Les grandes ventes parisiennes d’art impressionniste, moderne et contemporain organisées en décembre, sont marquées par un appauvrissement de l’offre et une demande soutenue.
PARIS - Sur fond de ciel rose et bleu, qui pourrait être inspiré de Turner, se joue une comédie grimaçante avec pour acteurs sept personnages masqués aux couleurs bigarrées entourant un squelette en costume et toque de hussard. Ce hussard n’est autre que l’auteur de la toile, le Belge James Ensor, obsédé par la mort, qui se représente sous les traits d’un squelette. Squelette arrêtant masques (1891), don de l’artiste, était conservée depuis plus d’un siècle par une famille belge. Proposée par Sotheby’s, l’œuvre, vraisemblablement la plus chère cédée à Paris cette année, a illuminé la session des grandes ventes organisées début décembre. Alors que la vacation connaissait des débuts un peu poussifs, les enchères sont rapidement montées pour s’achever en bataille entre deux acheteurs au téléphone, avant que le marteau ne tombe à 6,4 millions d’euros (7,4 millions frais compris, un nouveau record pour Ensor) sous les applaudissements d’un public nombreux. « Les qualités picturales extraordinaires de ce tableau ont permis un très beau prix, bien au-delà des espérances. Aussi, à Paris, chaque œuvre a de l’espace, ces ventes sont un peu isolées, hors saison. Cela permet de souligner la provenance, et généralement les œuvres sont plus fraîches qu’à Londres ou New York », explique Thomas Seydoux, aujourd’hui conseiller en art. Le tableau, emporté pour un montant au-delà de l’estimation, a compté pour plus de 50 % des 13,3 millions d’euros réalisés lors de la traditionnelle vente du soir d’art impressionniste et moderne, avec des prix élevés encore pour deux tableaux monumentaux de Wifredo Lam.
Chez Cornette de Saint Cyr, de beaux prix aussi étaient enregistrés, pour la collection de Gabriel Albert Aurier, écrivain, poète et théoricien de l’art français au XIXe siècle. Artcurial a quant à elle obtenu un résultat mitigé pour sa vente du soir, soit 1,4 million d’euros, loin de son estimation de 2,5 millions d’euros. Toutes ces vacations étaient quasiment dépourvues d’art impressionniste, signe de la difficulté à s’approvisionner en œuvres dans ce domaine.
Estimations attractives
Qu’il s’agisse de l’art impressionniste, moderne ou contemporain, les grandes ventes parisiennes du mois de décembre révélaient, de façon générale, une offre en repli. « Entre la présidentielle américaine, la campagne française qui se dessine et la nervosité globale des vendeurs due aux excès des années passées, il est difficile de trouver des œuvres. En France, le fait qu’elles ne soient pas assujetties à l’ISF complique encore la tâche », souligne Thomas Seydoux. La demande s’est en revanche montrée dynamique, stimulée par certaines estimations attractives, qui ont permis de faire jouer à plein le mécanisme des enchères. Les vacations d’art contemporain en offraient un bel exemple : de bons taux de ventes (plus de 80 % pour les ventes du soir de Sotheby’s et Christie’s, et entre 70 % et 100 % chez Artcurial), et des résultats dans la partie haute des estimations, voire supérieurs.
Sotheby’s s’est félicitée de son meilleur résultat pour une vente du soir parisienne, soit près de 25 millions d’euros pour 37 lots. La maison de ventes, qui propose depuis plusieurs saisons des « Mariales » de Simon Hantaï, en montrait cette année une superbe de couleur rouge. Acquise il y a dix ans chez Christie’s, l’œuvre a atteint 4,4 millions d’euros, signant un nouveau record pour l’artiste. Deux toiles de Pierre Soulages de 1958 sont également passées sous le marteau ; la plus petite, partie à 5,4 millions d’euros, a multiplié son estimation basse par plus de trois.
Chez Christie’s, c’est un Dubuffet mis en vente par Marina Picasso qui a été en vedette, Trime Burine, une peinture acquise 2,9 millions d’euros. Ici aussi, plusieurs œuvres ont largement dépassé leurs estimations, à l’instar d’un second Dubuffet, Personnage des Légendes, ou d’une toile ovale de Zao Wou-ki issue de la collection Georges Duby ; des pièces cédées respectivement 60 500 euros et 91 500 euros. Si l’an passé plusieurs œuvres avaient traversé l’Atlantique pour être proposées à Paris, ce n’est plus le cas cette saison. « En raison du manque de volume à l’échelle mondiale, Paris récupère moins d’œuvres qui pouvaient être disponibles à New York et Londres », note Thomas Seydoux.
Nombreux petits catalogues de collection
À signaler, plusieurs petites ventes de collection bénéficiaient d’un catalogue séparé, un instrument marketing qui pourrait constituer un nouvel indice de la raréfaction de l’offre. « Depuis 2014-2015, la mode est aux ventes thématiques. On voit une multiplicité de petits catalogues de collection. Ce moyen marketing pour mettre en avant les œuvres et souligner la provenance permet d’attirer les vendeurs et parfois de leur faire accepter des estimations plus raisonnables. C’est le reflet de beaucoup de collections françaises : des ensembles importants qui ne comportent pas forcément d’œuvres locomotives », constate Thomas Seydoux. Chez Sotheby’s, une collection italienne d’œuvres du XXe siècle composée d’une petite trentaine de lots n’a pas fait d’étincelles, mais a aisément atteint le bas de son estimation, 7,4 millions d’euros.
Artcurial avait aussi usé de l’astuce : dépouillant ses ventes traditionnelles, la société avait organisé trois dispersions de collections séparées. Celle de Jean Leymarie, importante personnalité de monde de l’art à partir de l’après-guerre, a fait florès : 100 % des œuvres ont été vendues pour un total de 3,7 millions d’euros, bien au-dessus de l’estimation. Celle de Michel Fedoroff, soutien de la scène contemporaine française, remportait également un beau succès (3,7 M €) quand l’ensemble de Sanyu venant de Jean-Claude Riedel réalisait un résultat honorable (479 700 €). Christie’s proposait quant à elle une petite cinquantaine d’œuvres de l’ancienne galerie Stadler (artistes Gutaï, Arnulf Rainer…), mais avait fait le choix de les intégrer dans ses ventes du soir et du jour. Cet ensemble a atteint 1,4 million d’euros, près de deux fois son estimation. La maison de François Pinault, qui ne distille pourtant ses chiffres qu’avec parcimonie, a d’ores et déjà annoncé qu’elle avait retrouvé son leadership dans le domaine de l’art contemporain en France, avec 70 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année, son plus haut montant depuis son implantation dans l’Hexagone.
Toutes les estimations sont indiquées hors frais acheteur tandis que les résultats sont indiqués frais compris.
Collection Jean Leymarie, le 5 décembre
Résultat : 3,7 M€
Estimation : 1,9 M€
Taux de vente : 100 %
Art impressionniste et moderne, le 6 décembre
Résultat : 1,4 M€
Estimation : 2,5 M€
Taux de vente : 62 %
Art d’après-guerre et contemporain, le 6 décembre
Résultat : 3,7 M€
Estimation : 3 M€
Taux de vente : 71 %
Collection Jean-Claude Riedel, le 6 décembre
Résultat : 479 700 €
Estimation : 369 000 €
Taux de vente : 70 %
Christie’s
Art contemporain, vente du soir, le 7 décembre
Résultat : 10,1 M€
Estimation : 7-10 M€
Taux de vente : 82 %
Sotheby’s
Art contemporain, vente du soir, le 6 décembre
Résultat : 24,8 M€
Estimation : 13,2-18,7 M€
Taux de vente : 86 %
Art impressionniste et moderne, le 7 décembre
Résultat : 13,2 M€
Estimation : 7,2-10,4 M€
Taux de vente : 71 %
De Magritte à Indiana, une collection italienne, le 7 décembre
Résultat : 7,4 M€
Estimation : 6,5-9 M€
Taux de vente : 81 %
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Moderne et contemporain, un déséquilibre entre l’offre et la demande
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Abonnez-vous dès 1 €James Ensor, Squelette arrêtant masques, 1891, huile sur toile, 30,5 x 50,7 cm, vente du 7 décembre, Sotheby's, Paris. © Photo : Sotheby’s/Art digital studio.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Moderne et contemporain, un déséquilibre entre l’offre et la demande