DUBLIN (IRLANDE) [27.04.12] – Célèbre pour être parti à l'assaut de l'« archéologie de l'esprit », le peintre irlandais Louis le Brocquy s'est éteint à l'âge de 95 ans.
Souvent plongé dans les méandres de sa pensée, il semblait imperturbable selon ses amis. Il avait pourtant cet œil insatiable, qui au-delà de la chair, cerne les traits indicibles des modèles. Joyce, Beckett, Yeats, les grands noms de la littérature irlandaise, ont tous posé devant les brosses de Louis le Brocquy. Observateur attentif de la psychologie de ses modèles, le peintre, doté d'un sens de l'humour certain, parvenait à rendre compte de l'au-delà de leurs représentations : « Il est impossible de peindre consciencieusement » aimait-il à répéter. Le peintre s'est éteint à l’âge de 95 ans. Le président irlandais Michael D. Higgins lui a rendu mercredi 25 avril un dernier hommage.
Un goût pour l'abstraction
Né le 10 novembre 1916 à Dublin, Louis le Brocquy affirme jeune sa vocation. Il tourne le dos à l'industrie familiale, spécialisée dans le raffinement de pétrole et avec les encouragements de sa mère, dévore les monographies d'artiste durant son adolescence. Ses premiers travaux démontrent une capacité certaine à la figuration, dans une peinture proche des canons académiques les plus traditionnels. Vite pourtant, il se rebelle intellectuellement. Sans passer par la case de l'école d'art, il voyage en Europe dans les années 20, et découvre subjugué l'avant garde continentale. C'est à ce titre l'un des premiers artistes irlandais à avoir vu le cubisme. Il en reprendra quelques méthodes, un goût pour l'abstraction, et des formes qu'il indexera au contexte irlandais.
Revenu dans sa terre natale, il dépeint les laissés pour compte de la société irlandaise. Dans un style plus libre, il marque au côté de Francis Bacon, l'émergence de l'art moderne irlandais. Ses contemporains ne goûtent pourtant guère à ses innovations. Il survit, indifférent au silence. Mais lorsque la Galerie Municipale de Dublin refuse en 1942 d'acquérir une toile de George Drouault, il s'insurge dans une lettre ouverte au Irish Times. Alors, dès que le galeriste Charles Gimpel lui offre sa première exposition personnelle à Londres, il décide d'y déménager, et de délaisser pour un temps l'Irlande à ses théoriciens académiques.
Naître du néant et y disparaître
A partir de la fin des années 1950, Louis le Brocquy concentre ses peintures sur l'individu, représentant des silhouettes isolées dans des larges paysages arides, comme brûlées par un soleil de plomb. Les ombres y sont diluées et englouties dans un fond blanc, comme si elles semblaient à la fois naître du néant et y disparaître. Non seulement éloge de la fragilité, ces peintures témoignent aussi des lignes de force d'une époque anxieuse, tourmentée par les dangers latents d'une guerre froide, par une philosophie existentialiste qui le tourmente assidûment. En visite au Musée de l'homme à Paris, il est fasciné par une tête polynésienne. Il fait immédiatement le lien avec l'héritage celtique : « une boite magique capable de contenir l'esprit prisonnier », écrit-il sur cette découverte. D'elle découle sa singularité : une prise de conscience du visible et de l’invisible, une tension entre l’évanescence et la substance. Il envisage dès lors le portrait comme une « archéologie de l'esprit » et portraiture peu à peu les plus grands noms de la littérature irlandaise, Joyce, Beckett, Yeats. Passeront également sur son chevalet, Francis Bacon, Seamus Heaney, mais aussi le chanteur de U2 Bono, ce dernier portrait lui ayant paradoxalement valu sa reconnaissance internationale.
Michael D. Higgins, Président de l'Irlande - © Photo : The Irish Labour Party - 2006 - Licence CC BY 2.0
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Louis le Brocquy, mort d'un maître du portrait
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