L’approche de l’art du strict point de vue de l’investissement, à côté de sa dimension plastique, peut s’avérer extrêmement délicate. Pour les financiers, il est en effet difficile de donner un prix à un domaine aussi nébuleux que l’esthétisme. Il est cependant possible d’analyser l’art et son marché en termes de bénéfices purement financiers.
LONDRES - La plus célèbre stratégie d’“art comme investissement financier” a été celle adoptée par la British Rail et son fonds de pension. Malgré une bonne synchronisation (achat dans les années 1970 et au début des années 1980, et revente du milieu à la fin des années 1990), les profits de la British Rail n’ont pas été supérieurs à ceux produits par la Bourse en Grande-Bretagne dans le même temps. Les investisseurs qui se sont tournés vers le marché de l’art en espérant en tirer davantage de plus-values que, plus classiquement, en Bourse, ont rencontré des difficultés. Ceci explique en grande partie pourquoi il existe aussi peu d’investisseurs institutionnels en art, alors que le montant des fonds dans le cadre de la gestion des placements professionnels aux États-Unis et en Europe a plus que doublé pendant les années 1990, pour atteindre quarante mille milliards de dollars, soit près de quarante quatre mille milliards d’euros.
L’art est-il un placement risqué pour le financier privé ? Pas nécessairement. Le prix des œuvres d’art est en effet très nettement à la hausse sur le long terme, puisque la masse des richesses, plus que jamais florissantes, notamment en haut de l’échelle de la société, est contrebalancée par une offre limitée de pièces. De plus, la réduction, dans certains pays, au cours des années 1970, des taux d’imposition sur les revenus élevés, explique le grand succès de l’art pendant les années 1980.
Hormis la richesse croissante, comment justifier alors la valeur de l’art en tant que placement ? Les investisseurs essaient depuis longtemps de mettre en place des modèles économiques élaborés et se lancent dans de vastes analyses pour déterminer les placements possédant le meilleur potentiel, le meilleur flux de liquidités, et éviter les erreurs. Les problèmes surviennent lorsque de nombreuses personnes font les mêmes erreurs sur un laps de temps assez long. À ce stade, ce qui, rétrospectivement, semble être un faux-pas, peut devenir une nouvelle tendance. Tel est le schéma applicable par exemple à un autre secteur financier, du milieu à la fin des années 1990, celui des entreprises de l’Internet. L’onde positive du marché s’est transformée en exubérance extrême et la chute, inévitable, a été particulièrement douloureuse.
Pour les investisseurs en art, un emportement excessif est tout aussi possible, mais les collectionneurs ne peuvent pas compter sur des modèles économiques rassurants. Les prix subissent l’influence de l’évolution du goût et sont tributaires des liquidités disponibles. Les investisseurs recherchent aussi bien un revenu régulier, de toute évidence impossible pour l’art, qu’une augmentation de la valeur du bien.
Peu de marchés ont été aussi bouillonnants ou aussi coûteux que le marché de l’Impressionnisme à la fin des années 1980. Mais un nombre important d’acheteurs avait autre chose à l’esprit qu’une simple augmentation de la valeur de l’art. De riches investisseurs japonais étaient désireux de transférer de l’argent à l’étranger pour échapper à l’impôt, en achetant aux États-Unis aussi bien des œuvres que des bons du Trésor au Rockefeller Center. Comme les investisseurs en art, ils étaient intéressés par le caractère constant et théoriquement escomptable de la popularité de l’Impressionnisme. Les acheteurs japonais ont fait monter les prix de ces peintures à des niveaux incroyables. En faisant abstraction de leurs effets déclencheurs, ces appréciations et réévaluations ont eu une influence sur le marché, tantôt effective, tantôt nulle. Les impressionnistes américains ont connu un regain dans les années 1980 puis une chute, comme dans tous les secteurs en 1990-1991, mais, depuis lors, des artistes comme Cassatt, Chase et Lawson ont presque retrouvé leur niveau de 1990. En effet, la réévaluation des impressionnistes américains les a placés dans le secteur le plus performant du marché de l’art depuis ces dix dernières années. Le rôle joué par la force de l’économie américaine est difficile à établir, mais la bonne santé de l’économie irlandaise et la récente popularité de l’art irlandais renforce l’argument selon lequel une économie florissante a un effet très bénéfique sur les artistes nationaux.
À moindre échelle, les peintures scandinaves ont également connu un boom dans les années 1980. Mais, cette réévaluation artistique a coïncidé avec le changement de la fiscalité des œuvres d’art. Celui-ci entraîna une augmentation artificielle des achats, suivie d’un effondrement, après de nouveaux changements fiscaux qui ont coïncidé avec la chute du marché de l’art. Depuis, les investisseurs sont fatigués et les prix des peintures suédoises ont stagné. Les financiers se plaignent souvent que leurs placements sont sous-estimés par le plus grand marché. De même, les investisseurs en art doivent accepter la volatilité du goût du public. Mais un enseignement clair reste à tirer : les investisseurs en art devraient éviter les marchés guidés par l’évasion fiscale, et rester prudent. Comme le disent les marchands, achetez ce que vous aimez, car le seul profit que vous pourrez retirer des œuvres qui ne gagneront pas beaucoup de valeur sera celui du plaisir quotidien de les regarder.
Les quatre tableaux ci-contre détaillent les rendements comparés du marché de l’art et de la Bourse, à New York et à Londres, entre 1976 et 2000. Ces ratios correspondent à l’évaluation de la valeur de l’art selon les modèles économiques mis en place par les analystes financiers.
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L’art, un bon investissement ?
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Abonnez-vous dès 1 €James Sproule est consultant financier chez Augusta Partners et maître de conférences à la London School of Economics.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : L’art, un bon investissement ?