Autant la manifestation au Grand Palais est apparue claire, pertinente et affairée, autant Officielle peine à trouver ses marques, laissant la place libre à la nouvelle foire « off », Paris internationale.
PARIS - À la question de savoir ce qui finalement l’avait incité à participer à la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) Toby Webster, fondateur de The Modern Institute (Glasgow) et auteur d’un très beau stand avec cinq grandes sculptures de Monika Sosnowska, dont deux furent cédées le premier jour à des acheteurs français et américains, répondit : « Nous attendions d’avoir le bon projet pour venir. Il fait plus sens pour nous de montrer un peu tout notre programme à Londres, alors qu’ici nous voulions un projet. » De là à affirmer que seulement tenir boutique prime à Frieze…
Une « foire attachante »
Loin de l’agitation londonienne en effet, la 42e édition du salon parisien d’art contemporain, qui s’est tenue du 22 au 25 octobre, s’est révélée comme un bon cru, clair et plaisant à visiter, avec des œuvres de qualité et des accrochages pensés et tenus pour la plupart ; même si peu avaient opté pour la magnifique radicalité de Franco Noero (Turin) et ses quelques pièces de textile posées au sol par Jason Dodge.
Alors que le Salon d’honneur faisait montre d’une belle atmosphère avec des galeries telles Catherine Bastide (Bruxelles), Jan Mot (Bruxelles), Guido Baudach (Berlin) ou Kaufmann Repetto (Milan), la décision de réduire de moitié le nombre de stands dans la galerie afin d’y offrir de meilleures surfaces d’exposition s’est révélée judicieuse. Le tout a contribué, aux dires d’un exposant, à en faire « une foire attachante ».
Si comme toujours les réalités commerciales sont apparues contrastées, l’ambiance générale a été à une relative solidité des affaires, avec des collectionneurs prenant souvent le temps de la réflexion avant de passer à l’acquisition. Avec des ventes de Michel Blazy, Jean-Michel Sanejouand, Adam McEwen ou Jacob Kassay, Art : Concept (Paris) a fait sa meilleure Fiac et avait atteint son chiffre d’affaires de 2014 dès le soir du vernissage. Si Loevenbruck (Paris) s’est assez vite défait d’un beau Michel Parmentier (125 000 euros) et de pièces d’Alina Szapocznikow et Dewar & Gicquel, Sprüth Magers (Berlin) a rapidement cédé pour 600 000 dollars l’œuvre la plus chère de son stand, une grande toile de George Condo, confirmant que des gros prix sont possibles sur la place parisienne. « Il n’y a que trois foires où l’on peut vendre des pièces historiques et conceptuelles à plusieurs centaines de milliers d’euros : Art Basel, Miami et la Fiac », confirmait Jocelyn Wolff (Paris).
Seconde division
Mais si la Fiac consolide la manifestation au Grand Palais, on ne peut en dire autant des autres registres. Englué, le dossier d’une implantation à Los Angeles semble désormais relever de l’arlésienne. Quelques rumeurs non confirmées ont fait état que Reed Expositions regarderait désormais du côté de San Francisco, ville où bien peu se passe en termes d’art contemporain et de marché ! Surtout, la Fiac gère mal son secteur émergent. La distinction faite entre les « jeunes » enseignes exposant au Grand Palais et celle reléguées à Officielle apparaît incompréhensible. Pas plus que l’an dernier, la deuxième édition du salon parallèle n’est parvenue à convaincre de sa pertinence. Outre que le plateau des Docks-Cité de la mode et du design qui l’accueille est toujours fort peu chaleureux et n’incite pas à s’attarder, la moitié au moins des exposants auraient pu y être évités. Le public ne s’y est pas pressé et beaucoup se sont plaints du faible nombre d’étrangers ayant fait le déplacement. Ce qui a dû faire regretter à des enseignes, telles les new-yorkaises Eleven Rivington ou On Stellar Rays, d’avoir joué le jeu et accepté de quitter le Grand Palais pour être ainsi rétrogradées en seconde division.
Sans doute la Fiac a-t-elle imaginé que tous ses recalés de qualité iraient grossir les rangs d’Officielle. Mais en refusant cette partition, Crèvecœur, High Art, Antoine Levi, Sultana et Gregor Staiger ont réussi leur pari, en créant avec Paris internationale la foire « off » attendue de longue date dans la capitale. Dans un hôtel particulier abandonné de l’avenue d’Iéna, avec une justesse de ton, sans apprêt particulier ni trash, ils sont parvenus à fédérer autour d’eux une quarantaine de participants – pour un ticket d’entrée à 4 000 euros lorsqu’Officielle exige 12 000 euros –, qui se sont déployés de manière presque organique dans une manifestation unanimement saluée pour sa qualité et sa fraîcheur.
La Fiac serait fondée à engager une très sérieuse réflexion, pour ne pas dire un aggiornamento, afin de contrer cette sensation de flottement stratégique qui l’entoure aujourd’hui. D’autant qu’avec la fermeture pour travaux à venir du Grand Palais, l’un des arguments massue de son attractivité va s’évanouir pendant quelque temps.
La Fiac a inventé le contrôle d’identité de ses invités ! C’est choqués et furieux que les porteurs de cartes VIP se sont vu demander une pièce d’identité afin de pouvoir accéder au Grand Palais. Outre qu’elle est légalement douteuse, l’initiative a créé énervements et congestions à une entrée qui se doit d’être fluide et rapide, et fut in fine ruineuse en termes d’image. En essayant de limiter ainsi le passage de mains en mains des badges d’accès, Reed Expositions a certainement espéré tirer quelques recettes supplémentaires en billetterie, qui au final n’auront sans doute pas dépassé quelques centaines de tickets. Si l’entreprise en est à ce point acculée financièrement c’est grave, si elle ne l’est pas ça l’est plus encore. Les marchands n’étaient pas les moins en colère et pour certains devaient envoyer des assistants faire des allers-retours à la porte, afin de faire entrer des collectionneurs. Un galeriste étranger parfaitement francophone fulminait : « La Fiac a toujours été mauvaise dans le traitement des VIP, mais là c’est du foutage de g...Â… Et comment se fait-il que j’ai croisé un collectionneur ce matin [quand le salon ouvre à midi] ? La Fiac est la seule foire au monde où l’on voit passer des conseillers et des journalistes la veille du vernissage. Si l’on veut être tatillon et jouer la vertu, on le fait sur toute la ligne ! » Selon l’AFP, le nombre de visiteurs a baissé de 74 500 en 2014 à 71 700 en 2015.
Le Prix Marcel Duchamp et le Prix Fondation d’entreprise Ricard ont été respectivement attribués à Melik Ohanian et au duo Florian Pugnaire et David Raffini. C’est avec un véhicule accidenté et leur film Énergie sombre, dans lequel un camion lancé à vive allure se transforme en volume sculptural après plusieurs chocs, que ces derniers ont séduit le jury du Prix Fondation d’entreprise Ricard. Ils faisaient face à David Brognon et Stéphanie Rollin, Julien Dubuisson, Grace Hall, Robin Meier et Thomas Teurlai dans l’exposition « L’ordre des lucioles » mise en musique par Marc-Olivier Wahler. Pour le Prix Marcel Duchamp organisé par l’Adiaf, Melik Ohanian faisait face à Davide Balula, Neïl Beloufa et Zineb Sedira. Avec sept photographies montées dans des caissons lumineux s’animant une seconde par minute, l’artiste s’est intéressé à établir un portrait de la durée à travers le changement d’état du Césium 133 qui définit la seconde universelle dans les horloges atomiques.
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Bilan : La Fiac s’embourgeoise au détriment de la jeune création
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Bilan : La Fiac s’embourgeoise au détriment de la jeune création