Le temps semble faire sens de lui-même. Regardons une page blanche assez longtemps et nous finirons probablement par y trouver les raisons profondes qui fondent notre existence.
Aussi, il faut du temps pour qu’une phrase soit prononcée, écrite et lue, traduite d’une forme ou d’une autre. Il faut le temps de l’exprimer et le temps de la déchiffrer pour qu’elle infuse sa pensée, sa sensation, son regard dans l’esprit d’un autre. Le sens qui s’y produit, à sa suite, est un phénomène en action, un reflet du monde extérieur qui surgit, qui s’allume depuis l’essence des mots. Il y renaît de leurs cendres. Jaillissant depuis l’influx des sens, il s’y relie tour à tour aux significations, aux interprétations, jusqu’à y imprimer son image propre. Le sentiment de faire sens, lui-même, cette lumière dans l’âme, se résume à une impression qui permet de faire sien le monde à l’intérieur de soi, littéralement l’emporter avec soi, le comprendre. C’est aussi tout l’enjeu de la poésie : l’activité de l’esprit sur le monde. Et si l’image poétique se nimbe d’une sensation de compréhension, par les signes, par les mots, par-delà des mots, la littérarité d’une œuvre peut se mesurer à sa capacité d’évocation dans l’univers intérieur du lecteur. Au point de rencontre de ce temps et de cet espace, à la rencontre des mots et de l’image, le Jour bleu de Tahar Ben Jelloun et Thomas Dhellemmes fait la part belle à cette poésie de la photographie, à cette puissance d’imagerie du texte. Jetant le flou entre la temporalité de la langue, qui l’oblige d’être ordonnée et linéaire, et l’immédiateté de l’image, qui lui impose d’être composée et définie, le contraste estompé des deux brouille les lignes. Images narratives, les photographies usent de l’imprécision, d’un bleu fondu, des hors-champ, des contours passés ; et de la durée propre qu’il faut pour les décrire, s’en faire un tableau, il se construit un récit. Poèmes visuels, les textes manuscrits dessinent un espace de suggestion ; et de la plongée dans la temporalité du souvenir naissent les images communicatives, le regard d’un peintre, la trace d’un écho. C’est durant cet espace d’imprécision qu’émerge de la poésie une image qui donne à l’expression du monde le temps de prendre son sens.
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Tahar Ben Jelloun et Thomas Dhellemmes,
Jour bleu, Cercle d’art, 152 p., 49 €.
Cet article a été publié dans L'ŒIL
n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : L’espace d’un écho