L’artiste, qui a donné à l’eau et au corps une place prépondérante dans son œuvre, réactive l’une de ses installations majeures au CCC Olivier Debré de Tours.
Vu depuis la terrasse du château où il habite en Autriche, le Danube décrit une courbe légère et majestueuse qui augmente la beauté verdoyante du paysage. Pour un peu, on se croirait en Amazonie. Tout y est « luxe, calme et volupté », ajouté à cela un sentiment grandiose de l’espace. Sitôt que l’on se retourne et que l’on découvre la haute tour gardienne du château de Neuhaus, c’est un peu du Moyen Âge qui surgit à nos yeux. La bâtisse, propriété d’une famille baronne locale qui en occupe encore une partie, est partagée en quelques logements choisis, dans l’un desquels vit Klaus Rinke. L’artiste, originaire d’Allemagne, est venu s’y installer voilà quelques années, quittant vivement son fief de Haan, près de Düsseldorf, où il vivait de longue date, furieux contre le fisc de l’avoir poursuivi pendant quasi dix ans pour n’avoir finalement rien à lui reprocher. Ceux qui connaissent l’homme et son intégrité n’ont pas manqué de partager son ressentiment à l’égard des autorités allemandes, souffrant avec lui des difficultés qu’il a traversées.
Aujourd’hui est un autre jour et Klaus Rinke a trouvé en Autriche un site et un espace à sa mesure qui lui permettent de regarder loin devant lui. Non seulement il a jeté son dévolu sur un immense bâtiment industriel situé à quelques kilomètres de là, où il a rapatrié des années de travail, d’archives et de matériels, mais il a rencontré en la personne du baron de Neuhaus un ami et un fervent défenseur. Convaincu par l’importance artistique de l’œuvre de son nouveau voisin, ce dernier n’a pas tardé à échafauder avec lui le projet de construction d’un musée qui lui serait dédié. L’affaire est allée bon train et Jean Nouvel a pris le dossier en main. S’il reste encore à trouver le financement, ni le baron ni l’artiste ne désespèrent d’y parvenir dans les temps prochains.
Invité en 1968 par Harald Szeemann, alors directeur de la Kunsthalle de Berne, à participer à l’exposition « 12 environnements », Klaus Rinke y installe à l’entrée comme un grand matelas empli d’eau, passage obligé pour y pénétrer. « C’était drôle de voir les gens passer dessus. Ils risquaient à tout moment de perdre pied. Dans son rapport au corps, à son équilibre et à sa fragilité, cette pièce est emblématique de tout mon travail. » Le principe de la performance, qui connaissait alors une certaine vogue dans le prolongement de Fluxus, ne devait pas tarder à entraîner l’artiste vers toutes sortes d’interventions, sur le mode parfois interrelationnel. Celles-ci prirent forme soit dans la mise en jeu d’installations de tout un monde d’objets industriels visant à mettre en exergue l’idée de circulation de l’eau (tuyaux, containers, pompes, etc.), soit dans une production photographique de gestes performatifs dont la figure du corps est le vecteur.
On trouve ainsi dans les collections du Musée d’art moderne de la Ville de Paris une série de photos, intitulée De l’horizontale à la verticale, datée de 1971, où l’artiste performeur amène progressivement un arbre de la position horizontale à la position verticale au milieu de la forêt, en passant par différentes diagonales illustrant le temps de son ascension. Le temps, cette autre composante fondamentale de la démarche de Klaus Rinke, est notamment illustré dans les collections du Centre national d’art contemporain par une œuvre singulière (7 Weltmeere(Les 7 mers), 1982-1987) composée de sept bidons que l’artiste a remplis d’eau de mer, lesquels sont reliés à sept photographies le montrant en train de la puiser ici et là. Détourner, emplir, transvaser, l’art de Klaus Rinke est requis par l’idée de flux et d’écoulement, par la notion de mesure aussi. La réactivation qu’il vient de réaliser à Tours, au Centre de création contemporaine Olivier Debré, de l’installation Instrumentarium qu’il avait faite dans la fosse du forum au Centre Pompidou en 1985 en est une éclatante illustration. Elle certifie la permanence d’une pensée, voire d’une philosophie que l’artiste s’est attaché par ailleurs à transmettre dans le cadre de l’enseignement qu’il a dispensé pendant quelque trente ans à l’Akademie de Düsseldorf.
Ami de longue date de Pierre Guyotat, de Catherine Millet et de Jacques Henric, il a toujours entretenu une relation privilégiée avec la France et parle couramment le français. On l’a vu à Paris à l’Arc dès 1976, il a longtemps travaillé avec la Galerie de France, montré ses œuvres dans différents centres d’art à Tours, à Pougues-les-Eaux et à Saint-Nazaire, et été en résidence à l’Atelier Calder à Saché, en Touraine, en 2003. Rinke a réalisé quelques œuvres dans le cadre de la commande publique dont une en hommage à Gaston Bachelard sur un canal-déversoir à Lusigny-sur-Barse, dans l’Aube : un dispositif pendulaire décrivant un arc de cercle dont le reflet sur l’eau forme une sorte de nucleus matriciel. Quelque chose d’une extrême sensualité y est à l’œuvre dans l’affleurement de l’aiguille suspendue à fleur du « clitoris d’écume » que constitue la retombée des eaux dans la forme vaginale du canal-déversoir.
Outre un monde d’objets – jarres et horloges monumentales, rails de chemin de fer, tuyaux, pompes et bassins, etc. – qui confèrent à son immense atelier de Neufelden l’allure d’un incroyable capharnaüm, celui-ci recèle une quantité de peintures à l’huile de grand format. Leurs formes simplifiées, leur texture et leurs tons rouges et jaunes renvoient à l’ordre d’un langage de signes rudimentaires et corporels. Comme il en est ailleurs de toute une série de travaux sur des peaux de porc tannées. Entrer dans l’œuvre de Rinke, c’est vouloir finalement faire une expérience tout à la fois sensible et conceptuelle qui conduit le regardeur à repenser sa place dans le monde et à la ressourcer à l’aune d’une dimension vitaliste primordiale.
Comme il parlait jadis de l’exemple des Aborigènes, il y a dans l’œuvre de Klaus Rinke « un rapport constant entre le micro et le méga, entre le local et le global, entre l’infiniment petit et l’infiniment grand » et sa démarche est « intimement liée à une idée de nature, à celle d’un commencement ».
En déambulant dans son atelier, le visiteur s’arrêtera assurément devant un imposant cylindre en verre transparent nanti d’une sorte de tuyau extérieur, fiché sur la paroi à hauteur de tête, et il interrogera l’artiste sur l’usage qu’il a bien pu en faire. Il apprendra alors qu’il fut un temps où Klaus Rinke avait créé une sorte de rituel, s’immergeant tout habillé à l’intérieur au moment des vernissages de ses expositions. Quand il apercevra un peu plus loin un harnais accroché entre deux poutres, il comprendra vite qu’il en avait institué un autre, celui de rester suspendu en l’air au-dessus de ses installations, comme il l’avait fait au Centre Pompidou lors de la première présentation de son Instrumentarium, il y a trente-deux ans. Klaus Rinke, un artiste dans l’espace et dans le temps.
1939
Naissance à Wattenscheid, en Allemagne
1974-2005
Enseigne à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf
1985
Présente l’installation l'Instrumentarium au Centre Pompidou
2017-2018
Klaus Rinke fait son grand retour en France au Centre de création contemporaine Olivier Debré à Tours
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Klaus Rinke - Dans l’espace et le temps
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Abonnez-vous dès 1 €« Klaus Rinke, l'Instrumentarium » et « Klaus Rinke, Düsseldorf mon amour », jusqu’au 1er avril 2018. Centre de création contemporaine Olivier Debré, jardin François-Ier, Tours (37). Du mercredi au dimanche de 11 h 30 à 18 h, nocturne le jeudi soir jusqu’à 20 h. Tarifs : 3 et 6 € | www.cccod.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Klaus Rinke - Dans l’espace et le temps