L’art contemporain tourne le dos à la crise, aussi bien en galeries que dans les ventes publiques. Malgré quelques frémissements spéculatifs outre-Atlantique, l’épouvantail inflationniste des années 1980 semble écarté. État des lieux d’un marché extrêmement codifié.
« On n’est pas dans la crise qu’on attend depuis le 11 Septembre », avance Caroline Smulders, responsable du département art contemporain de Christie’s France. Loin s’en faut ! D’après les analyses d’Artprice, le marché de l’art contemporain se porte plutôt bien, avec une hausse de 22 % des prix l’an dernier. À y regarder de près, les ventes d’art contemporain sont même aussi rémunératrices que celles d’art impressionniste et moderne, habituels poids lourds du marché. Le marché est certes en surchauffe, mais extrêmement codifié. « Il n’y a pas de place pour la fantaisie. De Thomas Ruff, on veut les photos Prada, de Thomas Struth, les églises et les musées. Comme l’art contemporain est très cher, on veut des pièces rassurantes.
Ce sont d’ailleurs des valeurs sûres car le soutien est massif », observe Martin Guesnet, responsable du département art contemporain d’Artcurial Briest-Poulain-Le Fur. L’armature des ventes new-yorkaises est toujours identique : Maurizio Cattelan, Takashi Murakami, Damien Hirst, Jeff Koons et Gerhard Richter, puis Andy Warhol et toute la flopée d’artistes du Pop Art, enfin un brin de minimalisme avec Donald Judd. Kleenex dans l’âme, le marché boude les « élues » d’hier, Shirin Neshat, Mona Hatoum ou Ghada Amer, trois artistes pourtant très talentueuses, soutenues par des galeries puissantes. « Contrairement à la plupart des artistes à la mode, elles n’ont pas joué sur le côté star. Elles ne sont pas dans le marketing », convient Florence de Botton, responsable du département art contemporain de Sotheby’s France. Le marché de l’art aux États-Unis est une planète à part. En témoignent les prix souvent indécents. Un train édité en trois exemplaires par Jeff Koons était proposé dans la vente « Postwar » du 11 mai chez Christie’s pour le prix canonique de 2 à 3 millions de dollars ! « Le marché est euphorique car depuis un ou deux ans, il s’est élargi à de nouveaux collectionneurs, ambitieux et dotés d’un certain sens de la compétition », explique le courtier Philippe Ségalot.
Les maisons de vente s’alimentent aussi dans le réservoir d’anciennes célébrités remises au goût du jour. Tom Wesselmann, qui jusqu’à voilà deux ans était l’artiste pop le moins coté, siège en majesté dans la plupart des ventes. Même constat pour le minimaliste Sol LeWitt dont les prix observent une forte progression depuis huit mois.
Les Open Cube, qui voilà dix ans valaient dans les 30 000 dollars, ont grimpé à 100 000 dollars, voire à 300 000 dollars ces deux dernières années. L’annonce d’une prochaine exposition par la Pace Gallery n’est pas étrangère au branle-basde combat. Le même repositionnement est à présager pour Keith Haring. Les transactions privées autour de l’artiste font rage dans la mesure où Jean-Michel Basquiat est devenu quasi intouchable. Keith Haring faisait la couverture d’un afternoon sale de Sotheby’s en mai avec un Blue print drawing de 1981, une bonne année. L’estimation était de 150 000/ 200 000 dollars alors qu’on n’en aurait pas donné plus de 80 000 dollars il y a encore quelque temps. D’autres jeunes figures connaissent une réévaluation.
C’est le cas la Sud-Africaine Marlene Dumas qui a enregistré le record de 290 000 dollars pour Wet Dreams (1987) chez Christie’s à New York en 2003.
En France, jusqu’à présent Artcurial, Cornette de Saint-Cyr et Tajan se partageaient le gâteau du contemporain. Mais la concurrence se fait plus féroce avec la décision de Christie’s et Sotheby’s d’y procéder à des ventes. Les prix restent sans commune mesure avec ceux pratiqués outre-Atlantique. Pour 50 000 euros enregistrés en France pour Squelette de Jean-Michel Basquiat en mars 2003 chez Pierre Cornette de Saint-Cyr, on relève 5 millions de dollars pour un Profil en mai 2002 chez Christie’s New York. C’est à Londres que Sotheby’s a préféré envoyer un gigantesque Basquiat de 1982 estimé 1,8 à 2,5 millions de livres sterling. En juin, Artcurial propose pour 330 000 euros douze petits tableaux de la série des Children’s book d’Andy Warhol (1983). En mai, Sotheby’s affichait un Self-Portrait (1986) de Warhol pour 1 à 1,5 million de dollars. Par contre, les poids lourds allemands ne figurent quasi jamais dans les catalogues français. Ou alors avec des pièces passablement anecdotiques.
Côté galeries, malgré quelques fermetures, comme celle de Jennifer Flay ou les replis de Michel Durand-Dessert et des Nahon, le marché n’est globalement pas morose même si les galeries naviguent souvent à vue. En deux ans, plusieurs nouveaux visages ont fait leur apparition de Grégoire Maisonneuve à la Cosmic Gallery. « Il y a trop d’artistes, trop de galeries, trop de compétition. Dans ce trop-plein rien ne s’élimine », soupire la galeriste Anne de Villepoix. L’effet « Star Académie » franchit le cadre cathodique pour s’insinuer dans la sphère artistique. On observe une accélération dans
le lancement de nouveaux artistes, un dérèglement tel que sitôt découvertes, les jeunes pousses se trouvent dotées de listes d’attente. Les prix des jeunes artistes sont aussi prohibitifs. La plupart d’entre eux commencent vers 5 000/6 000 euros minimum en galerie. « Un jeune artiste commence à quatre fois le prix auquel on le faisait commencer voilà dix ans », désespère Anne de Villepoix.
La frénésie actuelle trouve son expression dans une surenchère d’œuvres monumentales. « Aujourd’hui, on présente les installations comme l’œuvre majeure d’un artiste. Pour se valoriser, les galeristes ont tendance à vouloir en montrer », convient le galeriste Georges-Philippe Vallois. Parallèlement à cette quête effrénée du gigantisme, la peinture reste le médium préféré d’une grande majorité de collectionneurs, n’en déplaise à l’ancien président du Cofiac Yvon Lambert. « J’ai toujours bien vendu de la peinture, mais maintenant elle se montre plus », souligne la galeriste Nathalie Obadia. Petite musique intérieure dans un monde d’esbroufe, les œuvres sur papier connaissent un regain de faveur. À la dernière édition de la Fiac, les dessins de Yahoi Kusama, présentés par la galerie Pièce Unique pour 6 000 euros, avaient été pris d’assaut. L’exposition « Dessins et des autres » d’Anne de Villepoix a connu une vraie razzia. Les prix voguaient de 260 à 1 500 euros, avec quelques pointes jusqu’à 10 000/15 000 euros. Apprécié par quelques collectionneurs farouches, Raymond Pettibon a vu sa cote progresser avec le record de 34 000 livres chez Christie’s Londres en février 2003.
Bien plus qu’en galerie, les transactions se font sur les foires. « Mais les amateurs sont parfois
plus intéressés par le contenu du programme VIP que la liste des galeries. L’acte de collectionner est un acte social, aujourd’hui peut-être plus qu’avant », précise Martin Guesnet. « Depuis deux ou trois ans, il y a un public qui n’achète que dans les foires. On voit le même groupe d’une vingtaine de Français sauter d’un salon à un autre. Leurs vacances, ce sont les foires », renchérit Anne de Villepoix.
Les symptômes d’un snobisme dont l’art contemporain est coutumier.
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Art contemporain : un marché qui se porte bien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Art contemporain : un marché qui se porte bien