Aujourd’hui donnée à Jean Malouel, la Grande Pietà ronde demeure nimbée de mystère. Conçu au seuil du XVe siècle, ce chef-d’œuvre trahit une virtuosité plastique et une subtilité iconographique sans pareilles.
De Jean Malouel, ou Johan Maelwael en néerlandais, on sait peu de choses. On croit savoir qu’il naquit à Nimègue, dans le duché de Gueldre. On présume qu’il serait né avant 1370, à une époque où l’identité ignorait les cartes et les registres. On le devine tôt artiste et on le pressent doué, lui dont le nom signifie étymologiquement « qui peint bien ». Supputations et empreintes érigeant le conditionnel et l’incertitude en modes majeurs. Malouel est signalé en 1396 à Paris, où il est au service d’Isabeau de Bavière, l’épouse du roi Charles VI, avant d’être sollicité l’année suivante par Philippe le Hardi en qualité de valet de chambre et de peintre attitré des ducs de Bourgogne. Cette charge, reconduite par Jean sans Peur, le voit collaborer jusqu’à sa mort, en 1415, à des commandes prestigieuses, parmi lesquelles la chartreuse de Champmol, splendide nécropole des Valois. Si presque toutes les réalisations de Malouel ont disparu, certains recoupements stylistiques et chronologiques permettent d’attribuer à cet artiste rêvé certaines œuvres, notamment cette Grande Pietàronde, peinte vers 1400 pour Philippe le Hardi, ainsi que l’indiquent les armes au revers du splendide panneau de chêne circulaire. D’une ineffable grâce, ce tondo conjugue un raffinement presque décoratif, symptomatique de l’art gothique international qui contamine alors l’Europe, à une virtuosité technique, traversée par des accents réalistes. La délicatesse des couleurs, la précision anatomique et la complexité iconographique de cette pietà associée à la Trinité suffisent seules à faire de l’oncle des frères de Limbourg un artiste exceptionnel, quoique conditionnel.
Acquis par le Louvre en 1864, ce tableau vient d’être rejoint dans le musée par un Christ de Pitié, que le directeur du département des peintures considéra comme « l’acquisition majeure des cinquante dernières années ». Malouel, qui avait un nom, commence peu à peu à avoir des œuvres. Des chefs-d’œuvre.
Malouel, qui se distinguera comme portraitiste, représente des personnages singuliers, singularisés : les traits comme le modelé des visages, et peut-être encore plus le ballet des mains, en font des êtres de chair et d’os, proprement animés. Quant à eux, les amples drapés et les plis roides dénotent une étonnante sculpturalité, assurément nourrie au contact du Puits de Moïse (1396-1405) que Claus Sluter élabore alors et que le peintre décorera bientôt. Enfin, l’amplitude des couleurs anticipe celle des neveux de Malouel – les frères de Limbourg, dont les Belles Heures du duc de Berry constitueront une démonstration chromatique hantée par les leçons d’un oncle inventif. Des possibles bienfaits de l’héritage en peinture…
Du flanc droit du Christ, et presque au centre du tondo, perle du sang. Du sang qui, ruisselant sur les sinuosités du corps, cristallise le drame. La plaie encore béante, qui n’a pas pu cicatriser, exprime magistralement la douleur subie. Et patente. Tout est dit par ce mince filet rouge coulant d’une chair languide, mais non pas moribonde, comme si suintait encore la vie. Pas de coagulation, ni de charogne. Ici, en ce panneau merveilleusement conservé, quelque chose vient de se jouer, et tout porte à croire qu’il ne s’agit pas d’une fin, juste d’une chute.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La Grande Pietà ronde de Malouel
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°705 du 1 octobre 2017, avec le titre suivant : La Grande Pietà ronde de Malouel