comme Paris, capitale culturelle. Trouver les objets, les clients, les convaincre de vendre chez Christie’s, décider de la localisation de la vente à New York ou à Paris, comprendre le marché des clients asiatiques, comment les faire venir à Paris… « Rentrer du business », mais surtout, ne pas s’ennuyer. Faire la même chose tous les jours, ce n’est pas pour elle. D’ailleurs, Cécile Verdier, qui a longtemps pratiqué la danse classique – une pratique qui lui a indéniablement apporté une aisance corporelle utile dans son rôle de commissaire-priseuse – tape toujours du marteau.

Parmi les ventes parisiennes qui l’ont marquée, celle de la collection Duchein d’art surréaliste, estimée 4 millions d’euros et qui a fait 7 millions fin septembre, mais aussi celles de la Maison de verre (1928-1931) de Pierre Chareau en 2021 (15 M€), de la collection d’art contemporain Titze (28 M€, 2023), de la Collection Renault (11 M€, 2024) ou encore d’Hubert de Givenchy (118 M€, 2022). Sans oublier les Lalanne, avec le Rhinocrétaire qui a réalisé 18 millions d’euros l’an dernier – une partie de la collection Dorothée Lalanne a été vendue pour 59 millions de dollars chez Christie’s New York le 10 octobre.

Des journées bien remplies donc, qu’elle gère en essayant de « mettre les choses à distance ». Sa philosophie du métier ? L’appréhender comme un jeu, certes avec des règles à adapter, tout en veillant à maintenir une approche plaisante. Et ne pas perdre de vue que ce qui compte avant toute chose, avant même les objets, ce sont les relations avec les gens. D’un abord facile, Cécile Verdier a vite fait consensus. « Cécile est une très grande professionnelle, cela se sait. Pleine d’énergie positive pour son travail ; entourée de ses équipes de Christie’s, elle est unique et amicale », confie le décorateur Jacques Grange.

Cécile Verdier le reconnaît volontiers, elle a été chanceuse à maintes reprises. Avant ses rencontres professionnelles déterminantes, ses parents lui ont fait confiance et lui ont laissé faire ses propres choix. Et, être une femme aujourd’hui, « c’est beaucoup plus facile qu’il y a vingt ans. Je suis arrivée au bon moment». Pour autant, elle refuse d’être un porte-flambeau de la cause des femmes. « Quand vous venez d’un milieu où vous avez eu toutes les cartes pour pouvoir y arriver, ce n’est pas parce que vous êtes une femme, c’est juste une question d’éducation. »

1994
Diplômée commissaire-priseuse, Cécile Verdier travaille au sein de l’étude Drouot Estimations puis Chayette & Cheval.
1997
Elle intègre Christie’s Paris, d’abord au département des inventaires avant de rejoindre celui des Arts décoratifs et design.
2008
Arrivée chez Sotheby’s Paris en tant que directrice du département Arts décoratifs du XXe siècle.
2019
Elle devient présidente de Christie’s France. 2024 Elle fête ses 5 ans à la tête de Christie’s France.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Cécile Verdier ou Christie’s au féminin

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque