Reproduit en Dollar Sign par Andy Warhol, concrétisé en trois dimensions version lumineuse par Tim Noble et Sue Webster, transposé dans une monnaie fictive, l’afro, par Pascale Marthine Tayou, l’argent est un sujet qui titille les artistes. « Souci majeur de l’époque, l’économie est à l’art d’aujourd’hui ce que le nu, le paysage ou le mythe du nouveau furent en leur temps au néoclassicisme, à l’impressionnisme ou à l’avant-garde : autant un mobile de création qu’un thème au goût du jour », observe avec justesse le critique d’art Paul Ardenne.
La défiance, une relation aussi courante que salutaire
L’argent et, plus largement, le capitalisme inspirent de nombreux artistes. Ainsi, les diagrammes minutieusement dessinés par l’Américain Mark Lombardi, mort en 2000, voulaient dévoiler les mouvements d’influence, les liens entre le terrorisme et les réseaux financiers. Un travail conceptuel qui n’a pas laissé indifférent le FBI, lequel a utilisé ses dessins pour enquêter sur le scandale de la banque BCCI !
Depuis les années 1970, le marché de l’art est tout autant un sujet d’interrogation pour les créateurs. Entre refus du mercantilisme et fascination, l’approche s’avère ambiguë. « Ils (les artistes) courtisent les hommes d’affaires comme on courtise un acheteur potentiel tout en se moquant de l’intérêt qu’ils portent à l’argent...
Certains affectent la colère ou simplement la distance à l’égard du pouvoir qui les paie... D’autres encore réussissent l’exploit d’être payés pour mordre la main qui les nourrit », peut-on lire dans l’excellent ouvrage Argent, questions d’art par Katy Siegel et Paul Mattick (éd. Thames & Hudson).
La défiance vis-à-vis du marché est une posture aussi courante que salutaire. Lorsqu’un Manzoni produisait ses « merdes d’artiste », quatre-vingt dix boîtes remplies de ses excréments, il n’imaginait sans doute pas qu’elles seraient autant cotées quelques décennies plus tard. Et pourtant, en mai 2007, chez Sotheby’s à Milan, une Merda d’Artista s’est vendue 110 400 euros. Klein tournait lui en dérision le marché lorsqu’il mit en vente ses « zones de sensibilité picturale immatérielle », espaces vides d’une galerie. Avec un sens de la mise en page venant de sa formation de graphiste, Barbara Kruger construit ses photos comme autant de charges contre les stéréotypes de la publicité ou du cinéma, mais aussi la fatuité des collectionneurs.
« Un artiste riche peut-il être un bon artiste ? »
Cette ironie mordante contre l’affairisme ambiant a fait des émules. Lors de la foire Frieze, en octobre dernier à Londres, l’artiste Rob Pruitt a poussé son galeriste Gavin Brown à transformer son stand en grand marché aux puces où les artistes proposaient des éditions à petits prix, mais aussi des disques vinyles et des vêtements vintage. Histoire de montrer, dans la continuité de Marcel Duchamp, que tout se vaut.
En 2005, sur la foire Art Brussels, le galeriste Mehdi Chouakri cédait quant à lui pour 350 euros des photos d’Andrea Bowers titrées Art Fair Protest. Un esprit faussement agit-prop qui se décline aussi dans les manifestations fictives No to Contemporary Art de Patrick Guns à la galerie Polaris.
Les artistes peuvent parfaitement brocarder le marché tant que leurs œuvres y échappent. Une fois happé, leurs discours frisent l’hypocrisie. « C’est comme de cracher dans la main de celui qui vous verse votre salaire, reconnaît l’artiste Maurizio Cattelan. Je ne cherche pas à m’opposer aux musées et institutions. Je dis simplement que nous sommes tous d’une manière ou d’une autre corrompus ; la vie elle-même est corrompue et c’est ainsi que nous l’aimons. Je cherche simplement à prendre ma part du gâteau, comme tout le monde. »
Plus qu’une part du gâteau, certains se taillent la part du lion. C’est le cas du Britannique Damien Hirst, dont la fortune a été évaluée par le Sunday Times à 174 millions d’euros. L’an dernier, le quotidien anglais The Guardian se demandait si un artiste pouvait continuer à être bon même s’il était riche...
Barbara Kruger
Dénonçant le consumérisme de notre société, l’artiste américaine a réalisé plusieurs œuvres insolentes comme « I Shop Therefore I Am » (1987), achetée pour 410 000 euros par François Pinault chez Phillips en 2004.
Mark Lombardi
Flux financiers, argent sale et terrorisme international forment le cœur des dessins de cet artiste conceptuel américain, obnubilé par la théorie du complot.
Piero Manzoni
L’argent n’a pas d’odeur, pas plus que la “merde”? produite à 90 exemplaires par Manzoni. Avant ses “merdes”?, Manzoni avait aussi créé les souffles d’artistes, structures gonflables qui pouvaient se dégonfler, et donc se dévaluer.
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Artistes et argent... le péché « capital »
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Abonnez-vous dès 1 €Les relations entre l’art et l’argent sont depuis longtemps délicates. L’idée de l’art reste aujourd’hui encore dans une tension créatrice avec la société marchande dont elle est le fruit. Tout en étant un produit de luxe, l’art a toujours incarné la notion d’élévation au-dessus des préoccupations purement mercantiles, pour ceux qui le collectionnent comme pour ceux qui le font. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles, tout au long de son histoire, l’art a si peu souvent traité directement de l’argent, même si l’ombre de ce dernier a toujours plané sur lui.
Les artistes contemporains ont réagi à la professionnalisation du marché.
À la fin des années 1960, de nombreux artistes se sont sentis frustrés face au professionnalisme croissant et au caractère affairiste du monde de l’art.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Artistes et argent... le péché « capital »