Artiste fictif

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 511 mots

Pendant longtemps, le marché de l’art s’est attaché à la signature de l’artiste, la mention « avec atelier », suscitant une nette décote. Les sculptures de Jeff Koons ont bousculé ce critère de fait main. Pour leur part, les tableaux de Takashi Murakami portent au dos le casting des petites mains qui y ont contribué. Les collectifs d’artistes, les œuvres de collaboration, ou le travail en couple balayent enfin toute notion d’auteur unique. D’autres escamotent même l’idée de l’homme derrière le créateur. La galerie Hoet-Bekaert (Gand) a poussé le bouchon au point de présenter l’an dernier des peintures « canines » d’un Jack Russel Terrier ! Le nouveau défi aux lois du marché, c’est le lancement d’un artiste fictif. Jouant sur des questions d’identité, les expositions Joe Scanlan chez Valentin (Paris) et John Fare chez gb agency (Paris) tournent en dérision deux idiosyncrasies des collectionneurs : la quête de la chair fraîche et celle de l’artiste maudit à réévaluer.

Alter ego à cote grimpante
En apparence, Joe Scanlan aurait pour alter ego Donelle Woolford, une de ses anciennes étudiantes. Tout, du reportage la présentant à l’œuvre dans son atelier jusqu’à sa prestation remarquée lors du vernissage, semble conforter l’existence de cette artiste. Et pourtant Donelle Woolford n’est qu’une fiction. Ce personnage d’artiste noire américaine a germé dans l’esprit de Scanlan devant l’emprise du marché sur ses étudiants. Il s’étonnait de voir ses élèves de première ou seconde année happés par le système des galeries, certains étant même déjà cotés. Une expression court d’ailleurs dans les écoles d’art américaines : Chelsea ready, c’est-à-dire, prêt à être exposé dans une galerie de Chelsea. Le vrai tour qu’on puisse jouer au marché, c’est de fabriquer un artiste, de le propulser dans l’arène et d’observer le comportement des collectionneurs. Pour cela, Joe Scanlan a mis le paquet, en construisant un vrai CV pour sa protégée, entretenant même la fable auprès de ses galeries. Dans une exposition de groupe que les Valentin (Paris) avaient organisée en 2005, ils ont vendu des tableaux en bois de Woolford pour 4 500 euros. Depuis que la paternité de Joe Scanlan a été révélée au grand jour, le prix est toutefois passé à 9 000 euros.

Vies et morts facétieuses
Chez gb agency (Paris), c’est une autre facétie que propose l’artiste Gabriel Lester. Ce dernier prétend retracer la carrière d’un certain John Fare, performeur canadien. Celui-ci se serait suicidé à l’aide d’un robot qui l’aurait décapité. Entre-temps, de 1964 à 1968, il aurait méthodiquement amputé tous ses membres, en commençant par les orteils. S’agit-il d’un revival ou d’une loufoquerie montée de toutes pièces ? Là encore, l’exposition nous mène en bateau via un article de la revue Studio International évoquant la légende de John Fare. Le site Internet de la pseudo-succession de l’artiste pastiche d’ailleurs celui de Wikipédia. Finalement, Gabriel Lester lève le voile : « Voici quelqu’un qui n’a vraisemblablement jamais existé, et qui pourtant vit toujours ; un nom, une histoire qui ont hanté le monde de l’art comme un esprit, illustrant un vœu de mort artistique. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : Artiste fictif

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