Église

Le miracle des grandes peintures de Notre-Dame

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 26 novembre 2024 - 935 mots

Dispersées après la Révolution, décrochées par Viollet-le-Duc, les peintures de Notre-Dame de Paris ont connu une histoire tumultueuse, qui a sans doute nui à leur notoriété. Elles se retrouvent enfin en pleine lumière, après une restauration exceptionnelle.

Pendant que les flammes s’élevaient dans le ciel de Paris, les personnages peuplant les grandes peintures de la cathédrale pensaient sans doute périr dans l’incendie. Le soir du 15 avril 2019, dans la cathédrale en flammes, les pompiers sont parvenus à décrocher deux peintures, les seules qui pouvaient l’être. « J’étais avec eux dans la sacristie », raconte Marie-Hélène Didier, conservatrice des monuments historiques au sein de la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) d’Île-de-France. Le lendemain, elle est retournée sur les lieux. « Je m’attendais à ce que les œuvres soient noircies par la suie. » Il n’en fut rien. Les Pietà, les bergers, les apôtres et autres saints des peintures sortis indemnes de l’incendie ont dû être décrochés pour la durée du chantier de restauration, soit 22 grandes peintures ornant Notre-Dame – 13 Mays et 9 autres peintures des plus grands artistes du XVIe au XVIIIe siècle. Abîmées par le temps, elles ont pu être restaurées. Aujourd’hui, elles ornent à nouveau la cathédrale pour être enfin redécouvertes par les visiteurs.

Redécouvertes ? Sans doute en effet avait-on peu entretenu leur mémoire. Réalisées par d’illustres artistes, de Hieronymus Fancken à Étienne Jeaurat en passant par Ludovico Carrache, Carle Van Loo, Laurent de La Hyre ou Charles Le Brun, ces peintures ont été dispersées pendant la Révolution, puis décrochées par Viollet-le-Duc avant que certaines d’entre elles ne retrouvent leur place en 1943. Il a cependant fallu l’incendie de 2019 pour que ces œuvres, qui constituent pourtant une collection unique en France, soient restaurées et remises en lumière.

Les surprises de la restauration

Exceptionnel, le chantier a mobilisé durant deux ans, autour des équipes de la Drac Île-de-France, plus de cinquante restaurateurs, avec le soutien du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Les plus grandes toiles mesuraient plus de 4,5 mètres. Les plus petites à peine moins de 3 mètres. Il a fallu une dizaine de personnes pour descendre les plus grandes. Mais surtout, afin de prendre soin des 22 grands tableaux en même temps, le plus grand défi a été de trouver et d’aménager un lieu pour les stocker et les restaurer. « Nous tenions à ce que la restauration soit menée par une seule équipe, d’une part afin de nous assurer qu’elle soit homogène, et de l’autre, pour mieux centraliser et croiser les questions et les informations recueillies au long des différentes étapes », explique Marie-Hélène Didier. Chacune des étapes de la restauration a apporté en effet des informations nouvelles, sur leur processus de création comme sur l’histoire matérielle des œuvres. Un exemple ? Lors du diagnostic, enrichi par un dossier d’imagerie et de recherches historiques constitué par le C2RMF, les infrarouges ont mis en valeur, sur une Visitation d’Étienne Jeaurat, un large repeint dans le ciel, avant que le nettoyage du tableau ne révèle qu’une restauration ancienne avait involontairement mis au jour une figure que l’artiste lui-même avait choisi de recouvrir.

Sous les vernis jaunis

C’est la deuxième étape, celle du nettoyage, qui a été la plus spectaculaire. Le retrait des vernis jaunis et des retouches dégradées a fait ressortir les couleurs et les contrastes, comme il a mis en évidence des éléments masqués lors de précédentes restaurations. Ainsi, la restauration de La Conversion de saint Paul de Laurent de La Hyre, a mis au jour la touche du peintre : « La plume du casque du soldat est constituée de petites touches superposées, en relief, absolument fascinantes », rapporte Marie-Hélène Didier. Celle de L’Adoration des bergers de Fancken a dévoilé la présence d’un petit chien, invisible auparavant, tandis que les blancs de La Nativité de la Vierge de Mathieu et Louis Le Nain, qui étaient devenus jaunes, ont retrouvé leur éclat. Une fois cette étape achevée, c’est l’envers de la toile, c’est-à-dire le support, qui a été restauré, avant la réintégration de la peinture, au cours de laquelle ont notamment été appliquées des retouches colorées permettant de rétablir les motifs manquants et de redonner sa continuité à la composition. Après l’application d’une ou plusieurs couches de vernis, les tableaux étaient prêts à être réencadrés. Ils ont ensuite pu reprendre leur place dans la cathédrale, dans leurs cadres, qui ont également bénéficié d’une restauration.

Le fabuleux destin des Mays de Notre-Dame 


À partir de 1630 et jusqu’en 1707, chaque année, au premier mai – qui s’écrivait alors « may », origine du nom des Mays de Notre-Dame –, la confrérie des orfèvres parisiens offrait un tableau monumental, dans lequel un grand artiste figurait une scène des Actes des apôtres. Par ailleurs, au début du XVIIIe siècle, alors que la confrérie cesse cette pratique et que le chœur de la cathédrale est réaménagé par Louis XIV pour honorer le vœu de son père Louis XIII, celui-ci est décoré de huit grandes peintures illustrant la Vie de la Vierge, réalisées par les meilleurs artistes de l’époque. Au moment de la Révolution, ces tableaux sont déposés au Musée du Louvre et au château de Versailles, ou sont dispersés dans toute la France. En 1821, 21 Mays reviennent dans la cathédrale. Mais en 1844, Eugène Viollet-le-Duc entreprend la première restauration de Notre-Dame. Seules quatre peintures demeurent sur place ; les autres sont envoyées au Louvre. Il faut attendre 1943 pour que ces dernières retrouvent la cathédrale, grâce aux efforts opiniâtres de Pierre-Marie Auzas, inspecteur des monuments historiques. Au moment de l’incendie, 13 Mays sur 76 au total étaient toujours présentés dans la cathédrale.

Marie Zawisza

À LIRE
Collectif, « Grands décors restaurés de Notre-Dame de Paris »,
Silvana Editoriale, 2024, 112 p., 15 €. Ce très bel ouvrage raconte les étapes de la constitution du décor de Notre-Dame, depuis la collection des grands Mays inaugurée en 1630 jusqu’aux XIXe et XXe siècles, et présente chacune des œuvres.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : Le miracle des grandes peintures de Notre-Dame

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