À quelques pas de la porte de Brandebourg, la Pariser Platz, au cœur du Berlin d’hier et d’aujourd’hui, est le site de la nouvelle ambassade de France conçue par Christian de Portzamparc. Ce bâtiment, fruit d’exigences multiples et parfois contradictoires, est un symbole à plusieurs titres. C’est celui, en tout cas, des forces de l’architecture française actuelle.
Si l’architecture s’apparente parfois à l’art, l’on sous-estime fréquemment les contraintes pratiques qui sont à l’origine des formes de la ville. Quelques architectes, dont le Français Christian de Portzamparc, ont toujours eu une fascination pour le milieu urbain. Mais leurs idées, à l’instar des théories du Néerlandais Rem Koolhaas, restent souvent des vœux pieux lorsqu’ils sont confrontés à la réalité des sites, des budgets et des exigences des clients. Les énormes travaux de reconstruction engendrés par la chute du mur de Berlin sont une preuve que les plus grands architectes et urbanistes peuvent se tromper lorsqu’ils ont l’occasion, si rare, de refaire une grande ville. Bien sûr, à Berlin, il a fallu faire avec des exigences politiques et « esthétiques » qui relèvent davantage d’un esprit bureaucratique que d’une véritable pensée. Toujours est-il que, dans l’ensemble, l’architecture ne sort pas grandie de cette expérience.
L’un des cas les plus complexes de cette refonte de la capitale allemande est celui de l’ambassade de France située Pariser Platz, à quelques pas de la célèbre porte de Brandebourg. Confiée à Christian de Portzamparc, auteur de la cité de la Musique à Paris, cette réalisation offre un exemple utile des possibilités de l’architecte face à une série de contraintes allant d’un site enclavé à la jalousie professionnelle et en passant par l’incompréhension des bureaucrates devant l’expression de la modernité. La place, dont la forme carrée remonte au plan d’urbanisation des années 1732-1734, prit le nom de Pariser Platz en 1814 pour célébrer la prise de Paris par les armées coalisées, dont celle de Prusse. C’est à partir de 1850, que la Pariser Platz est remaniée dans le style néoclassique. Elle devient alors le symbole de la bourgeoisie ascendante.
Malgré la charge historique du nom de la Place, la délégation française s’y installe dès 1860. Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’ensemble des édifices donnant sur la place fut sévèrement endommagé, y compris l’ambassade de France. La proximité de la Pariser Platz avec la ligne de démarcation entre les secteurs occidental et soviétique et la construction, en 1961, du mur de Berlin sonnèrent le glas pour les ruines autour de la place.
Après la réunification, en 1993, le plan directeur du Sénat de Berlin pour la Pariser Platz prévoit une « reconstruction critique » de la place, en lui restituant ses édifices néoclassiques dans leurs volumes, sans toutefois les reconstruire à l’identique. Les normes imposées sont strictes et empêchent les architectes de donner libre cours à leur imagination : emploi de la pierre de taille ou calcaire pour les façades, fenêtres ne couvrant pas plus du tiers des façades, hauteur des édifices ne dépassant pas celle de la porte de Brandebourg. Depuis cette date se sont installées autour de la place des structures respectueuses des contraintes mais lourdes, dues aux architectes allemands Josef Paul Kleihues, van Gerkan & Marg, Günter Behnisch ou Ortner & Ortner. Frank Gehry, pour la DG Bank (Pariser Platz 3), a élaboré un contraste entre une façade monotone et une étonnante structure intérieure qui relève plus de la sculpture que de l’architecture.
C’est dans cet environnement pesant que Christian de Portzamparc a remporté le concours pour l’ambassade de France, sur son ancien emplacement, en 1997. Non seulement fallait-il faire face aux contraintes imposées par le Sénat, mais le site même se trouvait fortement enclavé par des murs mitoyens aveugles d’une hauteur de vingt mètres. Comment, dans ces circonstances, et faisant avec les exigences multiples d’une grande ambassade, pouvait-il rester fidèle à son idée de « l’îlot ouvert » pourtant prônée à de nombreuses reprises en France et ailleurs. Dans l’impossibilité d’ouvrir pleinement ne serait-ce qu’un côté du site, il a opté pour des fenêtres aussi larges que possible sur la place, une verrière aussi haute que la façade à l’angle, et surtout, un éclatement des volumes au cœur de l’ambassade. Saisissant l’engouement local pour la « tradition », il a donné une importance particulière à l’étage « noble » avec ses salons de réception et un jardin également situé au premier niveau au-dessus de la rue. Pour enlever au mur mitoyen son aspect pesant, il a travaillé avec le paysagiste Régis Guignard, créant une promenade avec une rangée de bouleaux le long de cette façade intérieure aveugle.
Christian de Portzamparc a eu la chance de pouvoir travailler sur ce projet avec son épouse Élisabeth pour l’architecture d’intérieur. Plus qu’un travail de décoration, elle a apporté une véritable cohérence moderne aux espaces les plus visibles de l’ambassade. Elle a modelé les volumes, créant par exemple de « faux plafonds obliques dans les grands salons qui viennent dilater l’espace et dynamiser les lieux ». Par ailleurs, dit-elle, « j’ai conçu toute une ligne spécifique de meubles et d’objets pour l’ambassade : grande bibliothèque, luminaire, canapé, tables diverses, tapis, consoles bureaux, fauteuils ». Ces objets prennent place à proximité d’œuvres d’art commandées en accord avec le Quai d’Orsay au titre du « 1% ». Deux peintures de François Rouan et « une œuvre majeure de Georges Noël, conçue pour les murs et les sols des grands salons, sont installées dans ces espaces pensés dans leur architecture et leur mobilier comme un tout fort et cohérent. » L’escalier qui monte de l’entrée de l’ambassade vers les salons est orné d’une œuvre de Niele Toroni, qui ne semble pas avoir été du goût de chacun, même si l’ancien ministre des Affaires étrangères l’a spécifiquement approuvée. Une œuvre de François Morellet vient aussi confirmer une logique déjà apparente dans le travail d’Élisabeth de Portzamparc.
Christian et Élisabeth de Portzamparc ont fait l’objet de critiques professionnelles et bureaucratiques autour de ce projet, en raison d’une certaine « pensée unique » qui voudrait que l’architecture française ne se réalise que d’après certains modèles, mais aussi parce que le goût de la modernité n’habite pas toujours les lieux de pouvoir. Leur réussite réside dans la résistance à cette accumulation de contraintes. À la limite entre l’impossible et le réel, ils ont construit ce symbole de la France en Allemagne qui est aussi, quelque part, un symbole des forces de l’architecture française actuelle.
Architecte : Christian de Portzamparc Architecte d’intérieur : Élisabeth de Portzamparc Paysagiste : Régis Guignard Concours : 1997 Surface totale utile : 18 000 m2 Bureaux : 4 000 m2 Réception : 1 400 m2 Coût effectif (chantier) : 33,9 millions d’euros
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La nouvelle ambassade de France à Berlin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : La nouvelle ambassade de France à Berlin