Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.
– Tiens, regarde, je l’ai trouvé, c’est le tableau peint par Jean-François ! – Oui, tu as raison, c’est bien marqué en dessous : Jean-François Millet, L’Angélus. Tu te rends compte, le fils d’Aimée au Musée du Louvre. Elle serait fière de lui sa pauvre mère si elle pouvait voir ça. – C’est son père, le Jean-Louis, qui avait bien compris que son fils était plus doué pour le dessin que pour l’agriculture. Alors, comme il avait des relations, il lui a fait quitter Gruchy pour Cherbourg où il a bien appris le métier de peintre. – C’est vrai qu’ils avaient des relations les Millet. Et puis y’avait son oncle, monsieur le curé, un homme très savant. On les voyait tout le temps ensemble. Et le petit Jean-François, quand il gardait les moutons, je le trouvais souvent plongé dans un livre. Même qu’il a plus d’une fois failli perdre une bête, par distraction. Mais son père ne disait rien. Il savait qu’il était différent des autres, ce petit. – N’empêche, quand tu regardes son tableau, tu vois qu’il n’a pas regardé que des livres. C’est pas croyable comme c’est ressemblant. J’en ai la chair de poule, dis donc. On est venus jusqu’à Paris et me revoilà chez nous, au beau milieu de ce palais qui me faisait si peur tout à l’heure ! Tu crois que cette église c’est la nôtre ? – Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est que ce sont bien nos champs. Je reconnais la terre. C’est peint avec sentiment. On voit bien qu’avant d’en faire un tableau, il l’avait labouré, ce champ-là. Ah ça, il le connaissait de fond en comble. Regarde, on aperçoit encore bien la trace des sillons, et puis les patates, là, tout en bas, juste à côté du trident qui est planté en terre, c’est certain, c’est bien l’un des nôtres qui a peint ça. – C’est drôle, moi, quand je regarde le tableau, j’ai l’impression d’entendre la cloche de l’angélus du soir. Tu sais, ce moment où on pose nos outils, où tout le monde interrompt ce qu’il était en train de faire pour écouter la cloche et prier. Moi je l’aime bien ce moment, surtout celui du soir, parce que ça veut dire qu’on va bientôt rentrer chez soi et préparer le repas. Pourtant, je me sens un peu triste aussi, quand je le regarde, je ne sais pas pourquoi. – Il paraîtrait, c’est ce qu’on m’a dit à Gruchy, qu’il a fait son tableau en pensant à sa grand-mère qui lui manquait tant. C’est elle, quand il était petit, qui leur faisait arrêter la besogne, quand la cloche sonnait, pour leur faire dire l’angélus pour les pauvres morts. – Tu crois que c’est vrai ce qu’on raconte ? – Et qu’est-ce qu’on raconte donc ? – Qu’avant, au lieu du panier à patates, il aurait peint un petit cercueil d’enfant… – Faut pas écouter des choses pareilles ! Peut-être bien que c’est vrai, peut-être pas. En tout cas, s’il avait fait ça, il a bien fait de changer d’idée, parce que ce panier, c’est comme la brouette, il est rudement bien peint. Tu vois, moi c’est ça qui m’émeut. Dans ce tableau, on sent le travail, les heures qui passent et qui reviennent chaque jour. C’est ça notre vie. Dire qu’il en a fait un tableau ! – Oui, tu vois, moi je croyais que Jean-François, en montant à Paris il nous avait un peu oubliés. Eh bien, je voudrais pas être prétentieuse, mais ces deux-là qui prient au milieu du champ, ça pourrait bien être nous. Tu te rends compte, un peu comme un portrait de nous deux, au Louvre ! _ Tu as raison, ça pourrait bien être nous.
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Le Jour où… Millet a peint l’Angélus
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Le Jour où… Millet a peint l’Angélus