Pour sa quatrième édition, ArchiLab a dédié sa recherche de l’architecture la plus expérimentale à l’« Economie de la Terre ».
La problématique de l’environnement s’est en effet suffisamment élargie pour qu’elle intègre une approche globale des nouvelles images et de la biosphère.
Peu d’historiens de l’architecture ou du paysage se sont attachés à mettre en évidence l’adéquation ayant accompagné la détérioration de l’environnement mondial et les progrès techniques et scientifiques. C’est pourtant là une histoire passionnante à travers laquelle on réalise combien ces deux aspects ont parties liées. Ainsi, depuis la Seconde Guerre mondiale, vecteurs de la futurologie, la vulgarisation scientifique et la science-fiction nous ont habitués par les médias à « fictionnaliser » le monde occidental dans une mythologie du progrès, de l’industrie et de la consommation. La cybernétique, la génétique, la télévision – tous ces domaines qui ont vu le jour sur fond d’actualité de guerre froide, de décolonisation, de conquête spatiale et de retour à la terre – ont fait du Monde le point de départ de « Nouvelles Frontières ».
Mais de la même manière que la nature du Land Art et le clinquant du Pop Art résument à eux seuls cette période héroïque du monde anglo-saxon à l’époque, la pauvreté et la radicalité de l’Arte Povera et l’Architecture Radicale – selon les deux expressions de Germano Celante – relativisent ces utopies techniques, parmi d’autres performances et happenings, à la lumière d’une critique dont Mai 68 est l’avatar le plus symbolique. Conquête spatiale d’un côté, retour à la terre de l’autre, tel serait le paradoxe de la condition de l’homme moderne. Cette période émergente de l’information numérique et génétique que furent les années 60 est aussi celle où la notion d’« environnement » prit pleinement toute son ampleur comportementale.
Alors que la notion de biosphère naquit en 1926 sous la plume du géographe russe Vladimir Vernadsky, l’acception anglo-saxonne contemporaine (1964) définit l’environnement comme « l’ensemble des conditions naturelles (physiques, chimiques, biologiques) et culturelles (sociologiques) susceptibles d’agir sur les organismes vivants et les activités humaines ».
Greenpeace et la Société de l’information
En son sein, le Village Global de Mc Luhan permit à 600 millions de téléspectateurs d’assister à ce grand pas pour l’Humanité que donne à voir l’empreinte de la moon boot de Neil Armstrong ; Buckminster Fuller parla alors de la Terre comme d’un vaisseau spatial ; Lovelock évoqua la Terre comme un être vivant (Gaïa) et Hans Jonas mit en scène la nouvelle responsabilité qui nous incombait à l’égard des « générations futures ».
Il en va de même des utopies d’Archigram qui, derrière les environnements induits par les mass média, la conquête spatiale et une nature édénique régénérée par les cyber-écologies de Richard Brautigan, font joyeusement contraste avec les projets de Superstudio. Malgré quelques références à L’Odyssée de l’espace de Clarke et Kubrick, Superstudio n’en soutient pas moins en effet un discours critique de la société, de l’homme et de l’amour comme chez Debord, Marcuse et Rougemont. Nous parvenons à une échelle « planétaire » de l’aménagement du territoire ; les télécommunications prolongent les grandes vitesses et les longues distances initiées par les transports aériens ; la mondialisation de l’économie intègre à la fois les valeurs technologiques et la délocalisation du travail ; on appréhende la Terre comme un écosystème global.
L’architecture entre de plain-pied dans une « économie de la Terre » d’où il apparaît qu’on ne peut précisément pas, de la Terre, faire l’économie. Aujourd’hui, le Village Global, relayé par l’explosion quantitative des supports médiatiques, a donné naissance à l’empire Microsoft de Bill Gates et aux Autoroutes de l’Information d’Al Gore ; Mars nous semble plus lointain que prévu ; le discours environnementaliste s’inquiète des conséquences du réchauffement de la planète ; l’agroalimentaire et la médecine surveillent le développement des OGM et le devenir sanitaire de la vache folle ; quant aux ONG, elles se substituent à la déficience humanitaire que l’exode rural, la surpopulation, les catastrophes naturelles, les maladies, les guerres et l’économie mondiale entretiennent...
C’est pour ces raisons que l’architecture contemporaine a donné lieu à de nombreux rejetons de microcosmes planétaires.
Ce à quoi donnent lieux les fictionnalisations de la société de l’information relayée par ses autoroutes : profusion de documentaires télévisés exotiques, tourisme de masse, etc. Autant de « bulles spéculatives » qui font dire aux uns et aux autres que nous vivons dans une nouvelle économie domestique, celle où le Foyer, planétaire et précaire, est assimilable soit à un « Jardin planétaire » pour le plus optimiste des paysagistes (Gilles Clément), soit à un « Parc humain » pour le plus vigilant des philosophes (Peter Sloterdijk). On ne s’étonnera donc pas de voir ce double discours technophile envahir l’architecture contemporaine, par-delà le Biodômes de Buckminster Fuller à Montréal, la Biosphère 2, les Center Parcs et l’Eden Park récemment réalisé par Nicholas Grimshaw.
Mini-biosphères artificielles donc qui, comme les serres des grandes métropoles européennes du XIXe, avec leur architecture de fer et de verre – ou comme dans les esthétiques de chantiers nomades de Constant ou d’Alain Bublex –, ouvrent à une nouvelle anthropologie de la nature domestiquée (Philippe Descola).
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les bâtisseurs de l’écologie
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°537 du 1 juin 2002, avec le titre suivant : Les bâtisseurs de l’écologie