Oscillant entre classicisme et modernité, artisanat et high-tech, l’artiste Xavier Veilhan part à l’assaut du château de Versailles. Portrait d’un optimiste.
Avec son esthétique efficace et lisible, lavée de tout complexe, ses filiations classique et néo-pop à la fois, son usage simultané de l’artisanat et de la technologie de pointe, Xavier Veilhan occupe une place solide dans la galaxie des artistes français. Dandy à la manière d’un Andy Warhol ou d’un John M. Armleder, il a mené sa barque en marge de la génération dite « de l’esthétique relationnelle », portée par la critique. Ce qui lui a valu sans doute un train de retard sur le plan de la notoriété. Il ne figurera pas dans l’exposition séminale « Il faut construire l’hacienda », sous le commissariat de Nicolas Bourriaud et Éric Troncy au CCC (Centre de création contemporaine) de Tours en 1992. Mais le centre d’art tourangeau lui consacrera une monographie trois ans plus tard. D’aucuns le considèrent aujourd’hui comme un artiste pompier, critique confortée par son sens du panache et des relations sociales. « Malgré sa bonhomie et son aisance sociale, il se questionne beaucoup, défend son ancienne galeriste Jennifer Flay. Ce n’est pas plus facile d’être artiste pour Veilhan que pour un autre. » La question du créateur officiel semble même au cœur de ses réflexions actuelles. L’articulation entre l’autorité du pouvoir et celle du plasticien traverse ainsi son exposition programmée cet automne au château de Versailles, lieu régalien s’il en est.
Effet de présence
L’ambiguïté de Xavier Veilhan trouve ses racines dans une famille catholique de gauche, partagée entre traditionalisme et libéralisme. D’un père fabricant de bateaux lui vient le goût de la construction, et quelques modèles avoués comme Gustave Eiffel ou Henry Ford. Sa dualité se confirmera dans la maîtrise de logiciels sophistiqués parallèlement à un corps-à-corps avec l’artisanat. Ainsi n’a-t-il pas hésité à faire entrer le tour du potier à la galerie Jennifer Flay. Bien qu’il ait partagé pendant dix ans son atelier avec Pierre Huyghe, rencontré à l’École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris, Veilhan a développé une fascination moindre pour l’image que pour la sculpture et la forme. « J’apprécie la dimension aérienne de certains artistes, mais j’aime aller au charbon », confie-t-il. Se qualifiant d’« artiste moderne », il réinterprète les formes classiques en les passant au tamis contemporain. Lors de la première édition de « La force de l’art », en 2006 au Grand Palais, il avait tissé une continuité entre le baron de Triqueti, Calder et Bertrand Lavier, les liens étant selon lui plus forts que les ruptures. C’est un même continuum qu’il tente de recréer à Versailles avec dix portraits d’architectes contemporains tels Jean Nouvel ou Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, confrontés à l’héritage de Le Nôtre et Le Brun. « Le classicisme de Veilhan, c’est la peur de ne pas être compris, observe Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Il est attentif à ce que le public le plus large puisse le comprendre. » Une préoccupation proche de celle de Jeff Koons, qui l’a précédé à Versailles. Le Rhinocéros rouge, carrossé comme une Ferrari, serait-il la réponse française au Rabbit de l’artiste américain ? Dans le catalogue de sa rétrospective du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (2005), le conservateur Patrick Javault remarque que « Veilhan mise sur l’effet de présence, le choc autant visuel qu’émotionnel, une façon d’entrer avec effraction dans l’espace artistique et d’y revendiquer une place ». Encore du Jeff Koons… En scannant de plain-pied ses amis ou collaborateurs, il se situe aussi dans l’esprit des portraits de la Factory de Warhol. Pour Jennifer Flay, « il serait réducteur de le voir en néo-pop, mais il travaille dans la tradition de la cristallisation des images qui deviennent presque des icônes ». Quitte à ce que ces icônes cultivent le malentendu. « Je suis ravi que certaines œuvres deviennent des logotypes. Ce qui est important, c’est ce qui est ressenti, pas ce que j’ai voulu faire », déclare Veilhan. Et d’ajouter sans fard : « Je suis un artiste de la surface. Je suis plus dans l’exploration que dans le forage vertical. »
Une « exploration » qui l’a conduit à flirter avec le luxe. Il a ainsi collaboré au lancement des boutiques de joaillerie de Chanel dans plusieurs pays. Le résultat à New York laissait le spectateur plus que dubitatif. Interrogé à cette occasion par le quotidien Le Monde, il avouera « avoir donné son âme au diable, l’avoir louée au moins, et en être assez content ». Ses portraits eux-mêmes ne sont-ils pas des gimmicks lucratifs et faciles ? « Ce ne sont pas des commandes, Xavier ne courtise pas, martèle son galeriste parisien Emmanuel Perrotin. Il n’est jamais tombé dans cette facilité-là. Lorsqu’il fait le portrait de Pierre Huyghe, c’est Pierre, son ami, pas Pierre Huyghe l’artiste. » Derrière sa façade d’éternel jeune homme gentil, cool et sportif, on devine une certaine inflexibilité. « Il a quelque chose d’irréductible, de rétif à la récupération, affirme Fabrice Hergott. Son œuvre n’est pas charmante, conviviale. Je crois qu’il veut être populaire d’une certaine façon pour compenser le côté rude de son travail. » Cette ambivalence apparaissait dès 1995 avec les cavaliers de la Garde républicaine. Facettées, ses sculptures actuelles d’animaux perdent tout sens du détail, tombent dans le champ du générique. Bien que dotés de prénoms d’amis ou de collaborateurs supposés les « incarner », ses portraits s’apparentent à des prototypes, débarrassés de toute enveloppe psychologique. « Il perturbe les attentes du spectateur quant au détail et à la proportion. Il crée une confusion dans la distance que l’on prend face à un objet », constate Deborah Neumann, dont l’époux, Hubert, est le plus gros collectionneur de Veilhan. « J’aime l’idée d’éclatement et de synthèse, le balancement entre un monde morcelé et un monde qui redevient lisible », explique l’artiste.
Une équipe fidèle
Bien que Veilhan ait longtemps évité toute marque de fabrique, il semble s’être figé dans une esthétique numérique. Il essaie néanmoins de déjouer les habitudes par le biais de collaborations menées avec le musicien Sébastien Tellier pour la Nuit blanche parisienne de 2006 ou avec le groupe Air l’année suivante. Il s’est surtout frotté avec bonheur au commissariat d’exposition avec le « Projet hyperréaliste » lors de la Biennale de Lyon 2003, avant la « Force de l’art ». Cette dernière avait suscité en son temps une certaine controverse. « J’avais été invité, précise-t-il. La question, c’est : répond-on à une invitation ? C’est une question de bienséance, un risque à prendre. » En menant une réflexion fine sur le médium « exposition », Veilhan est en phase avec les Parreno-Huyghe. Mais contrairement à ces derniers, il a une capacité – ou volonté – de production plus grande. « Huyghe accorde une attention au pixel près. Pour Xavier, ce qui compte, c’est d’avancer, remarque un proche. La finition le préoccupe, mais pas au point de le freiner. » Il ne semble pas non plus particulièrement frustré de la renommée internationale d’un Philippe Parreno. « Les cartes ne sont pas totalement jouées », estime le directeur du Magasin à Grenoble, Yves Aupetitallot, lequel avait milité en vain pour que Veilhan obtienne le pavillon français à la Biennale de Venise 2005. « Si Xavier sait bien s’y prendre, il sera plus en écho que ses amis avec les jeunes artistes, qui réinvestissent de plus en plus les catégories plastiques plus classiques. En accordant une attention particulière à la réalisation de son travail, Xavier a les qualités qu’attendent souvent les professionnels étrangers. » Reste à voir s’il est dans les bons réseaux… Selon la critique d’art Bénédicte Ramade, « Xavier s’est beaucoup épanoui. Au début des années 1990, il était impatient alors qu’il est apaisé aujourd’hui. Il a depuis créé son propre système de production avec une équipe fidèle, qui n’est pas forcément dans la dynamique des artistes héroïques travaillant seul. » Fondamental dans son processus de travail, l’atelier est un espace métaphorique dans lequel Veilhan navigue en smooth operator (« opérateur doux »). « Il est très attentif aux autres, il aime discuter, sans non-dits », observe son assistante Mahaut de Kerraoul. « Ce qui est étonnant, c’est sa capacité à parler technique avec un fondeur et à recevoir tout aussi facilement des directeurs de musée. Il a une grande souplesse », ajoute une autre collaboratrice, Violeta Kreimer. La fluidité et l’optimisme seraient-ils finalement ces cartes maîtresses ? « Xavier trouve la bonne solution au bon moment, résume son ami l’artiste Alain Séchas. Il y a en lui une sorte de positivisme. C’est peut-être ça son art : avoir pris la décision d’être positif et s’y tenir. »
1963 Naissance à Lyon.
1995 Exposition au CCC à Tours.
2000 Exposition au Magasin à Grenoble.
2003 Commissariat du « Projet hypperréaliste », Biennale de Lyon.
2004 Exposition « Vanishing Point » à l’Espace 315, Centre Pompidou, Paris.
2005 Exposition « Le Plein emploi » au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.
2006 Co-commissaire de « La force de l’art », Grand Palais, Paris.
2009 Exposition « Veilhan Versailles », château de Versailles (13 septembre-13 décembre).
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Xavier Veilhan - Artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : Xavier Veilhan - Artiste