En réunissant près de 300 objets relatifs au cheval dans la culture et la civilisation islamiques, l’Institut du Monde arabe organise la plus grande exposition jamais consacrée à ce sujet en Occident. De la littérature
religieuse à la peinture orientaliste et romantique du XIXe siècle, en passant par les costumes, parures et autres pièces de harnachement, elle aborde tous les thèmes et toutes les pratiques liées à l’animal.
L’exposition consacrée par l’IMA. au cheval et à l’art équestre dans le monde islamique relève de la gageure. En effet, le projet n’est pas nouveau. Il fut élaboré, dès 1991, par le chercheur australien David Alexander pour le compte de l’Arabie Saoudite, dont les princes sont de fervents amateurs de chevaux. Les objets les plus prestigieux des grands musées internationaux avaient été choisis et leur prêt accordé. Cette première grande manifestation culturelle à Riyadh devait marquer, du moins l’espéraient les prêteurs, le début d’une collaboration fructueuse avec ce pays. Pour différentes raisons, en particulier l’absence, à l’époque, d’un musée répondant aux normes de sécurité internationales, l’exposition n’eut pas lieu, mais deux splendides volumes, magnifiquement illustrés, publiés en 1996 conservent le souvenir du projet Furûsiyya.
Il paraissait peu probable que l’IMA, réputé pour le succès de ses expositions, puisse obtenir le prêt de tous les objets prestigieux promis à l’Arabie Saoudite, pays dont beaucoup de nations souhaitaient se rapprocher. Or, le défi a été relevé. Si Furûsiyya, qui devait présenter 122 objets s’est transformé, comme l’aurait dit Malraux en « exposition imaginaire », « Chevaux et cavaliers arabes dans l’art d’Orient et d’Occident », en compte près de 300. Comme son titre le laisse pressentir, l’exposition embrasse tous les aspects du cheval et de l’art équestre, sans pour autant prétendre être exhaustive, et envisage même le regard porté par les Français sur cet animal de légende. Elle se divise en cinq parties très nettement délimitées, auxquelles s’ajoute une section documentaire.
En introduction, sont évoquées les traditions équestres antérieures à l’Islam dans les différentes régions qui, à partir du VIIe siècle, embrassèrent cette religion : Arabie, Iran, Asie centrale, pays du pourtour de la Méditerranée. Le public français, assez peu coutumier des antiquités du début de notre ère provenant de la péninsule arabique sera particulièrement sensible aux trouvailles faites à Aryat al-Fau, ville en ruine, non loin de Ryadh, douillée depuis une vingtaine d’années par les équipes de l’université du King Saud : peinture murale fragmentaire offrant l’image d’un cheval sellé et magnifique élément en bronze doré à tête de cheval, sans doute romain, provenant d’une banquette funéraire en bois de la tombe de Sa’ad ibn Malik et qui témoigne des relations de l’Arabie avec la Méditerranée antique. Plusieurs objets en bronze et en argent témoignent des brillantes civilisations de l’Iran achéménide et sassanide, avant la victoire en 642 des conquérants arabes. Plus rare, un bouclier en bois recouvert de parchemin offre l’image d’un mince cavalier monté sur un beau cheval à large croupe, jaune et portant une selle bleue et rouge. La même iconographie se retrouve sur une œuvre fragile et impressionnante prêtée par l’Ermitage, un panneau de peinture murale provenant d’un palais de Panjikent, non loin de Samarkand. Des pays du pourtour de la Méditerranée proviennent des objets mieux connus du public, figurines en terre cuite chypriotes, Horus cavalier d’époque romaine originaire de Nubie, bois peints et tapisseries coptes aux couleurs vives, ou mosaïques aux chevaux affrontés trouvées dans le caldarium de thermes privés de la région de Bizerte ou encore cet étonnant protomé de cheval en bronze, découvert à Volubilis, qui autrefois ornait le montant d’un lit. L’animal secoue la tête, ébouriffant ainsi sa crinière, tandis qu’un pampre s’enroule autour de son cou, libérant près de son œil une grappe de raisin.
La deuxième partie de l’exposition, très vaste, traite de la furûsiyya proprement dite. Cette notion englobe à la fois le cheval comme objet scientifique, ses différentes races, les soins à lui prodiguer, son dressage et les jeux d’adresse d’ordres divers, chasse, guerre et même, en raison des qualités d’intelligence et de maîtrise de soi qu’il nécessite, le jeu d’échec ! Plusieurs manuscrits, des traités aux illustrations un peu schématiques, avec des cavaliers et des montures aux couleurs vives et contrastées ressemblant à des marionnettes y sont consacrés. Le souci de l’effet décoratif prime sur l’expression. Les mouvements décrits par le texte sont décomposés par l’image et dans certain cas, comme dans l’extraordinaire manuscrit égyptien de 1474 de Saint-Pétersbourg, réalisé par Muhammad ibn Ya’qûb Khazzâm al-Khuttâlî, les pages évoquant les figures dessinées par les évolutions de plusieurs cavaliers se transforment en une étonnante composition géométrique, sorte de schéma abstrait d’une savante chorégraphie. Au regard de ces manuscrits, un grand nombre d’objets de dates et de provenances diverses, de grande qualité, parfois uniques en leur genre, illustrent tout ce qui a trait à l’harnachement du cheval et à l’équipement du cavalier. La Furûsiyya Art Foundation est le principal prêteur de cette section, chanfreins de luxe, selles, étriers, bien souvent en matériaux précieux, sont associés à des armes de toutes sortes, lames d’épées, haches, masse d’armes, boucliers, arcs, carquois et flèches, bagues d’archers. Plusieurs livres scientifiques ont pour unique objet l’étude du cheval. Parfois, comme dans le plus ancien qui nous soit parvenu, le Kitâb al-Baytara (« Traité d’hippiatrie ») d’Ibn Akhî Hizâm, de la seconde moitié du IXe siècle, il y est question de furûsiyya. Mais, le plus souvent, seul est étudié le cheval, sous tous les angles, races et qualités spécifiques, description détaillée de l’anatomie de l’animal, de ses maladies et de leurs remèdes. L’IMA expose plusieurs de ces traités qui témoignent combien, du Maroc à l’Inde en passant par l’Egypte, a toujours été vif l’intérêt pour le cheval. Cette partie de l’exposition s’achève par une section consacrée à la vision du cheval dans l’art islamique. Sont réunis là de nombreux objets, dont le célèbre cheval en bronze du Xe siècle, pièce massive provenant d’Iran, de belles céramiques en petit-feu et en lustre métallique.
La troisième partie de l’exposition traite du cheval et du prince, vaste objet lui-même envisagé sous plusieurs aspects. C’est la section qui regroupe le plus grand nombre d’objets prestigieux. Le cheval, et ceci bien avant l’Islam, est la monture privilégiée du prince. Il contribue à l’idée emblématique du pouvoir et participe aux entreprises du souverain, comme la guerre, la chasse et les jeux d’adresse. Il existe plusieurs portraits équestres, mais le plus souvent, le prince porte une arme qui renforce l’idée de pouvoir. Même s’il est présenté seul, combattant un animal, fauve ou dragon, il symbolise, par cet exploit cynégétique duquel il ressort bien sûr victorieux, le héros détenteur du bien, terrassant le mal.
C’est l’interprétation qu’il convient de donner aux pages illustrant l’autorité princière, tel le frontispice du Volume XX du Kitâb al-Aghâni (« Le livre des chants »), exécuté à Mossoul en 1219 et figurant un prince, probablement Badr al-Dîn Lu’lu, le gouverneur (Atabeg) de la région, chassant au faucon. A cette image du souverain victorieux, fait écho une importante série d’objets évoquant la parure d’apparat du prince-cavalier. Les œuvres brillent des feux renvoyés par l’or, l’argent, les perles et les pierres précieuses qui les ornent.
Le nom de la Furûsiyya Art Foundation est attaché à tout un ensemble de rares ornements de bride provenant de l’Espagne nasride et encore au Yatagan sorti de l’atelier impérial ottoman, ayant appartenu à Ahmed ibn Hersek Khân (1456-1517), fils du grand duc d’Herzegovine, qui connut une brillante carrière de dignitaire sous Mehmet le Conquérant, Bayazid puis Selim Ier. Devenu grand vizir, il épousa en 1481 l’une des filles du sultan. Capturé à la bataille de Lépante en 1499, il participa à celle de Chaldiran contre les iraniens en 1541.
Le cheval, un héros littéraire
Quinze pièces tout à fait prestigieuses ont été prêtées par le musée du Kremlin. Elles sont d’origine turque, sauf sans doute deux d’entre-elles, réalisées en Russie dans le goût oriental si prisé alors et elles proviennent toutes du Trésor impérial qu’enrichissaient les cadeaux diplomatiques et les acquisitions des marchands accompagnant les ambassades. Ce sont pour la plupart des pièces du XVIIe siècle, mais exécutées dans l’esprit du XVIe.
La quatrième partie, la dernière à présenter des œuvres islamiques, aborde un nouveau volet de l’utilisation du cheval, celui où il devient une sorte de héros littéraire. Le Coran le mentionne et le place dans l’ordre de la création divine. N’oublions pas également que certaines légendes lui accordent des lettres de noblesses : d’origine surnaturelle, il est la monture d’Allâh, il descendrait également des chevaux ailés de Salomon. D’extraordinaires manuscrits, folios et pages d’album, illustrent plusieurs aspects de la littérature du monde de l’Islam en commençant par celle à caractère religieux et mystique. Quatre grandes pages d’un Fâlnâma, livre de bibliomancie, mettent en scène Jésus accomplissant des miracles et Muhammad monté sur al-Burâq, animal fabuleux qui, en une nuit, le conduisit, accompagné de l’archange Gabriel, de la Ka’ba à Jérusalem et de là jusqu’au trône de Dieu. Sont également exposés un livre d’astronomie, science fondamentale de ce monde immense où caravanes et bateaux sillonnaient les routes de pèlerinage et du commerce de la Méditerranée à la Chine et des exemplaires du Livre des merveilles de la création où sont passées en revue, classées par espèces, les créations célestes et terrestres où se mêlent observation scientifique et images visionnaires. D’autres volumes fragmentaires évoquent la littérature poétique, mais le chef-d’œuvre, ou l’un des chefs-d’œuvre de l’exposition est incontestablement la série de 14 folios provenant du somptueux Shânâma confectionné à Tabriz pour Shâh Tahmâsp vers 1535, par les artistes de son célèbre atelier des arts du livre. Le manuscrit, après une longue histoire, tomba aux mains d’un collectionneur américain qui, dans les années 1970, le démantela. Il y a peu, la République islamique d’Iran échangea les 118 folios restants contre un tableau de Willem de Kooning. Le Shânâma, « Le Livre des Rois », composé vers l’an mil par Firdawsi en Iran oriental, est au cœur de l’âme iranienne et les pages présentées, luxueuses, aux délicates couleurs sur lesquelles tranchent le bleu du lapis, l’or et l’argent illustrent l’une des plus brillantes périodes de l’art du livre iranien.
Contrairement à l’exposition qui devait se dérouler à Riyadh, L’IMA s’ouvre sur le monde occidental. Une section documentaire, où sont présentées la campagne d’Egypte par Bonaparte et la conquête de l’Algérie, fait le lien avec une salle où le visiteur, après avoir vu d’innombrables chevaux de taille minuscule est accueilli par une harde, qui par contraste, semble presque grandeur nature. L’IMA a choisi, avec raison, non pas des peintures orientalistes au sens courant du terme, mais des œuvres du début du XIXe siècle, de Gros, Géricault, Delacroix, Chassériau et quelques-unes, plus anecdotiques tout en étant de grande qualité, de Moreau et Fromentin. Ce ne sont plus là des chevaux délicats, blancs, roses et bleus, parfois peints en rouge, comme en Inde, qui semblent tout droit sortis de rêves ou de contes, mais des animaux de chair et de sang aux yeux exorbités, qui se contorsionnent sous l’effort, faisant saillir leurs muscles et leurs veines. Ce sont pourtant des coursiers arabes, et la juxtaposition de ces œuvres, toutes splendides, permet de deviner un peu les différences de sensibilité qui séparent encore le monde oriental et le monde occidental.
L’exposition « Chevaux et cavaliers arabes dans les arts d’Orient et d’Occident » est ouverte du 26 novembre au 30 mars, du mardi au dimanche de 10h à 18h. Plein tarif : 8 euros, tarif réduit : 6 euros. Institut du Monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris, tél. 01 40 51 38 38.
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L’Orient au galop
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°542 du 1 décembre 2002, avec le titre suivant : L’Orient au galop