Un livre entier sur les rayographies de Man Ray, cela peut paraître a priori monotone. C’est compter sans la malice d’un artiste souvent désinvolte mais inventif et qui maîtrise son \"truc\" avant qu’il ne devienne populaire.
Arrivé à Paris en 1921, l’Américain Man Ray, qui s’est mis activement à la photographie pour se faire une place dans le milieu des artistes “montparno-dada”, redécouvre ce que l’inventeur Fox Talbot appelait en 1839 ses “photogenic drawings”, empreinte d’un objet posé sur du papier sensible directement exposé à la lumière : la trace reste blanche, en réserve, tandis que le papier noircit autour de l’objet. Faisant ainsi le pied de nez à l’usage standard de l’appareil, ou chambre photographique, et à la photographie de photographe qu’il se plaira à contourner, Man Ray apporte ainsi à ses amis dada – Duchamp, Breton, Tzara – une sorte d’objet trouvé (ready-made) à la fois pleinement photographique (action de la lumière), anti-photographique (reniement de l’appareil), énigmatique (comme un poème automatique) et aléatoire. Il le baptise astucieusement du nom de “rayograph” (rayographie), dérivant de son patronyme artistique Man Ray, qui était déjà un pseudonyme ; mais le terme passe mal en français et se voit supplanté souvent par “photogramme”, appellation utilisée par Moholy-Nagy pour la même technique quelques mois plus tard. Dans les années suivantes, la rayographie oscille entre photographie et peinture, traitée très différemment par le (plutôt) photographe Man Ray et par le peintre Moholy. Chez Man Ray, les objets utilisés sont le plus souvent reconnaissables, mais les assemblages, les transparences qui résultent de la présence de plusieurs objets à des moments d’éclairements différents constituent des évocations insolites de constructions improbables. Ressorts, ampoules, clous, cigarettes, napperon, engrenages, râpe à fromage, clés, pistolet, verres, fleurs, forment la panoplie du rayographiste : Man Ray ira jusqu’à l’appliquer, en une nuit, à la réalisation du film Le Retour à la raison (1923, 2 min 45 s) avec des épingles, punaises et grains de sel posés sur la pellicule. Les rayographies sont connues par quelques publications (Vogue, 1925 ; Vu, 1930) mais leur reconnaissance en tant qu’œuvres reste confidentielle. Man Ray publie en 1922 un album de douze rayographies avec une préface de Tzara, les Champs délicieux, et, en 1931, l’album publicitaire Électricité pour la Compagnie générale d’électricité, qui contribue à populariser davantage le procédé, exposé aussi par Ray et Moholy lors de Film und Foto, en 1929. S’ensuit une “manie du photogramme” dans le milieu “objectif” des années 1930. La publication réalisée Emmanuelle de l’Ecotais comprend 130 planches, une anthologie de textes et le catalogue complet des 305 rayographies retrouvées, entièrement illustré, répondant ainsi avec raison à la publication par le Centre Pompidou il y a quelques années des photogrammes de Moholy-Nagy.
- Emmanuelle de l’Ecotais, Man Ray, rayographies, Éditions Léo Scheer, Paris, 2002, 228 p., 100 euros. ISBN 2-914172-35-4
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°157 du 25 octobre 2002, avec le titre suivant : Planches contact