Le 3 mars, la danseuse et chorégraphe martiniquaise Josiane Antourel fait l’ouverture de la salle de spectacle du Musée Dapper à Paris, inaugurant une programmation axée sur la relation entre la statuaire africaine et les arts de la performance.
Les affinités entre les arts de l’Afrique présentés au musée et les chorégraphies que l’on pourra voir sur le plateau ne sont pas d’ordre mimétique, indique Sabine Jourdan, responsable du programme de la salle. Je n’ai pas cherché à montrer des artistes dont la gestuelle s’apparenterait à une statuaire en mouvement. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt l’idée d’une évocation en creux, d’un travail autour de l’intériorité et du silence qui émanent de ces objets. A l’opposé du stéréotype folklorique de la danse africaine, tout en extériorité échevelée ». Epure, concentration extrême, retenue du geste pour en proposer une expression plus aboutie, Cri de mes racines, solo du chorégraphe Jean-François Colombo sur des musiques de Toto Bissainthe, retravaillé avec Josiane Antourel et créé par elle en 1994, est indissociable de son interprète. Seule à l’avoir dansé jusqu’ici, elle exprime le désir d’en transmettre à présent l’héritage, ce chant du corps dédié à la femme caribéenne, qui en évoque les combats, les révoltes et les douleurs. Hors de tout pathos, à la manière d’un récit plastique dans l’espace, dialogue en mouvement, réponse et commentaire aux paroles et à la musique créoles ; film muet, tendu, rempli d’une histoire dont le chorégraphe et la danseuse renvoient des images fortes, qui concentrent l’oppression, la souffrance, la défaite parfois. Costume (longue robe flottante, cheveux recouverts d’un foulard) et accessoire (une fleur de coco, qui sert de balancier, d’arme ou de bâton de vieillesse) contribuent à ancrer dans un réel et une narration bien définis une figure que la stylisation des attitudes pourrait inscrire au registre de l’humanité tout entière, à l’égal de la voix de Billie Holliday, sur laquelle Josiane Antourel a écrit une chorégraphie. Elle a voulu pour elle-même une formation ouverte à tous les continents de la danse (classique à l’Académie internationale de danse de Paris, contemporaine, ethnique traditionnelle, jazz, improvisations) et à la confrontation avec les autres arts, théâtre, musique, arts plastiques. Danseuse, chorégraphe, professeur (l’une de ses activités pendant les trois mois de sa résidence au Musée Dapper), c’est par la chorégraphie qu’elle se définit avant tout : « J’ai souvent dansé mes propres créations faute de trouver les interprètes adéquats pour le faire », dit-elle. Elle travaille actuellement à un projet de ballet pour la deuxième Biennale de danse contemporaine des Caraïbes, qui se tiendra à Fort-de-France le mois prochain.
Face aux multiples courants qui traversent la danse contemporaine en Afrique, partagée entre le regard sur la scène occidentale et sa mise à distance, à la recherche de solutions originales où l’apport des danses traditionnelles se conjugue aux influences d’autres continents, l’Inde et l’Asie en particulier, la description que fait Josiane Antourel de la scène chorégraphique martiniquaise a des accents désenchantés. Absence de curiosité, de goût du risque, autosatisfaction limitée à un brillant technique dénué de substance : un état d’esprit général peu stimulant pour un créateur, qui pousse les artistes un peu exigeants à s’expatrier. Elle cite l’exemple de Jean-François Colombo, qui a travaillé en Belgique et aux Pays-Bas, et dont elle admire « la façon très tactile de chorégraphier, le travail (éprouvant parfois) sur et avec la morphologie du danseur, assez voisin de celui d’un sculpteur ». Une approche qu’elle a faite sienne dans Savann (1994), seconde pièce du spectacle Dapper, qui renvoie aux mythes anciens de l’Afrique en livrant l’espace de la scène aux métamorphoses d’un corps féminin enduit d’argile blanche, qui semble traverser les étapes rituelles d’une initiation, en prenant des apparences successives, animales, végétales et humaines. Un ballet initialement destiné à trois interprètes et qu’elle va danser seule car, à l’origine, cette danse était aussi une évocation de la solidarité et de l’entraide chaleureuse des femmes martiniquaises entre elles : « Elles me donnent la force de lutter contre la tentation de la résignation et du fatalisme, du ça va bien comme ça, qui pèse de tout son poids sur les mentalités de l’ancienne colonie ». Savann sort d’Humanitas, une chorégraphie antérieure qui, à partir d’un élément très simple (trois femmes se donnent rendez-vous sur un plateau au coucher du soleil), donnait à voir ce lien puissant tissé d’ententes secrètes et l’atmosphère particulière qu’ils génèrent. « Pour cette chorégraphie, explique Josiane Antourel, j’ai utilisé l’expérience des cours que j’ai donnés au bord de la mer, en Martinique. L’appréhension physique des éléments naturels, l’eau, le vent, le sable lourd dans lequel on marche, que j’ai proposée aussi bien à des danseurs qu’à des plasticiens ou à des enfants, m’a servi de référence ici ».
L’expression « ethnique contemporain » qu’elle emploie pour qualifier son travail ne se résume pas à la référence identitaire à un patrimoine, à une histoire de communauté à déchiffrement interne. Il s’agit pour elle « d’utiliser l’ethnicité d’une personne en tant que matériau noble ». Ce que Sabine Jourdan exprime autrement : « Chaque artiste est imprégné par sa culture, un contexte qu’il se réapproprie pour raconter sa propre histoire et construire sa création ». Le parcours de Josiane Antourel, où se mêlent répertoires traditionnel et contemporain, Afrique et Occident européen et américain, où le Viêtnam rencontre la Guinée dans ses racines familiales, transforme l’ethnique en une notion élargie plutôt que repliée sur un territoire local. Sa conscience de ce qu’un geste peut contenir de pensée et de mémoire transparaît de façon aiguë dans les « concerts visuels » qu’elle donne avec le pianiste de jazz Alain Jean-Marie et que l’on devrait voir en juin à Paris. Rencontre improvisée à deux, expurgée de tout récit, presque minimaliste, « création spontanée, dit-elle, en regard d’un musicien qui travaille avec le silence ». Retour au silence, à l’immobilité habitée de la statuaire...
- PARIS, Musée Dapper, le 3 mars.
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Josiane Antourel Solo Caraïbe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°524 du 1 mars 2001, avec le titre suivant : Josiane Antourel Solo Caraïbe