Devenue incontournable dix ans après son lancement, l’encyclopédie collaborative développe plusieurs programmes pour étoffer sa section « Arts ».
.Lancée en 2001 aux États-Unis, l’encyclopédie en ligne Wikipédia est devenue, en l’espace de dix ans, indispensable en matière de diffusion des connaissances sur Internet, même si de nombreux utilisateurs hésitent à le reconnaître. Elle s’est dotée au fur et à mesure des années d’une nébuleuse de projets frères dont « Wikimedia Commons » est la médiathèque numérique.
La version francophone comporte près d’1,2 million d’articles, 16 000 contributeurs actifs et 200 administrateurs pour gérer la communauté des « wikipédiens ». « On est devenus un interlocuteur très correct ! », admet en souriant Rémi Mathis, président de Wikimédia France, mais également conservateur des estampes du XVIIe siècle à la Bibliothèque nationale de France (BNF) et rédacteur en chef de la revue Les Nouvelles de l’estampe. « Wikipédia fonctionne de la même manière qu’une revue scientifique, une information donnée doit être validée par des sources extérieures très précises et des liens vers les articles originaux », précise-t-il.
Rebondir d’article en article, utiliser les biographies, contribuer, comparer les versions étrangères : des réflexes de plus en plus courants chez les étudiants et les professionnels, y compris en histoire de l’art, même si cette rubrique demeure le parent pauvre de l’encyclopédie (moins de 20 000 articles sont liés au portail thématique des « Arts »). Alors que le portail Archéologie compte un grand nombre d’articles dits « de qualité » et des participants très actifs, la plupart des articles concernant l’art contemporain restent à l’état d’ébauche. L’hétérogénéité règne puisque l’encyclopédie est soumise à l’envie et à la bonne volonté de ses participants.
Très « GLAM»
Pour pallier certains manques évidents, l’association Wikimédia France, fondée en 2003 à l’image de la Wikimedia Foundation américaine et indépendante de Wikipédia, regroupe des utilisateurs des projets Wikimedia (Wikisource, Wikimedia Commons, Wikipédia…) et soutient la diffusion de connaissances sur ces différents supports. En vertu de la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, la fondation n’est pas responsable des propos tenus sur l’encyclopédie, qui n’engagent que leurs auteurs.
Très « GLAM » (de l’acronyme anglais « Galleries, Libraries, Archives, Museums » englobant toutes les institutions culturelles), Wikimédia France gérera en 2012 un budget aux alentours de 800 000 euros, provenant d’une levée de fonds annuelle qui a lieu à l’automne, grâce à un bandeau sur le site incitant les internautes à faire un don. Un budget très important, « la raison pour laquelle on s’est professionnalisés très rapidement, explique Rémi Mathis, afin de pouvoir dépenser cet argent correctement et de manière intelligente ». Six salariés, dont trois à temps plein, travaillent au sein de l’association afin de promouvoir la production de documents sous licence libre. Wikimédia France n’a aucun contrôle sur Wikipédia, elle ne peut qu’inciter les wikipédiens à participer à ses projets et partenariats, qui se sont multipliés dans le domaine patrimonial ces dernières années. « Si on a des besoins techniques, on a les moyens de le faire, on part de plus en plus sur des projets «donnant-donnant» avec les institutions » – et non des moindres. En partenariat avec la BNF, un accord a été signé en avril 2010, après deux ans de discussions, pour mettre en ligne sur Wikisource 1 400 ouvrages numérisés par la bibliothèque, grâce à l’aide de contributeurs bénévoles. Avec 23 000 illustrations extraites, c’est l’exemple type d’un travail collaboratif qu’une institution seule ne pourrait assumer, une mine d’or pour les chercheurs et universitaires.
En février 2011, le château de Versailles a reçu pendant six mois un wikimédien en résidence, Benoît Evellin, étudiant en médiation culturelle venu faire le lien entre les équipes de conservateurs et la communauté de Wikipédia. Un pari qui paraît gagné à en juger par l’amélioration notable des articles sur le château par les spécialistes du sujet et des visites organisées pour les wikipédiens dans le but d’enrichir la galerie de photos disponibles sous licence libre. « Très bien accueilli », Benoît Evellin a levé les quelques appréhensions qui persistaient encore sur l’encyclopédie à Versailles.Des craintes que l’Association des archivistes français (AAF) n’a pas, puisqu’elle a appelé officiellement cette année ses membres à participer aux articles sur les archives municipales et départementales. Du côté des Archives nationales, les archivistes contribuent déjà en toute autonomie à l’amélioration de l’encyclopédie.
Un concours de photo
Reste un irréductible de poids, la Réunion des musées nationaux (RMN). L’agence photographique de la RMN, farouche opposante de la licence libre, met également un frein à l’illustration des articles de Wikipédia. En effet, la licence libre utilisée par Wikimedia Commons suppose la réutilisation pour tous les usages, y compris une utilisation commerciale. Or l’activité de diffusion photographique constitue l’essentiel des ressources externes de la RMN (avec un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros en 2010), et permet de financer acquisitions, expositions et publications. Permettre la diffusion de ses photos sur Wikipédia équivaudrait à ouvrir une boîte de Pandore, même pour des images de basse qualité. Il est vrai que la licence libre est en l’état incompatible avec la notion française de propriété intellectuelle. Aux États-Unis, la notion de « fair use » établit des exceptions au droit d’auteur, lorsque l’utilisation a des visées éducatives et non lucratives, sans que les auteurs ne se sentent lésés, puisque, de toute façon, les utilisateurs n’auraient pas eu les moyens d’acheter les droits et de les rétribuer. C’est sur cette base que le Wiki américain fonctionne, en citant toujours la paternité de la photographie. Au ministère de la Culture, des groupes de travail réfléchissent depuis 2008 à la diffusion des « données publiques culturelles » dont font partie les représentations d’œuvres d’art. Restriction de la résolution de l’image, création de liens vers le site de la RMN : des accords peuvent être trouvés et le sont au cas par cas, comme à la BNF. Des vignettes en basse résolution sous licence libre, ce que demande Wikipédia, ne vont pas nécessairement avoir un impact sur le chiffre d’affaires de la RMN. Pour l’instant, la RMN s’y refuse.
Pour remédier à cette impasse, Wikimédia France a soutenu le projet « Wiki Loves Monuments », un concours européen de photographie des monuments historiques. À partir d’une liste établie sur Wikipédia, chaque internaute pouvait participer en déposant ses clichés sur Wikimedia Commons durant le mois de septembre, en respectant la législation sur le droit d’auteur (lire l’encadré). Le succès a été au rendez-vous avec 25 000 photos de monuments français ajoutées pour une part non négligeable par des « primo-utilisateurs », signe que l’encyclopédie n’a pas fini de conquérir des contributeurs.
En 2012, l’association aura fort à faire. Elle envisage des partenariats avec le Musée de Cluny, le Centre Pompidou, la Mairie de Paris ou encore le Louvre-Lens. De quoi continuer à enrichir les projets Wikimedia, et contribuer à rendre l’encyclopédie toujours plus indispensable. Universalis et Britannica, grands perdants du « Web 2.0 », n’auront sans doute pas eu conscience du basculement du savoir pyramidal vers la diffusion collaborative.
Le 23 novembre, l’Assemblée nationale rejetait une proposition d’amendement visant à introduire la « liberté de panorama » dans le droit français. Cette exception au droit d’auteur, qui permettrait de reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public, existe dans un grand nombre de pays européens (dont l’Allemagne, l’Espagne ou l’Irlande). Elle est devenue un des grands enjeux du développement de la bibliothèque d’images de Wikimedia Commons.
En France, la reproduction de façades de bâtiments dont l’architecte est mort il y a moins de soixante-dix ans est actuellement soumise à l’accord de ses ayants droit. Des stations de métro d’Hector Guimard (mort en 1942) au Stade de France en passant par les immeubles de Le Corbusier, c’est donc toute l’architecture du XXe siècle en France qui est de facto privée d’illustrations sur les projets Wikimédia francophones. L’article Wikipédia en français sur Jean Dubuffet est illustré par ses œuvres installées en extérieur aux Pays-Bas. Pour Wikimédia, la France est ainsi « sous-représentée sur Internet et les œuvres qui s’y trouvent parfaitement invisibles ». C’était la première fois que le sujet était débattu au Parlement.
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Wikipédia veut consolider son portail « Arts »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Wikipédia veut consolider son portail « Arts »