Les ventes publiques d’art contemporain
ne semblent pas connaître la crise que subissent d’autres secteurs du marché. Si aux États-Unis et en Grande-Bretagne c’est l’euphorie, en France le marché est cependant plus mesuré.
A New York, la cote de Basquiat rattrape celle de son idole, Andy Warhol. Le 12 novembre dernier chez Sotheby’s, Basquiat se place en troisième position derrière de Kooning et Rothko avec 4,6 millions de dollars obtenus par Two Heads on Gold. À Paris en décembre, il enregistre un record français à 552 000 euros frappés par Jean-Claude Binoche sur Brown Face. Cet écart se retrouve dans les totaux obtenus par les ventes spécialisées : 1,59 million d’euros chez Artcurial les 9 et 10 décembre et
1,32 million d’euros chez Tajan le 25 novembre. Outre-Atlantique, le New York Times titrait A Fast and Furious Contemporary Art Sale pour saluer les 62 millions de dollars atteints, en cinquante-sept lots le 11 novembre chez Christie’s avec pas moins de onze records mondiaux décrochés. Même son de cloche chez Sotheby’s le lendemain avec 74,5 millions de dollars en cinquante-cinq lots et sept records du monde. Les chiffres sont suffisamment éloquents pour distinguer une dimension internationale d’une autre plus régionale. D’un côté des ventes regroupant un petit nombre d’artistes disputés à des hauteurs vertigineuses, de l’autre une offre plus large accessible à un public plus important. De fait, l’audience des ventes d’art contemporain en France est loin de se limiter à des enchérisseurs nationaux, mais plus largement européens et dans une certaine mesure américains. L’offre en France est également plus éparpillée, seules quelques maisons de ventes organisant des ventes spécialisées, les autres incluant l’art contemporain dans des catalogues généralistes, comme c’était le cas du tableau de Basquiat.
Les écarts observés se retrouvent dans les cotes des artistes français et américains. Selon l’indice Artprice, 100 euros investis en 1993 dans les nouveaux réalistes valent 168 euros en 2003. Pour le Pop Art, la plus-value s’élève à 311 euros. La collection Annie Ronchèse, principalement composée d’œuvres des nouveaux réalistes rapportait 3 millions d’euros, frais compris, le 4 décembre à Drouot-Montaigne chez Piasa. Une peinture d’Yves Klein de 1961 décrochait même un record mondial pour une œuvre de ce type, à 330 664 euros. Un succès dû en grande partie à l’appétit des collectionneurs français. C’est un fait, l’art contemporain français peine à s’exporter, et cela concerne aussi bien un mouvement historique comme le nouveau réalisme que des expressions plus contemporaines. En l’absence de locomotive créatrice susceptible d’obtenir une audience internationale, difficile pour la France de sortir de son rôle d’acteur régional.
La vacation du 12 novembre chez Sotheby’s est la seconde plus importante vente d’art contemporain réalisée par cette maison de vente depuis 1989. Faut-il avoir peur de voir ressurgir l’hydre spéculatif ?
Pas si sûr. Selon Christophe Durand-Ruel, expert chez Christie’s : « La situation est très différente. À la fin des années 1980, les gens achetaient avec de l’argent emprunté aux banques pour revendre en dégageant un profit. Maintenant, ils achètent pour leur plaisir, et avec leur argent. Ils sont forcément plus vigilants. » Chez Sotheby’s, Florence de Botton renchérit : « Ce qui est nouveau, c’est qu’il n’y a pas d’idée de placement dans ces achats. Je dirais qu’ils jouent plutôt un rôle de critère d’appartenance à une certaine élite. » Ces deux experts arrivent au même constat : le marché est certes dynamique, mais aussi très sélectif. Seul le meilleur trouve preneur à des prix très élevés, les œuvres moyennes restant dans la fourchette de leurs estimations ou tout simplement invendues. Par rapport aux années 1980, les records ne tirent pas toutes les œuvres d’un artiste. « Les acheteurs savent raison garder, souligne Christophe Durand-Ruel, et ils achètent en connaissance de cause. Ils sont très bien informés. »
Si les valeurs sûres – Rothko, Warhol ou Basquiat – enregistrent des prix soutenus, certains jeunes artistes sont tout aussi disputés. Médiatisé par Vuitton, Takashi Murakami décrochait 500 800 dollars le 12 novembre chez Sotheby’s avec Nega Mushroom, une toile de 2000 en provenance d’une collection française. Le lendemain, Coco, une sculpture en résine peinte haute de quatorze centimètres et éditée à deux cents exemplaires en 1999, montait à 27 500 dollars. Un prix fulgurant pour un multiple acheté quelques centaines de dollars au Japon il y a moins de cinq ans. Même constat à Paris en décembre chez Artcurial où vingt sérigraphies achetées 100 euros pièce sur le stand d’Emmanuel Perrotin à la Fiac en 2002 partaient à 15 000 euros. Regrettons seulement que Nega Mushroom se soit vendue à New York plutôt qu’à Paris, le droit de suite de 3 % étant un élément supplémentaire en faveurs des places étrangères.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les deux vitesses de l’art contemporain
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Les deux vitesses de l’art contemporain