Avec quelques chefs-d’œuvre inconnus, une carrière interrompue, des tableaux détruits, absentsou inachevés, Jacques Réattu (1760-1833) est un mystère. L’exposition montée par Alain Chevalier
au Musée de la Révolution française à Vizille dévoile pourtant cet invisible Arlésien du néoclassicisme.
La nuit du 13 janvier 1793, le peintre Réattu se cache dans les rues de Rome. Il fuit. Sur le Corso, le cadavre du diplomate Hugou de Basville qui administrait alors l’Académie de France, assassiné par la foule en émeute, gît encore sur le seuil du Palais Mancini, qui était le lieu de résidence des artistes français. Réattu est aristocrate sans l’être. Bâtard d’un artiste amateur, Guillaume de Barrême de Châteaufort, il avait choisi de se faire appeler du nom d’une lointaine parente, Rebattu, ce qui n’était pas une meilleure idée. Nomen, omen, dit-on en latin pour mettre en garde ceux dont les noms portent un sens qui sera peut-être leur destin. Tenir quelqu’un « in reatu », dans l’ancien droit, c’est le mettre en accusation et Jacques Réattu, républicain de cœur, fuit cette nuit-là l’Académie, ci-devant royale, où il a eu tant de peine à entrer, cette Académie romaine où l’on risque de lui régler son compte au nom de Dieu, du Saint Père et du roi très-chrétien que l’on guillotine à Paris la semaine prochaine.
Le Temple de la Raison
Sauvé, à Naples, puis, à la fin de l’année 1793, débarqué à Marseille en pleine Terreur, Réattu se sent prêt à illustrer la politique de Robespierre. Il peint un Triomphe de la Liberté qui lui sert de brevet de civisme. Il reçoit une première commande et, presque aussitôt, Robespierre tombe et la commande avec lui. Dès lors, le sort s’acharne contre ce méridional qui voulut être l’un des grands peintres politiques d’une époque où la vie politique fut la plus imprévisible et la plus rapide de toute l’histoire de France. Réattu, qui ne peignait pas assez vite, ne fut ni David ni Denon. Après Thermidor, la France se réconcilie et Réattu s’attaque à un prudent Triomphe de la Civilisation. Il peint, pour transformer l’église des Prêcheurs de Marseille en Temple de la déesse Raison, un vaste cycle allégorique. Le malheureux n’a pas le temps de terminer ses toiles que l’on y dit à nouveau la messe. Nul ne put donc voir La Liberté, l’Égalité chassant de leur territoire les castes privilégiées, ni, plus stupéfiant encore, La Liberté combattant la Tyrannie, les Éléments et la rigueur des Saisons. La grêle de la malchance ne cesse de pleuvoir sur Réattu. À Rome, il avait exécuté La Vision de Jacob, une académie d’homme dans le goût de l’Endymion de son condisciple Girodet : pourquoi avait-il fallu que dans la lumière nocturne, par-delà les nuages, pour peupler le sommeil du berger biblique, il ajoute trois anges aux ailes bleues et vertes ? Son tableau fut vite oublié.
Prométhée et la quête du bonheur
Quelques mois après Jacob, Réattu a compris. Prométhée, élevé par le Génie et protégé par Minerve, dérobe le feu du ciel est bien à l’unisson d’une époque de défi et d’aspiration vers l’idéal et le bonheur. Il brille grâce à ses chères allégories (Le Travail repoussant la Misère donne lieu à un superbe dessin et le thème aurait mérité de figurer dans toutes les écoles) et quelques sujets tirés de l’histoire ancienne comme La Mort d’Alcibiade. Cette toile, inachevée, permet de comprendre le patient travail des peintres de cette génération : le dessin des figures nues se fait, sur la toile, d’après des dessins à la mine de plomb. Les draperies, étudiées dans des séries de dessins complémentaires, viennent ensuite les recouvrir. Sur les fonds, des coups de brosses méticuleusement parallèles suggèrent les tons. Ensuite, la succession des glacis, touches transparentes superposées, permet de modeler les corps et de moduler les ombres. La partie gauche de l’œuvre est restée au premier stade, la figure d’Alcibiade, en revanche, presque poussée jusqu’à l’état définitif. Réattu, comme Gros ou Ingres, pratique l’allongement des figures et les déformations anatomiques. Les bras démesurés de la jeune femme qui pleure le héros seraient inacceptables dans la stricte doctrine davidienne.
Une seconde vie au tournant du siècle
Après 1804, Réattu, lassé de politique, refuse les commandes et même la direction de l’École de Dessin de Marseille. En Arles, il vit bourgeoisement dans le Grand Prieuré, qui devint le « musée Réattu ». Il s’occupe de ses vignes et de ses moutons, traçant des portraits de sa femme et de sa famille dans le calme de la campagne provençale. Pour la période située entre 1802 et 1817, aucune œuvre importante signée de lui n’a pu être retrouvée. Il recommence sa carrière à 56 ans, estimant sans doute que la Restauration était faite pour durer. En 1820, La Toilette de Vénus montre que Réattu, excellent coloriste, cherche à allier une mise en scène à la David, la grâce d’un Gérard et un coloris démarqué de Rubens, qu’il admira toute sa vie. Ambitieux, il se lance dans de grands projets alors que ses anciens concurrents, les grands noms de l’entourage de David, songent à se retirer coiffés du tortil des barons, dotés d’ateliers florissants et nantis de commandes officielles. Entre 1819 et 1829, Réattu commence six grands tableaux, le plafond du Grand Théâtre de Marseille, le rideau du Théâtre de Lyon, des plafonds pour les hôtels de ville d’Arles et de Marseille, il décore enfin l’église Saint-Paul de Beaucaire, avec des toiles religieuses. Le thème qu’il aime le mieux traiter est celui des Arts embellissant le temps. Las, mis à part le cycle de Beaucaire, intact, aucune de ces réalisations tardives ne put être achevée et celles qui l’étaient furent détruites au cours du XIXe siècle. Jusqu’aux travaux de Katrin Simons et à l’exposition de cet été, le temps n’était guère venu au secours de l’œuvre de celui qui fut l’invisible Arlésien du néoclassicisme.
- VIZILLE, Musée de Révolution française, 30 juin-2 octobre, cat. éd. Actes Sud, 180 F.
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Le Génie et la Raison mis à nu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°518 du 1 juillet 2000, avec le titre suivant : Le Génie et la Raison mis à nu