Le Musée du Louvre propose la première exposition exclusivement consacrée à la cité mésopotamienne
- Une cité double, tantôt perçue comme une ville idéale, tantôt comme un royaume de Satan.
C’est une démonstration historique et non une exposition de civilisation », prévient d’emblée Béatrice André-Salvini qui présente, au Louvre, la première monographie exclusivement consacrée à la cité mésopotamienne de Babylone. Car, aussi incroyable que cela puisse paraître, celle qui rayonna aux IIe et Ier millénaires avant notre ère sur tout le Proche-Orient antique n’est bien souvent évoquée qu’à travers le prisme déformé des textes bibliques ou des auteurs classiques. Oscillant entre haine et fascination, ces derniers ont ainsi nourri le mythe d’une cité double : tantôt ville idéale, dont les formidables murailles et les jardins suspendus étaient dignes de figurer parmi les Sept Merveilles du monde, tantôt royaume de Satan dont la fameuse Tour à étages symbolisait, à elle seule, la démesure et le chaos…
Or, aussi fantasmatique soit-elle, Babylone retrouve sa réalité historique grâce à l’extraordinaire documentation matérielle et textuelle rassemblée par Béatrice André-Salvini. À travers quatre cents œuvres prêtées par les plus grands musées (tels le British Museum de Londres et les Staatliche Museen de Berlin), se dessine ainsi le portrait d’une ville au rayonnement politique et culturel exceptionnel, dont la splendeur et la gloire fluctuèrent au gré de ses souverains.
L’exposition s’ouvre ainsi très logiquement par l’évocation du grand Hammurabi, le véritable fondateur de Babylone qui régna au XVIIIe siècle avant notre ère, et dont le célèbre « Code » gravé dans le basalte exalte et légitime la fonction royale. Doit-on reconnaître un portrait de ce souverain éclairé dans cette magnifique tête conservée au Louvre (le visage émacié, le regard comme tourné vers lui-même) ou dans cette statuette de bronze figurant un dédicant, la main droite devant la bouche en signe d’adoration ? Au-delà de leur symbolique et du culte rendu à la personne royale – bien des souverains se réclameront par la suite de la figure tutélaire d’Hammurabi –, s’impose la virtuosité des ateliers de bronze babyloniens.
Absence de la porte d’Ishtar
Si Babylone semble connaître une brève éclipse politique au cours de la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C. (même si ses richesses matérielles, sa pensée et sa langue voyagent de l’Iran à l’Égypte !), c’est pour mieux renaître et briller de mille feux sous le règne du célèbre Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.). Peu de souverains hissèrent l’architecture de leur capitale à un tel degré de splendeur et de raffinement. Certes, toute muséographie ne saurait restituer la majesté et l’ampleur de la cité mésopotamienne : la reconstruction spectaculaire de la porte d’Ishtar n’a, bien sûr, pu quitter le Musée du Proche-Orient de Berlin. L’exposition parisienne présente néanmoins quelques magnifiques reliefs de briques à glaçure colorée exaltant les principales figures du panthéon babylonien : le dragon, symbole du dieu poliade Marduk, le taureau d’Adad, le dieu de l’orage, et enfin le lion d’Ishtar, la fille du Ciel. Témoignant d’une belle sensibilité, les aquarelles réalisées par l’archéologue allemand Walter Andrae lors de ses fouilles, au tout début du XXe siècle, font presque pâle figure à côté des merveilleux accords chromatiques jaune/bleu azur inventés par le génie babylonien ! Mais Nabuchodonosor II devait à jamais associer son nom à celui de sa fameuse « ziggourat » ou Tour à étages, dont la forme et la signification ne cesseront d’intriguer archéologues et artistes. Observatoire astronomique ? Centre cosmique de l’univers assurant le lien entre le Ciel et le monde inférieur ? Hélas, si l’on en croit Pline l’Ancien, de la splendeur de la ziggourat ne subsistait plus qu’un amas de ruines au Ier siècle de notre ère…
Or, c’est précisément de ce décalage entre la timidité des vestiges archéologiques – Babylone, ville d’argile, a été maintes fois pillée, détruite, reconstruite… – et l’aura de légendes que s’est nourrie, au fil des siècles, la fortune critique de Babylone. L’exposition du Louvre orchestre ainsi avec brio les mille et une facettes du « mythe babylonien », en confrontant manuscrits arabes et occidentaux, toiles et gravures de maîtres européens (de Dürer à William Blake), mises en scènes de théâtre et d’opéra (reflétant les progrès des fouilles archéologiques), et même extraits de film ! Parmi ce rassemblement de chefs-d’œuvre, l’on retiendra cette magistrale « Tour de Babel » (« Babylone », en hébreu) de Bruegel l’Ancien, incarnation métaphysique de l’orgueil humain, ou cette fascinante gravure d’Étienne-Louis Boullée, aux accents utopistes. Comme les deux faces d’un même miroir. Les visages d’une seule et même ville…
Babylone, jusqu’au 2 juin, Musée du Louvre, Hall Napoléon, Paris, tél. 01 40 20 50 50, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-18h45, mercredi et vendredi 9h-21h45. Catalogue sous la direction de Béatrice André-Salvini, coédition Musée du Louvre Éditions/Hazan, 580 p., 49 euros. Conférence (lire p. 34) le 26 mars à 12h30, à l’auditorium du Louvre par les deux commissaires de l’exposition. Film documentaire B... comme Babylone ! de Christine Tomas et Bernard Georges, 52 minutes, DVD Montparnasse Édition/musée du Louvre, 28 euros.
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Les splendeurs de Babylone
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Les splendeurs de Babylone