Des quatre éditions d’ArchiLab on pourra donc dégager quelques traits remarquables. Le premier est relatif à la mise entre parenthèses de l’architecture « liquide », qui, si elle vécut quelques heures de gloire dans la continuité théorique et technologique du déconstructivisme et du pouvoir de fascination des nouvelles images infographiques, semble désormais en cours de récession. Les deuxième et troisième traits mettent en valeur la manière dont l’architecture demeure plus que jamais le reflet du souhait d’une époque, l’illustration et la conjugaison de ce à quoi elle aspire, ce dont elle dispose et des images qu’elle ménage pour se projeter dans l’inquiétude ou l’espoir. En cela se mettent en scène des « modèles réduits » de l’administration du monde dont parlait Max Weber, du développement durable de l’économie de la Terre, du pilotage de son climat, de l’urbanisation galopante de son sol et de l’exploitation de ses énergies renouvelables.
Malgré tout, on regrettera dans l’exposition la sélection et quelques absences souvent contestables. Nombreux sont les projets creux ou factices – en particulier parmi les équipes françaises. Cela est fréquent, probablement normal pour les plus jeunes équipes, beaucoup moins pour les starlettes du moment. Comme l’avait dit alors (à tort) un critique des Cahiers du Cinéma à propos d’un jeune réalisateur, on pourrait en dire de même d’un nombre important de participants des quatre éditions d’ArchiLab : « retenez bien leurs noms, vous n’en entendrez plus jamais parler » ! Car il existe une petite sociologie de l’architecture qui explique cela. Elle tient en trois points : la technophilie générationnelle de jeunes architectes ambitieux voulant faire manifeste en se basant sur une philosophie (post)-déconstructiviste et se substituant à des confrères ne disposant ni du savoir, ni de l’envie, ni des logiciels permettant de produire ces projets ; le pouvoir de fascination de ces nouvelles images sur nous et les médias les relayant ; la croyance aveugle à la production industrielle qui, de la conception à la réalisation d’une filière tout-numérique, laisserait à une production formaliste une place importante dans l’économie de la construction. Aucun de ces trois points ne fait plus illusion : une certaine banalisation des images et du discours du virtuel nous blase (ou du moins ne nous fascine plus autant) ; quant à ces faux praticiens, peu se sont frottés à la réalité constructive – certains la découvrant néanmoins avec douleur, stupeur et tremblement. Et bien éphémères, décevantes et onéreuses sont leurs petites chiures : une boutique de téléphonie à Stockholm (détruite) et une chapelle à New York pour Greg Lynn ; une galerie d’art (détruite) de dECOI à Londres ; des toilettes balnéaires pour Nox ; du mobilier en style Art Déco numérique pour Objectile et casier en bois peint pour Jakob & McFarlane ; un bar branché à Melbourne par Tom Kovac ; quelques pavillons ou « musées virtuels » d’Asymptote. Autrement dit, une éloge de la fuite...
Quelques archilaborantins...
Sur fond de fin de siècle et de nouveau millénaire, nombreux ont été les propos pour anticiper ou modéliser l’avenir démographique et environnemental d’un espace vital et digital où Rhône-Poulenc nous souhaitait l’entrée dans un monde meilleur ; IBM une solution pour une petite planète et Vivendi un modèle planétaire symbolique et symbiotique de ce que pouvait devenir l’offre publique d’achat d’une transnationale sur le monde lui-même... Grand prêtre de la confrérie, Rem Koolhaas est le premier à avoir loué et analysé les mutations de la Ville Générique ; l’explosion des villes asiatiques du delta de la Rivière des Perles ; l’exode rural africain autour de Lagos ; le phénomène généralisé du « shopping » au sein d’un espace public et d’un centre ville qui n’avaient plus d’urbain que l’étymologie : en vérité des espaces privatisés par les logos et la publicités rayonnant autour des centres... commerciaux. De même, en marge d’ArchiLab, nombreuses ont été les manifestations artistiques et architecturales à renforcer cette impression de globalisation planétaire, de renfermement sphérisé de la forme symbolique perspective repéré par Foucault en marge de ce que pouvaient en dire Cassirer et Panofsky dans les années 20 et 30. L’Exposition Universelle de Hanovre en 2000, la prochaine Biennale de Venise sur l’architecture du futur et ses utopies d’ores et déjà construites, mais aussi de plus en plus d’artistes modélisant des mondes terraformés (entièrement créés de main d’homme) ou de nouveaux paysages, comme dans les panoramas d’Armin Linke et d’Andreas Angelidakis pour la Biennale de Sao Paulo (http://arminlinke.com/virtual/) ; les espaces topologiques de Matthew Barney ; les capsules de téléportation de Mariko Mori ; ou encore les remarquables pièces dans les expositions récentes d’Olafur Eliasson à l’Arc et Carsten Höller à la galerie Air de Paris. « L’économie de la Terre », si l’on tente de la percevoir dans la décevante sélection d’ArchiLab 4 nous permettra ainsi, aux côtés de quelques colloques et expositions rétrospectives, de retenir quelques noms, quelques projets, au nombre desquels ceux illustrant ce dossier et ses encarts.
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Le Goût des autres (ArchiLab)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°537 du 1 juin 2002, avec le titre suivant : Le Goût des autres (ArchiLab)