PARIS
Le cinéaste russe revient sur l’histoire du Louvre sous l’Occupation, occasion d’une méditation plus générale sur le rapport du pouvoir à l’art.
« La plus heureuse des villes n’est pas à l’abri d’un désastre », déclare la voix off. Le 18 juin 1940, Paris est déclarée « ville ouverte » et se rend aux troupes allemandes. Quel avenir pour le Musée du Louvre alors que les chefs-d’œuvre qu’abrite l’institution attisent la convoitise de Hitler ? Le dernier film du cinéaste russe Alexandre Sokourov narre l’histoire du Louvre sous l’Occupation au travers d’images d’archives, mais aussi de séquences contemporaines dans lesquelles les acteurs Louis-Do de Lencquesaing et Benjamin Utzerath incarnent le rôle de deux hommes clés dans le sauvetage des œuvres du Louvre. D’un côté, Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux, a fait déménager et mettre en sûreté les collections dans des châteaux de province. De l’autre, le providentiel comte Franz von Wolff-Metternich, chargé par l’Allemagne de la protection du patrimoine artistique ennemi entre 1940 et 1942, va soutenir discrètement l’action de Jaujard, prétextant d’interminables contretemps bureaucratiques pour ne pas déloger les œuvres de leurs abris. Dans une scène émouvante, le réalisateur assoit l’Allemand et le Français côte à côte. Tandis qu’Alexandre Sokourov les informe de leur avenir, jalonné de postes prestigieux, de titres honorifiques, de mort et d’oubli, Jaujard lève la tête. « Et le Louvre ? », demande-t-il, comme insensible à son propre sort devant la survivance du plus grand musée du monde. Face à ces deux « hommes de bien », qui ont placé la protection des œuvres au-dessus de tout, le pouvoir politique apparaît dans toute sa mégalomanie, avide de trophées de guerre. Avec Hitler bien sûr mais aussi sous Napoléon. Comme en 2002 dans L’Arche russe (lire le JdA no 167, 21 mars 2003), film dans lequel apparaissent les grandes figures de la Russie qu’il a réunies à l’Ermitage (Saint-Pétersbourg), le réalisateur convoque plusieurs personnages historiques français au sein d’un grand musée national. Errant comme un fantôme au milieu du musée à qui il donna un temps son nom, Napoléon pose sur chaque recoin un regard de propriétaire, à la suite des campagnes militaires qu’il a menées et qui ont enrichi considérablement les salles du Louvre. « J’ai tout apporté ici, moi. Tout. Sinon pourquoi j’aurais fait la guerre, si ce n’est pour l’art », déclare-t-il. Figure belliqueuse et spoliatrice, Napoléon n’en a pas moins marqué l’histoire du Louvre, qu’un Jaujard et un Wolff-Metternich se sont attachés à défendre le siècle suivant. Dans Francofonia, Marianne, coiffée d’un bonnet phrygien, répète inlassablement « Liberté, Égalité, Fraternité », comme la deuxième face d’un disque qui jouerait le refrain d’une France éternelle. Sokourov livre ici un film poétique et polysémique qui, au travers d’un collages de séquences hétéroclites, a voulu exprimer, entre autres choses, une « tendance universelle qui tend à célébrer la culture française, même si elle est en déclin ».
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Le Louvre de Sokourov
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Abonnez-vous dès 1 €Francofonia, le louvre sous l’occupation, réalisé par Alexandre Sokourov, 90 minutes, 2015, sortie en salles le 11 novembre.
Légende photo
Alexandre Sokourov, Francofonia, 2015, image extraite du film. © Musée du Louvre/Arte.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Le Louvre de Sokourov