Le projet d’un musée de l’Empire britannique prend forme peu à peu, malgré le retrait prudent des sponsors et les contestations de ceux qui craignent une glorification du colonialisme anglais. Si l’Heritage Lottery Fund accepte d’engager 12 millions de livres dans ce programme, la Grande-Bretagne disposera dans trois ans de son premier musée consacré à l’Empire.
LONDRES. Le groupe d’enthousiastes qui s’efforcent de créer un musée de l’Empire britannique et du Commonwealth fait aujourd’hui les frais du lourd passé impérial. Les discussions restent passionnées, les entreprises hésitent à parrainer un tel projet, et le public lui-même n’est pas très convaincu de sa validité. Abandonné au milieu des années soixante, avec l’octroi de leur indépendance à la majorité des ses colonies, l’Empire britannique est à présent considéré, soit comme un héritage honteux à désavouer, soit comme une perte tragique et regrettable, à l’origine du déclin de la nation. Pourtant, avec le retour de Hongkong à la Chine et le cinquantenaire de l’indépendance de l’Inde, nombre d’intellectuels jugent urgente et nécessaire une réévaluation de l’Empire et de sa signification. Pour accueillir le musée tant désiré, le British Empire & Commonwealth Trust a acquis en 1991 la gare de Bristol. Conçue par Isambard Brunel, c’est la plus ancienne station de chemin de fer au monde. À ce jour, plus de trois millions de livres (28 millions de francs) ont été consacrés à la restauration de ce bâtiment classé, et les travaux devraient prendre fin dans les prochains mois. Le financement a été fourni par des fonds publics et des donations de particuliers, dont la plus importante provient du promoteur immobilier Sir Jack Hayward. Cependant, aucune grande société ou fondation n’a souhaité jusque-là parrainer ce projet onéreux, et une demande de subvention de douze millions de livres (115 millions de francs) a été déposée auprès de l’Heritage Lottery Fund.
L’Empire : creuset culturel
Le musée se donne deux objectifs : étudier le processus historique de transformation de l’Empire en "Commonwealth", et offrir un enseignement aux jeunes générations qui connaissent mal cette période. L’exposition se développera autour des notions d’échanges entre les colonies et la métropole. Une première galerie introductive, offrant une perspective chronologique, débouchera sur des salles consacrées à différents thèmes, comme l’exploration et la découverte, ou la propagation des maladies à travers le monde. Selon le professeur Peter Marshall, éditeur de la récente Cambridge Illustrated History of the British Empire et conseiller historique du projet, l’Empire a été le creuset de cultures différentes et se prête donc particulièrement bien à la création d’un musée. "Nous avons reçu autant d’influences que nous en avons exercées", déclare Peter Marshall, citant pour exemple de ce "syncrétisme moderne produit par les échanges culturels" l’assimilation de l’art africain par l’Occident au début du siècle. La future institution sera, ajoute-t-il, "une célébration de la capacité essentielle des peuples à survivre, à préserver leurs cultures propres et à les enrichir, du fait précisément qu’elles sont menacées". Quatre chercheurs s’attachent à réunir à travers tout le pays les collections qui seront présentées dans le nouveau musée. Les réponses à leurs appels ont dépassé toutes les espérances, qu’il s’agisse de dons de particuliers ou de promesses de soutien émanant des grands musées. Le Victoria & Albert Museum, notamment, s’est engagé à prêter les dizaines de milliers d’objets provenant de l’East India Company – meubles, tissus et armes – qui dorment actuellement dans ses réserves. D’autres sociétés apparues sous l’Empire, comme P&O ou Cable and Wireless, détiennent également nombre de pièces remarquables. Associé au musée, le centre de recherches documentaires, qui a pour but de collecter les témoignages oraux, est l’un de ses aspects les plus pasionnants. Ces trois dernières années, quinze volontaires ont conduit des entretiens auprès de plus de 700 personnes qui ont vécu en divers points de l’Empire et du Commonwealth.
Un engagement d’impartialité
La tâche la plus ardue consistera à présenter de manière impartiale l’histoire des Britanniques et celle des peuples qu’ils ont dominés. John Hemming, directeur de la Royal Geographic Society et président du British Empire & Commonwealth Trust, souligne que ce musée ne sera pas “une glorification chauvine”, qu’il montrera “le bon avec le mauvais”, et exposera en détail les efforts des peuples pour obtenir leur libération. On y trouvera “plus d’enseignements sur Gandhi et Mandela que sur la bataille d’Hastings”. Dans le même esprit, John Letts, président de la société Empire Museum Ltd, suggère de présenter différents panneaux et légendes pour un même événement afin d’offrir plusieurs lectures de celui-ci. Ainsi, l’insurrection indienne de 1857 peut être considérée comme le premier soulèvement indien ou la première guerre de libération. “Même ceux qui combattent le concept d’empire devraient trouver un grand intérêt dans la création du musée”. Parmi les autres administrateurs, Lord Desai, de la London School of Economics, qui est indien et connu pour ses positions de gauche, déclare “qu’évidemment, il y aura des désaccords”, mais que sa présence au conseil “garantit que les moments les plus honteux de l’histoire de l’Empire” trouveront l’écho nécessaire. Si l’Heritage Lottery Fund décide de soutenir le projet, la Grande-Bretagne disposerait, trois ans après la ventilation des fonds, de son premier grand mémorial sur la colonisation. Cinq siècles exactement depuis le départ de John Cabot qui, commandité par les marchands de la ville, quitta le port de Bristol en 1497 pour aller planter le drapeau britannique sur les côtes de Terre-Neuve...
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L’Empire Museum contre-attaque
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°45 du 10 octobre 1997, avec le titre suivant : L’Empire Museum contre-attaque