On l’a longtemps affublée de sobriquets un peu ridicules comme « la connétable de la pacotille » ou « la reine des boutons », pensant qu’elle ne régnait que sur un monde bien parisien de fanfreluches. L’œuvre de Line Vautrin, qui a toujours eu ses inconditionnels, a été minimisée, vécue très superficiellement de son vivant. Consécration au Musée des Arts décoratifs à Paris.
On l’a couverte de louanges comme l’on dit à une petite fille « comme tu es mignonne ! », oubliant de la considérer et de considérer son travail. On a décidé une fois pour toutes qu’elle incarnait à merveille ce monde charmant de l’éternel féminin, avec ses attributs de la coquetterie lovés sur les coiffeuses ou dans les boudoirs, avec son univers précieux de falbalas, de bimbeloterie, de bijoux « fantaisies »... La frivolité, en un mot. Pour les uns, elle n’était pas un vrai bijoutier digne de la haute joaillerie, pour les autres elle n’était pas artiste, juste un talentueux artisan. Ainsi fut escamotée une œuvre inventive et protéiforme. Voyant la reconnaissance tarder, et l’exposition tant désirée et promise aux Musée des Arts décoratifs ne pas venir, Line Vautrin organisa en 1986 la vente d’une grande partie de son fonds de bijoux et d’objets en bronze, à Drouot. Cela fit l’effet d’un petit tremblement de terre. Beaucoup se réveillèrent. On parla de « redécouverte », ce fut en réalité une vraie découverte ! Le marchand anglais David Gill l’exposa à Londres, plus tard Naila de Monbrison à Paris. L’écrivain-éditeur Patrick Mauriès lui consacra deux livres en 1992 et 1994. On s’étonna de tant de fraîcheur, d’imagination, d’intelligence dans les formes comme dans les matières. Elle eut ainsi son heure de gloire avant de mourir, toujours au sein d’un petit cercle d’initiés. Aujourd’hui cela ressemble à la consécration : une exposition, enfin, au Musée des Arts décoratifs de Paris, et des antiquaires émoustillés qui se damnent pour retrouver des cadres, des lampes, des miroirs et mille autres parures ensorcelantes dont les prix ne cessent de grimper.
Des miroirs aux pouvoirs magiques
On peut enfin admirer sa créativité si personnelle, ce mélange de naïveté et de finesse, son attirance pour le mystère, son goût des contrastes (marier le mat au brillant), son sens populaire et son esprit, sa drôlerie, la variété de ses langages, la sensibilité de ses matériaux qu’elle utilise souvent à contre-pied. Ou qu’elle invente comme ce fameux Talosel (qu’elle appela longtemps Oforge : eau forge), matière synthétique à base de résine qu’elle utilise, soit telle quelle mais grattée, griffée, poncée, patinée ou matie pour en faire certains cadres de tableaux et même d’étonnantes tables ; soit malaxée et sculptée au feu, pour sertir des éclats de miroirs colorés dont elle fait beaucoup de bijoux mais aussi les bordures de ces miroirs bombés que l’on nomme « sorcières » à cause de leurs supposés pouvoirs magiques.
L’alchimiste du pauvre
Avant la découverte du Talosel – qu’elle fait breveter –, Line Vautrin s’adonne déjà à la magie. Elle a le goût de l’assemblage inédit et du détournement. Fille et petite-fille de fondeur, elle a les mains délurées et les doigts agiles, « enfant, je me vois ajustant des brindilles. » Du genre bricoleuse qui sait tout faire à partir de « petits riens ». Cette inventivité sauvage lui restera et cette autodidacte gardera jusqu’à la fin un net penchant pour l’insolite. Comment faire rêver et oublier les années d’Occupation avec justement rien ? Elle sera l’alchimiste du pauvre. Les années 40 amorcent le retour de l’or jaune après la « joaillerie blanche » des années 30, mais aussi des thèmes naturalistes, des formes arrondies et asymétriques, des fleurs et des bestiaires. À défaut d’or, Line Vautrin fait des bijoux galbés en bronze doré. Coco Chanel avait déjà mis au goût du jour la mode des bijoux « fantaisie », mais ils étaient des « faux », copies de vrais ! Schiaparelli s’était aussi lancée dans le bijou surréaliste. Line Vautrin est plus modeste. Ses bracelets articulés, ses cache-chignons en résille dorée, ses fermoirs, ses bijoux de revers ou d’épaules, ses boutons... bref une multitude d’accessoires qui sont aussi bien en bronze doré, argenté, gravé, qu’en ardoise, en ivoire sculpté, en perles soufflées, en nacre blanche ou grise, en émail, en céramique. Il faut compenser l’absence de pierres précieuses et Line Vautrin a un faible pour les matières dites « pauvres ». Elle aime avant tout expérimenter. Telle une pie voleuse, elle utilise tout ce qui brille. Mais cette pacotille là n’est pas anodine. Elle trompe l’œil mais elle raconte des histoires. Des histoires empruntées aux traditions populaires, aux contes de fée, aux ritournelles, aux mythes et aux ornements de l’Antiquité, au symbolisme médiéval ésotérique. Et à toute une mythologie personnelle aux dessins poétiques stylisés de manière enfantine. Dans les vingt-six pièces de son hôtel particulier de la rue Vieille-du-Temple « qui avait appartenu jadis au trésorier-payeur de Louis XVI », où elle fait travailler des années 40 à 60 une quarantaine d’ouvriers, elle peut à l’aise « se coltiner à la matière ». Pour le sautoir Barbe Bleue, elle conçoit d’une part une longue barbe articulée en émail bleu, d’autres part six femmes, la septième étant celle qui porte le collier. Elle s’inspire énormément de la nature, du soleil et de la lune, mais aussi de la mer, des feuilles, des gouttes, des clochettes comme celles des eucalyptus qui deviennent autant de breloques et de pampilles. Avec sa gouaille à la Arletty, elle s’intéresse autant aux petits cochons qu’au Petit Poucet. Par exemple, un de ses pendentifs est composé de cinq moutons posés tête-bêche les uns sur les autres, se terminant par une tête de bélier : c’est le collier Saute-mouton !
Historiettes et rébus
Elle travaille surtout le dessus de ses boîtes, sur lesquels elle égrène ses historiettes et ses rébus. C’est à l’acquéreur de les déchiffrer avec patience. Elle joue beaucoup au jeu des associations. Elle regroupe par analogie idées et images, images et formes. Elle inscrit parfois des fragments de poèmes de Claudel, de Valéry ou de Charles Péguy. Ces boîtes, grandes ou petites, sont vibrantes de vie. Line Vautrin n’emploie pas de fonds lisses mais ondoyants, striés. On y devine les traces de martèlement évoquant on ne sait quelles écritures cunéiformes ou archaïques. Elles sont plissées de lignes sinueuses, de hachures parfois de spirales. Jusqu’aux nervures des feuilles, tout est mouvant dans cet univers curieusement à la fois aquatique et solaire... C’est le fameux « rythme » qui la caractérise : « ... l’instinct se traduit par le rythme, l’intelligence par l’affabulation qui s’y greffe, volontaire ou non, et la sensualité par le modelage en plasteline puis en plâtre. »
PARIS, Musée des Arts décoratifs, 10 mars-30 mai.
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Les bijoux-rébus de Line Vautrin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°504 du 1 mars 1999, avec le titre suivant : Les bijoux-rébus de Line Vautrin