À travers un parcours où se mêlent des installations vidéos très construites, deux ensembles de photographies et de surprenantes sculptures, Eija-Liisa Ahtila, née en 1959 en Finlande, revient à Paris, au Jeu de Paume. Entretien.
Souvent, vos installations vidéos sont très élaborées et comportent plusieurs écrans (deux, quatre, voire six). Est-ce une façon de rendre la narration ou l’histoire plus complexes ou bien de proposer plusieurs lectures ?
Les écrans multiples viennent du fait que je m’intéresse aux histoires. Je suis une artiste, je travaille avec l’espace, et je veux voir comment les histoires peuvent y être présentées, comment on peut les y raconter. J’essaye donc en premier lieu, évidemment, de créer un espace bidimensionnel à l’intérieur des images, comme dans le film traditionnel. Mais j’ai avancé vers une situation où le récit se déroule sur plusieurs écrans, ce qui affecte d’abord la manière de le raconter, mais aussi la situation du regardeur. Combien de sortes de positions dans l’histoire peuvent être tenues ? Ce sont des choses auxquelles je dois penser dès le moment où je tourne. Par exemple pour Where is Where ? (2008), ma nouvelle œuvre, on entend plus loin le bruit d’un verre qui tombe. Je voudrais que la personne marche aux alentours, guidée par le son, car c’est un élément dramatique.
La juxtaposition de plusieurs écrans et images est-elle une façon d’impliquer le spectateur dans la construction de son propre montage du film et de l’histoire ? Cela semble très vrai dans Consolation Service (1999), avec ces deux images juxtaposées.
Oui absolument. Dans un film plus classique, avec une seule image, chaque coupure est faite en ayant à l’esprit les idées du réalisateur sur la structure de l’histoire. Vous recevez donc toutes les informations en fonction de la façon dont l’équipe qui les traite les arrange au mieux afin de soutenir le déroulé. Bien sûr, c’est aussi ce que je tente de faire, mais avec plusieurs images, le spectateur doit effectuer un choix. Dans Consolation Service il n’y en a que deux, mais cela le laisse libre de faire son propre film en quelque sorte.
Vos sculptures inattendues (The House Sculptures, 2004) procèdent-elles du film ou sont-elles à côté ?
J’ai étudié la peinture, j’ai eu un diplôme en peinture, mais je ne suis définitivement pas peintre ! L’image en mouvement est véritablement mon médium. La structure y est très importante, mais ce n’est pas quelque chose de difficile. C’est comme si c’était là, vous la pressentez. À propos des sculptures, j’étais comme fascinée par ces maquettes d’architecture qui vous donnent envie d’y pénétrer, où la structure est visible. Je les ai créées après l’installation The House (2002), qui dresse une sorte de métaphore de la dépression d’une femme. J’ai donc fait une métaphore de maisons pour l’esprit. Peut-être sont-elles aussi des images pour l’esprit ? Ce fut vraiment intéressant de réaliser quelque chose de si concret.
Il y a une relation intéressante entre narration et illustration dans votre travail. Bien sûr, elles sont liées, mais dans certaines de vos installations, le dispositif semble ne pas être une stricte illustration de l’histoire, mais un moyen d’aller au-delà...
Tout à fait. Prenons l’exemple de The Hour of Prayer (2005). C’est le seul travail qui soit en un sens autobiographique, car je n’aime pas insérer de tels liens dans ce que je fais. Je veux y inclure des choses auxquelles je pense, que je vois, des gens, des événements, mais pas vraiment d’histoire de ma propre vie. Je crois qu’un de mes buts est de faire en sorte que les images aient aussi un autre rôle dans le film que celui de support ordinaire. Car habituellement, avec l’image en mouvement, vous ne devez pas aborder ce que vous ne pouvez pas montrer. L’action doit donc être au premier plan, tout doit être pensé pour l’événement, et les personnages sont importants aussi dans cette optique. Mais ici le personnage principal c’est le narrateur. Et l’action a déjà pris place. Ce film est donc en quelque sorte quelque chose qui se passe après l’action. Il parle du souvenir, d’événements, de choses qui ne se produisent plus. Je pense que l’approche du film a changé, et qu’il y a sans doute une nouvelle voie pour utiliser les images.
Est-ce parce que vous vous intéressez beaucoup à l’intime que vous utilisez plus souvent des narrations fictives plutôt qu’une approche documentaire ?
Je ne sais vraiment pas ! J’aime passionnément les histoires. Le style documentaire m’intéresse, mais la fiction est une voie qui procède de la réalité je crois. C’est aussi une façon de tenir la caméra, une question de style. Je ne crois pas que cela me soit propre, mais il y a une sorte de manière d’écrire avec la caméra.
- EIJA-LIISA AHTILA, jusqu’au 30 mars, Jeu de Paume – Concorde, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org, tlj sauf lundi 12h-19h, samedi et dimanche 10h-19h, mardi 12h-21h. Catalogue co-éd. Hazan/Jeu de Paume, 192 p., 35 euros, ISBN 978-2-7541-0267-4.
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Eija-Liisa Ahtila
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Eija-Liisa Ahtila