Marques prestigieuses, éditeurs méconnus du public, créateurs de plus en plus médiatisés et mis en avant dans l’argument commercial... L’univers du meuble design joue d’images diverses. Dressons le panorama d’un secteur en pleine évolution.
Sous l’appellation mobilier design coexistent plusieurs réalités de produits et de marchés. Les « antiquités » sont pour l’essentiel des pièces qui ne sont plus éditées ou qui sont, pour le moins, des exemplaires vintage d’origine. Les designers architectes les plus recherchés sont aussi célèbres que Prouvé, Le Corbusier ou Frank, qui trouvent donc désormais place chez les marchands d’art et attisent l’intérêt de collectionneurs.
Reste que leurs lignes, souvent très avant-gardistes pour les époques qui les ont vu naître, ne se démodent pas. Ces « classiques » du design sont devenus des valeurs sûres stylistiques : il est impossible de n’avoir jamais croisé une chaise ou un fauteuil de Charles et Ray Eames réédité par l’Allemand Vitra. Chez Cassina, la collection I Maestri, réunit des meubles de six illustres créateurs dont le fabriquant a racheté les droits de reproduction exclusifs. Depuis 2004, la signature de Charlotte Perriand a rejoint celles de Rietveld, Le Corbusier, Mackintosh, Asplund et Wright. Ces rééditions ne sont pas la seule activité de l’éditeur italien mais participent indubitablement de son prestige.
Le catalogue de la maison américaine Knoll est entièrement constitué de pièces de cette teneur historique. Le fabriquant, spécialisé dans les meubles d’architectes, poursuit la commercialisation de modèles qu’il a lancés. Ainsi, la célèbre collection Barcelona (ill. 4) de Mies Van der Rohe a récemment fêté ses soixante-quinze ans. À l’exception de l’ensemble de salon Krefeld dessiné par l’architecte en 1928 et que Knoll a édité pour la première fois en 2004, aucune nouvelle pièce n’avait été introduite dans le catalogue depuis la ligne de Frank Gehry en 1989 (ill. 5).
La création contemporaine
La création contemporaine de meubles peut se résumer en trois étapes majeures : la conception et le développement d’un projet, sa production puis sa diffusion. « Le design est affaire de médiations, affirme Sabine Sautter, directrice de la galerie Haute Définition. Ces médiations interviennent en plusieurs temps, d’abord dans la matérialisation du projet, puis dans le fait que cet objet est fait pour être utilisé, qu’il a une fonction. On a tendance à oublier que le geste du designer n’est pas libre. Son projet est pris en compte par une équipe de fabrication qui peut être très artisanale comme véritablement industrielle. »
Cette différence d’échelle pourrait suffire à faire la distinction entre un éditeur de meubles et un fabricant. Pour Alain Lardet, président des Designer’s days, c’est surtout dans la qualité du lien qui unit les deux acteurs que se situe la distinction : « L’éditeur est dans un rapport de maïeutique avec le designer, qui donne naissance à un meuble réalisé par des artisans ou des petits industriels. Les fabricants possèdent généralement leurs propres outils de confection. Mais les schémas ne sont ni figés, ni exclusifs, et les deux activités ne sont certainement pas incompatibles. » La collaboration entre Pierre Charpin et la Design Gallery associée à Haute Définition dont les fruits sont exposés dans la galerie parisienne s’inscrit parfaitement dans cette description du rôle de l’éditeur. Cependant, quand Jean-Marie Massaud (ill. 2 et 3) crée une nouvelle ligne pour l’Italien Cassina, le designer parle d’une « aventure humaine, un partage de vision dont l’objet est le résultat. Il aura fallu trois années pour mener à bout ce projet dont le développement a été conduit en équipe ». Qu’importe donc la taille de l’entreprise ou l’envergure de sa réputation. Tout est affaire d’esprit. Cappellini illustre précisement cette situation, puisque la maison italienne quoique de dimension et de réputation internationales, est considérée comme éditrice (ill. 6 et 7).
L’identité des grands fabricants de mobilier est souvent liée à des savoir-faire et des spécificités technologiques. La réputation de l’Italien Poltrona Frau ne peut être détachée de son excellence dans le travail du cuir, les vastes canapés étant depuis toujours des best-sellers de la marque. Chez Kartell, le plastique est roi. Les bibliothèques de Ron Arad déclinées en nombreuses tailles et couleurs, les lampes Take de Ferruccio Laviani et surtout les assises de Philippe Starck comme les chaises La Marie, Louis Ghost et Ero/s/ (ill. 8, 9 et 10) sont du nombre des icônes du fabricant italien. Chez Cassina, les points forts sont à chercher historiquement dans le travail du bois et de la tapisserie, même si la marque s’illustre également dans d’autres techniques (ill. 1).
Éditeurs et fabricants en France
En France, les éditeurs et les fabricants sont peu nombreux. Le plus important, tant du point de vue de la production que de la diffusion, est le groupe Roset. Deux marques, Ligne Roset et Cinna, correspondent à des catalogues différents. Si jusqu’à récemment l’identité de la première était moins ouvertement contemporaine et « design » que la seconde, cet état de fait a évolué, la marque proposant depuis le milieu des années 1990 de plus en plus de meubles issus de partenariats avec des designers. La collaboration principale et fidèle, avec Didier Gomez, s’est matérialisée par une vingtaine de gammes. D’autres personnalités sont intervenues ponctuellement dans le catalogue, comme Christian Ghion ou Ronan et Erwan Bouroullec dont la toute nouvelle ligne Facett présentée en janvier au Salon du meuble de Paris a été très remarquée (cf. L’Œil n° 567). Cinna fêtera en 2005 ses trente printemps. La marque a toujours lié son identité à la contemporanéité de ses collections. De la collaboration intime avec Pascal Mourgue sont nées des lignes très distinguées : la gamme Lover (ill. 11) en 2003 dont les banquettes, chauffeuses et dormeuses s’enroulent et se déroulent à volonté, ou le très modulable Smala en 2000. D’autres créateurs travaillent régulièrement avec Cinna (Didier Gomez, Thibault Desombre, Éric Jourdan…) et la maison fait également appel à de jeunes talents comme l’Israélien Arik Levy qui signe entre autres Needle, une collection de tables basses.
Éditeurs de mobilier contemporain, Samuel et Annick Coriat ont créé Artelano en 1973. Ils multiplient depuis les collaborations avec de grands noms du design international. La chaise Rio et le canapé Shangaï de Pascal Mourgue, la collection Café Marly d’Olivier Gagnère, les tables Little Sisters de Lissoni Associati et le canapé Palm Springs de Christophe Pillet sont du nombre de leurs plus belles réussites. Au catalogue 2005 figurent de probables succès tels que le canapé Lido (ill. 16) de Christophe Pillet, les guéridons Flora de Patricia Urquiola et Glass, une table basse et une console, premier partenariat entre Artelano et Éric Gizard.
Vingt ans après sa création, XO a su imposer sa volonté d’un design démocratique par le biais d’une matière populaire : le plastique. Que de succès pour Gérard Mialet et Jan Couacaud ! On ne présente plus le tabouret Bubu de Philippe Starck qui, depuis son lancement en 1995, se vendrait à plus de 25 000 exemplaires chaque année. Directeur artistique de la maison, le designer superstar est le créateur de plusieurs des autres grands succès de XO comme le fauteuil The Club, la chaise Slick Slick ou encore le tabouret Tooth.
Plus jeunes, Domeau et Pérès affichent l’ambition d’être la haute couture du design. Bruno Domeau et Philippe Pérès, respectivement sellier et tapissier de formation, éditent des pièces rares aux finitions exigeantes, des séries proches du sur mesure. Matali Crasset (Quand Jim monte à Paris), Christophe Pillet (Video Lounge, Nath’s sofa, ill. 13), les frères Bouroullec (les banquettes Safe rest, ill. 12) et Jérôme Olivet (table et chaise Androne) collaborent régulièrement avec eux.
Derniers venus
FR 66 n’a pas trois ans. Deux sœurs, Corinne et Maryline Brustolin, ont fondé et dirigent cette entreprise. « Nous éditons pour l’instant un projet important chaque année, détaille Maryline. Nous déterminons un cahier des charges et offrons au designer un outil de production. Parmi nos exigences principales figure le coût de la pièce qui doit rester accessible, et surtout nous demandons au créateur de travailler en liaison avec l’environnement architectural. » Fruits de ces collaborations, une quarantaine de pièces de Dominique Mathieu dont la collection Brut (ill. 15) en châtaignier non traité, des tables conçues par Jean-Marie Massaud ou encore la toute première édition de Mathieu Lehanneur en 2003, les Moulures utiles (ill. 14).
El-vis (ill. 18) pourrait bien faire le succès de Ghaadé, jeune maison d’édition qui assure la production du tabouret en plastique moulé de hauteur ajustable de Cécile Troitzky et Achille Habay. Le catalogue, encore peu épais, comprend déjà des pièces d’Inga Sempé et de François Azambourg (ill. 17).
Réjouissons-nous ! Les designers français ont depuis quelques années le vent en poupe. Collaborant avec les grandes firmes italiennes, s’illustrant dans leur production, dirigeant des projets d’aménagement et d’architecture d’intérieur internationaux, les « quadra » français sont médiatisés et productifs, promettant de beaux jours au design hexagonal.
Le designer conçoit un objet en tenant compte de son utilité, du processus industriel nécessaire à sa fabrication et de son esthétique. L’éditeur accompagne l’élaboration du projet du designer dans l’optique de sa production. Il peut également être fabricant. Le fabricant fabrique l’objet. Le diffuseur est généralement une boutique dans laquelle le public peut acquérir les objets design. Il peut s’agir d’une enseigne de fabricant (Cassina, Ligne Roset etc...) ou de magasins généralistes avec plusieurs marques (Silvera, Forum diffusion etc...).
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Le labyrinthe du mobilier design
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°568 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Le labyrinthe du mobilier design