Porter à l’écran la vie de Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) imposait de donner à ses audaces picturales et formelles un équivalent cinématographique. Dénué d’un regard de cinéaste et desservi par un scénario schématique, le Lautrec de Roger Planchon trahit le nabot de Montmartre.
Les cinéastes avaient trouvé dans la “vie passionnée” de Rembrandt ou Van Gogh un matériau de choix, riche en péripéties romanesques et tourments en tous genres. Henri de Toulouse-Lautrec, le peintre de Montmartre, le familier des bordels et des dancings, le nabot génial, dernier rejeton d’une glorieuse lignée, n’avait de ce point de vue rien à envier à ses glorieux collègues. Aussi Roger Planchon, réalisateur de Georges Dandin et Louis, enfant roi, a-t-il eu l’ambition d’embrasser cette vie hors du commun, jusqu’aux frontières de la folie, en une fresque qui capterait un peu l’éclat du Montmartre de la Belle Époque. À la recherche des fantômes de Max Ophüls ou Jean Renoir, il s’est hélas égaré dans une ronde stérile et poussive, sans jamais faire du peintre autre chose qu’un Charlot pathétique. Face à la récurrence lassante des séquences de cabaret, l’idée d’un remake de French Cancan (Jean Renoir) vient même à l’esprit. Manifestement fasciné par ces spectacles, Planchon a voulu insuffler à son film l’ivresse des danses endiablées, passant sans reprendre son souffle du Moulin Rouge au bordel, des ateliers parisiens au château albigeois. Malheureusement, les richesses chromatiques et les audaces formelles de Lautrec font cruellement défaut aux sages et scrupuleuses reconstitutions du film, qu’il est tentant de résumer par une formule du psychiatre chargé de soigner Lautrec, comparant son comportement à “une façon de danser au-dessus du vide”.
En effet, l’enchaînement rapide des séquences ne parvient pas à masquer la faiblesse du scénario, écrit par le metteur en scène lui-même, dont les dialogues schématiques font regretter la poésie amère du Van Gogh de Maurice Pialat. Ainsi, il ne suffit pas de mettre dans la bouche de l’acteur incarnant Van Gogh, avec un air halluciné, quelques extraits de sa correspondance pour construire un personnage. Les amours contrastés de Lautrec et de Suzanne Valadon constituent naturellement le cœur du film, mais de la passion brûlante des deux amants et de leurs rivalités artistiques, Planchon ne tire qu’une romance tiède, faute d’avoir su donner corps à ces tensions et à cette jalousie latente. En revanche, il réussit par moments à tisser des liens émouvants entre l’artiste et ses parents, interprétés avec talent par Anémone et Claude Rich.
Et la peinture dans tout cela ? Si le “Vive la lumière des impressionnistes” d’Émile Bernard, par sa naïveté, fait sourire, les propos échangés par les peintres tout au long du film n’échappent guère aux lieux communs et peinent à rendre compte de l’expérience picturale. À aucun moment le metteur en scène ne parvient à faire de la question de la représentation un enjeu de la narration, restant désespérément au niveau de l’anecdote. En revanche, dans sa peinture des prostituées, après s’être complaisamment appesanti sur leurs appas, il finit par révéler l’envers du décor, mettant à nu les détresses et les misères de ces pauvres filles croquées avec tendresse par Lautrec.
Un film écrit et mis en scène par Roger Planchon, avec Régis Royer, Elsa Zylberstein, Anémone, Claude Rich. Sortie le 9 septembre.
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Plate peinture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Plate peinture