La qualité des œuvres et le volume des transactions étaient de bonne tenue,
même si le visiteur était un peu submergé par l’offre, étendue cette année à l’art d’Asie.
PARIS - La qualité du Parcours des mondes, qui s’est tenu du 8 au 13 septembre dans le quartier de Saint-Germain-des-Près, ne se dément pas, alors même que l’offre, surabondante, comporte une grande nouveauté : l’ouverture à l’art d’Asie de la manifestation consacrée traditionnellement à l’art tribal. Les premiers échos de cette initiative étaient plutôt favorables. Selon Pierre Moos, le président de la manifestation, « lors du vetting [comité d’experts] du Parcours asiatique, les conservateurs des musées Cernuschi et Guimet, entre autres, ont été époustouflés. Les marchands ont apporté des pièces importantes ». L’objectif de cet élargissement ? Que les uns bénéficient de la clientèle des autres : « On peut aimer tout autant une statue Senoufo et un Bouddha du Népal, même si l’on sait que certains collectionneurs sont exclusifs et obsessionnels. » Dix-neuf marchands avaient rejoint l’aventure, ravis qu’un événement dans le domaine ait lieu à Paris. Parmi eux, Christophe Hioco (Paris), qui montrait une tête Gupta en grès, datée du IVe siècle (autour de 150 000 euros) ; Marcel Nies (Anvers), qui avait également apporté de belles pièces, tout comme Alexis Renard (Paris), dont l’objectif était de rencontrer de nouveaux collectionneurs, « car depuis quinze ans il y a moins d’acheteurs ». Le marchand a vendu très vite une peinture indienne représentant Kali, du XVIIIe siècle. Jacques How-Choong (Bruxelles) présentait une sculpture en bois, sans doute le portrait d’un moine, Chine, XIIe-XIIIe siècle (prix à « 6 chiffres »). « J’ai essentiellement rencontré des Parisiens, d’abord parce que lorsqu’un salon se crée il faut le roder, mais aussi parce que se tenait jusqu’au 19 septembre l’Asia Week de New York ». Il faut laisser au salon le temps de s’implanter.
Dessins amérindiens
Du côté de l’art tribal, de nombreux marchands s’étaient donné la peine de concevoir des expositions, mais entre celles qui ont requis un réel travail de recherche, sur plusieurs années, catalogues à l’appui et les présentations un peu fourre-tout, au titre déguisé pour ne pas indiquer « nouvelles acquisitions », l’écart pouvait être important. L’une des plus belles expositions était celle du new-yorkais Donald Ellis qui avait apporté une cinquantaine de dessins des Indiens des plaines (1865-1900) et un important groupe de masques de danse Yup’ik (Alaska), important tant par le nombre et la qualité que par la provenance (ancienne collection Robert Lebel ou Donati). Plusieurs étaient déjà vendus avant le vernissage. Il dévoilait également la collection Wolf d’ivoires préhistoriques de la mer de Béring. Les prix oscillaient entre 35 000 et 600 000 euros. Bruce Frank (New York) montrait un ensemble de terres cuites Sepik, de la région Pora Pora issues de l’ancienne collection Friede, pour des prix allant jusqu’à 18 000 euros. Laurent Dodier (Le Val-Saint-Père) dévoilait un ensemble de lances mélanésiennes, 45 au total, ayant nécessité trois ans de recherches. Devant ces pièces d’une grande diversité, toutes intactes, les amateurs n’ont pu résister (de 1 000 à 6 000 euros). La galerie Dartevelle (Bruxelles) présentait les Mambila kike, de la collection Picha, figurines dont plusieurs affichaient d’un point rouge. Quant à Bernard Dulon (Paris), toujours très rigoureux dans sa sélection, il a rapidement cédé sa pièce maîtresse, peut-être la plus belle du parcours, une statue Luba à patine suintante du maître Warua, République démocratique du Congo, vendue aux enchères il y a quelque temps pour plusieurs millions d’euros.
Pierres paléolithiques
Évoquant le rythme des transactions, Pierre Moos était très enthousiaste dès le soir du vernissage : « Je n’avais jamais vu autant de monde. Les marchands ont vendu à tour de bras. Ils étaient euphoriques ! » Pour certains d’entre eux cependant, l’impression était plus mitigée. « Les gens sont plus longs à se décider. Ils ne se précipitent pas », indiquait Martin Doustar (Bruxelles), qui présentait, à côté d’une soixantaine de masques, une figure d’ancêtre Yuat, Papouasie - Nouvelle-Guinée, mi-XIXe, affichée à 750 000 euros. Si Anthony Meyer confirmait que la soirée de lancement avait été très fréquentée, il signalait un « marché un peu mou ». Le spécialiste de l’art océanien exposait, une fois n’est pas coutume, une collection de 62 pierres paléolithiques et néolithiques (75 000 euros) ainsi qu’une monnaie de mariage de l’île Santa Cruze faite de milliers de plumes rouges (100 000 euros). Pour Julien Flak (Paris), qui montrait comme à son habitude des poupées Kachina (2 000 à 40 000 euros), dont une poupée Zuni provenant de la collection Terasaki, vendue, de même qu’une tête archaïque en ivoire (Eskimo), « le vernissage de cette édition est le meilleur qu’[il ait] jamais eu ». « J’ai même vendu à des musées en amont », précisait-il. En effet, une tendance tend à se confirmer : dès l’envoi du catalogue, les pièces qui y figurent, majeures, partent rapidement, les collectionneurs avisés ne voulant pas laisser passer leur chance. Ainsi, les plus grosses fortunes n’hésitent pas à acheter avant même l’ouverture du salon : « Deux Américains sont arrivés en jet privé le vendredi avant l’ouverture et ont acheté des pièces à plus d’un million », confiait un spécialiste du marché. D’ailleurs, à côté des visiteurs européens, les Américains sont venus en nombre, sans doute grâce à un taux de change à leur avantage.
Autre tendance générale, les acheteurs, tant en art tribal qu’en art d’Asie, sont plus nombreux lorsqu’il s’agit de débourser des sommes allant de 10 000 à 20 000 euros, voire 30 000 euros. Au-delà, le cap est difficile à franchir. Et, depuis quelques années, « les grands collectionneurs se sont raréfiés et la nouvelle génération est moins passionnée, elle a de plus gros moyens mais n’a pas le temps de se spécialiser », expliquait Martin Doustar.
Plusieurs marchands d’art tribal se plaignaient d’un Parcours trop grand. « Les amateurs sont submergés par l’offre. Il y a une telle concurrence visuelle ! », notait Anthony Meyer. Le Parcours ne pourra de toute façon s’étendre davantage, car les espaces pouvant être loués ne sont pas extensibles. Et, comme le notait Alain Lecomte (Paris), « les objets vont être de plus en plus difficiles à trouver, car il y a de plus en plus de marchands ».
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Le Parcours des mondes prend de l’embonpoint
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Abonnez-vous dès 1 €Maître de Warua, Statue d’ancêtre masculin, peuple Luba, république démocratique du Congo, XIXe siècle, bois recouvert d’une patine noire suintante, 42 cm. Courtesy Galerie Bernard Dulon, Paris. © Photo : Vincent Girier Dufournier.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : Le Parcours des mondes prend de l’embonpoint