Immense peintre, quoique longtemps oublié, Nicolas Régnier (vers 1588-1667) sut admirablement conjuguer le caravagisme romain avec la sensualité vénitienne, ce dont témoigne son éblouissante Jeune Femme à sa toilette ou Allégorie de la vanité.
Comme toujours en pareil cas, lors de ces siècles où seuls les faits d’armes et les mûrs exploits semblent vouloir laisser des dates dans les registres, le conditionnel émaille les débuts de Nicolas Régnier, dont on suppose qu’il naît à Maubeuge vers 1588. Formé à Anvers, le peintre gagne rapidement l’Italie, qu’il ne quittera jamais plus, passant de Parme et la cour des Farnèse à Rome, où il devient le digne émule de Caravage, puis Venise, où il s’établit en 1626 et s’éteint quelque quarante années plus tard, en 1667, non sans avoir été un irrésistible marchand et un formidable collectionneur.
Polysémique, ce tableau s’inscrit au cœur d’une controverse qui, attisée par l’académie littéraire des Incogniti, s’articule autour du faste contemporain des toilettes, incarnant pour certains une turpitude venimeuse et, pour d’autres, un droit souverain – à la volupté et à l’opulence.
Nicolas Régnier dénonce-t-il ici un luxe ostentatoire ou livre-t-il une apologie de la féminité ? Est-il question de vanité ou de vénusté ? Peut-être des deux : par ce règne des miroirs, des onguents et des fleurs, le peintre semble rappeler la fragilité de la beauté, sa caducité naturelle, son irrésistible volatilité.
Des boucles délicates caressent des joues rosies, de fines lèvres carmin rehaussent la noirceur d’un regard attentif, de légères luisances animent une peau soyeuse, presque porcelainée : avec une science souveraine, le peintre prouve ici son incomparable talent de portraitiste. Du reste, ce modèle est connu, tout du moins reconnu, puisque c’est lui qui offre sa main à la caravagesque Diseuse de bonne aventure (vers 1626-1630) dans cette autre toile majeure de Régnier, conservée au Musée du Louvre.
Ce miroir au cadre d’ébène, qui intervient comme un révélateur, soulève une question pour le moins épineuse, car cruciale : offre-t-il l’image de la vérité ou, duplice, donne-t-il à voir le reflet d’une beauté illusoire, volontiers illusionniste ?
Si ce portrait « au naturel », qui nous introduit dans l’intimité du modèle, est présidé par une grande sensualité, ainsi la délicatesse de cette chair entraperçue, et comme oubliée, il trahit également l’influence de Caravage, dont Nicolas Régnier est l’un des plus brillants héritiers : par sa blancheur, presque livide, et sa douceur, presque morbide, la peau évoque sans conteste les tableaux de son aîné, au même titre que cette ombre puissante et triangulaire qui, venue se nicher entre les omoplates de l’élégante, souligne la souplesse charnue de ce dos magnétique.
Au rideau vermillon dans le coin supérieur gauche, qui fait de cette scène d’intérieur une scène de théâtre, répondent la nappe de velours garance, le bleu de Prusse du taffetas de la robe et le châle ivoirin qui, avec ses délicieux brocarts, adoucit la transition vers l’or du corsage. Véronèse, Fragonard et Ingres réunis…
C’est que Nicolas Régnier a un sens aigu du spectacle, de la spectacularisation : tandis que Caravage lui a transmis à Rome l’amour du drame, Venise lui a inoculé le goût du théâtre – des artifices, des baroqueries et du souffle. Partant, ces drapés virtuoses, avec leurs plis sculpturaux et leurs reflets violents, constituent un véritable morceau de peinture, un morceau vertigineusement abstrait tant le regard peut s’y perdre, s’y abîmer. 
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Jeune Femme à sa toilette de Nicolas Régnier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : <em>Jeune Femme à sa toilette</em> de Nicolas Régnier