Marie-Cécile Forest, conservatrice du Musée Gustave-Moreau à Paris, présente Le Poète et la Sirène de Gustave Moreau.
Nombreuses sont les représentations du poète dans l’œuvre de Gustave Moreau (1826-1898) : Tyrtée, Hésiode et les Muses, Sapho, Le Poète voyageur, Poète mort porté par un centaure… La tapisserie Le Poète et la Sirène, dont le Musée Gustave-Moreau conserve une grande esquisse préparatoire peinte, compte parmi les œuvres relevant de cette iconographie si chère au « peintre-poète ». C’est Roger Marx qui, après l’Exposition universelle de 1889, encouragea l’administration des Gobelins à renouveler l’art de la tapisserie en sollicitant des artistes comme Gustave Moreau. Il faut attendre 1894 pour que celui-ci soumette son modèle, sans que l’on sache si l’esquisse peinte conservée au Musée Gustave-Moreau a été la peinture qui remporta l’adhésion de l’administration. La tapisserie de haute lisse en laine, soie et or, aujourd’hui conservée au Mobilier national, sera exécutée à la manufacture des Gobelins entre 1896 et 1898 sur un carton conservé au Musée de Poitiers (1). La bordure, librement interprétée des nombreux recueils d’ornements présents dans sa bibliothèque, participe pleinement au caractère décoratif de la commande.
Si l’iconographie est reprise d’un tableau exécuté en 1892 pour le collectionneur Francis Warrain, les références à d’autres tableaux exécutés précédemment sont multiples. La position de la sirène posant une main dominatrice sur la tête du poète rappelle ces femmes caressant une licorne, dont Moreau a laissé de nombreuses versions, tandis que la dualité entre une femme – parfois monstrueuse – et un homme passif a déjà été explorée à maintes reprises par le peintre, de Hercule et Omphale (Paris, Musée Gustave-Moreau), peint pour Benoît Fould, à Œdipe et le Sphinx (New York, Metropolitan Museum of Art), présenté au Salon de 1864. Mais c’est sans doute avec la grande Galatée, conservée au troisième étage du Musée Gustave-Moreau, que les similitudes formelles sont les plus probantes : même grotte marine polychrome formant écrin, même univers fantastique, même liberté de pinceau. Atmosphère de rêve et d’irréalité qui fera de Moreau l’un des artistes fétiches des surréalistes, comme l’a souligné de manière pionnière Ragnar Von Holten dans un ouvrage intitulé L’Art fantastique de Gustave Moreau (1960). Inventeur de mythes, Moreau se révèle ici tel qu’il se revendique dans ses écrits, le chantre de « la conception imaginative, presque purement plastique ». Le regard de la sirène donne à lui seul à cette peinture un caractère fascinant et hypnotique, propre à cet univers somnambule sur lequel règne « l’œil magique », ainsi que l’a interprété André Breton dans L’Art magique (1957).
Exécutée à la toute fin de son existence, cette esquisse est, assurément, exemplaire de cette liberté acquise avec l’âge et sur laquelle Moreau laissera, en 1895, des lignes admirables : « N’étant plus en goût ni de me défendre, ni de rien vouloir prouver à qui que ce soit, j’en suis arrivé à cet état bienfaisant d’une humilité délicieuse vis-à-vis de mes vieux maîtres du passé et de cette unique joie de pouvoir m’exprimer librement et en dehors de toute juridiction. »
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Marie-Cécile Forest, conservatrice du Musée Gustave-Moreau à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Marie-Cécile Forest, conservatrice du Musée Gustave-Moreau à Paris