PARIS - « Certains photographes font de l’art. Pas moi. Si mes photos sont exposées dans des galeries, tant mieux. Mais ce n’est pas pour cela que je les ai réalisées. Je ne suis qu’un sbire », affirmait le photographe de mode australien d’origine allemande Helmut Newton (1920-2004) rendu célèbre par ses nus féminins sulfureux.
« Plus qu’un travail, c’était une obsession », lance June Newton, son épouse et directrice artistique d’une œuvre controversée aux 80 000 clichés dont la France avait refusé la donation. Au Grand Palais qui s’ouvre à la photographie, le processus créatif du « porno chic » est expliqué à travers une rétrospective posthume. « Il était urgent que cette rétrospective commence à Paris, où Helmut Newton a trouvé l’inspiration dès les années 1960, et a créé ses chefs-d’œuvre au temps de l’émancipation de la femme, de la révolution sexuelle et l’invention du prêt-à-porter par Yves Saint Laurent dont il fut proche », explique Jérôme Neutres, cocommissaire de l’exposition avec June Newton, présidente de la Fondation Helmut Newton. Mieux que le corpus d’un « grand artiste classique qui a mis dans la photo de nu ce qui existait dans la statuaire du Bernin », selon Jérôme Neutres, se dégage une œuvre autobiographique ambiguë, habilement mercantile, d’un auteur hanté par le Berlin décadent des années 1930 de son enfance et les fantasmes que ce lecteur d’Arthur Schnitzel met en scène.
C’est en 1920 que naît, à Berlin, Helmut Neustädter. À 16 ans, ce fils de famille juive fait ses débuts comme assistant d’Yva, fameuse photographe de mode berlinoise. Une collègue portant faux col et monocle, la prostituée « Erna la Rouge » comme « la pension Dorian », luxueux bordel des officiers SS, aux jeux sadomasochistes, hanteront sa vision artistique ainsi que le relate son Autoportrait (Robert Laffont). En 1938, il fuit l’Allemagne nazie. À Singapour, le photographe mondain du Singapore Straits Times mène une vie de gigolo. Soldat australien en 1942, puis photographe de mariage, Helmut « Newton » s’installe à Paris avec son épouse, l’actrice australienne June Brunell.
La provocation comme profession de foi
Dès 1966,sa carrière décolle au magazine Vogue. « J’adore la vulgarité. Je suis très attiré par le mauvais goût, plus excitant que le prétendu bon goût qui n’est que la normalisation du regard », déclare ce provocateur. « Cet artiste a toujours considéré la commande comme bienvenue à condition qu’il n’ait de cesse d’en briser le carcan », estime Jérôme Neutres. Publiée dans Vogue, Saddle (1976) montrant une amazone à quatre pattes sur un lit, harnachée d’une selle, fit s’évanouir le président d’Hermès. Les playmates sculpturales qui s’offrent au bord de piscines, les icônes saphiques en smoking Rue Aubriot, Paris (1975), la série érotique « Villa d’Este » (1975), choquaient tout en émancipant le marché. « Tout se passe comme si la photographie était apte à véhiculer des significations – perçues comme dangereuses pour les bonnes mœurs – que la peinture ou la sculpture «subliment» plus facilement », analyse l’anthropologue Robert Castel dans Images et Phantasmes (in Pierre Bourdieu, Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie). Au Grand Palais les paysages « newtoniens », discrets, font place à Wibke et Ours (1976) et Siegfried (1987), des clichés inédits de zoophilie.
Des portraits corrosifs de célébrités tels que le clan des marchands d’art Daniel, Guy et Alec Wildenstein (1999) ou Leni Riefenstahl (2000), propagandiste du IIIe Reich qui fascine Newton, sont confrontés à sa série glaciale des « Grands Nus » (1981-1993) inspirée de portraits judiciaires de terroristes allemands. « Un photographe n’a pas besoin de langage. Lorsqu’il détient une vision unique du monde (...), ses travaux sont chèrement payés (...) », se targuait ce contemporain d’Andy Warhol. En 2008, le diptyque « habillé/déshabillé » martial, Sie Kommen, Paris (1981) (soit, « elles arrivent »), était adjugé 682 500 dollars. « Il suffira que sorte la bonne pièce pour que la cote de Newton atteigne un million de dollars », prédit Philippe Garner, directeur international de la Photographie chez Christie’s et auteur newtonien de Sex & Landscapes ».
Nombres d’œuvres : plus de 200 images et un extrait du film Helmut by June, June Newton.
Commissaires : June Newton, photographe et épouse de l’artiste, présidente de la Fondation Helmut Newton (Berlin), avec la collaboration de Jérôme Neutres, conseiller du Président de la RMN-Grand Palais
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Newton le sulfureux
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 17 juin, Grand Palais, 3 avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris, www.rmngp.fr, tous les jours sauf le mardi de 10h-22h. Catalogue « Helmut Newton », textes de Jérôme Neutres, José Alvarez, Pascal Brückner. 256 p., 250 illustrations, 35 euros, éd. RMN-Grand Palais, ISBN 9-782711-859979
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Newton le sulfureux