La nouvelle directrice du Centre Pompidou-Metz voudrait réinventer le collectif autour d’une création multiforme.
Cette grande voyageuse a posé son sac en Lorraine, pour reprendre le flambeau de Laurent Le Bon au Centre Pompidou qu’il a ouvert à Metz, il y a quatre ans. Emma Lavigne est une figure singulière dans la génération des quadragénaires, qui s’est frayée un chemin à force d’énergie et d’esprit collectif – une vertu rare dans les musées nationaux. « C’est une personne extraordinairement positive, toujours à l’écoute ; il n’y a rien chez elle de la dureté de ce petit milieu », estime Christian Marclay, dont elle avait fait connaître les vidéos au public parisien en 2007. « Elle fera des choses formidables avec l’équipe en place, enchérit Laurent Le Bon, elle se donne toujours à fond, mais jamais sa force n’est destructrice », ce qui lui a permis de gagner le respect des conservateurs, qui regardent généralement de haut ceux qui n’ont pas passé leur sacro-saint concours. Ce manque d’égotisme a pu retarder la reconnaissance qu’elle acquiert désormais. Toujours disponible, son seul défaut est peut-être de ne pas savoir dire non. « Longtemps, confie un ami en caricaturant à peine, sa vie a consisté à terminer un accrochage le vendredi, pour prendre les enfants à l’école et les amener chez le médecin, avant de partir le lendemain pour Rio. »
Elle a pris ses fonctions le 1er décembre. Une semaine plus tôt, elle devait être à Los Angeles, au Lacma, le musée d’art contemporain, pour l’ouverture de son exposition consacrée à Pierre Huyghe, dont l’alternance de poésie et de violence a conquis la critique à Beaubourg l’année dernière. Il faut imaginer la difficulté de faire accepter un grand chien ou un nid d’abeilles dans un parcours d’exposition pour avoir une idée de sa détermination et sa capacité de conviction.
À Metz, elle dit son envie « de développer une lecture inventive de la collection de Beaubourg, de raconter des histoires, d’envisager par exemple une histoire de la performance en remontant aux tableaux vivants » (1). Elle a tenu à s’installer sur place, où elle se sent « au cœur de l’Europe, bien davantage qu’à Paris ». Elle voudrait ainsi « développer un axe avec les pays frontaliers », tout en sachant les difficultés de programmation qui l’attendent si le conseil régional persiste dans son intention d’amputer d’un million d’euros la subvention à laquelle il s’était engagé, lui faisant perdre 8 % de son budget.
Emma Lavigne avait été appelée à Beaubourg pour travailler sur la création contemporaine par Alfred Pacquement, qui dirigeait le Musée national d’art moderne, ce qui ne l’a pas empêchée de très bien s’entendre avec son successeur, Bernard Blistène. Même s’ils sont restés discrets, lui et Alain Seban, le président du Centre Pompidou, n’étaient pas très chauds pour la laisser partir. Mais ce dernier s’est fait une raison. « Elle a très bien réussi ici, en mettant tout son sérieux et son dynamisme dans les projets. Elle sait gagner la confiance de tous, des artistes, des équipes, de ses patrons – je peux en attester… Elle est la personne idoine à Metz, capable de donner une très grande visibilité au Centre. Elle est déjà en train de gagner la confiance des collectivités ; encore faut-il que celles-ci comprennent que ce ne peut être sans moyen. C’est un édifice fragile, qui traverse une période de transition et on ne pourra pas faire plus avec moins d’argent… »
Elle connaît la musique
En compagnie du plasticien et musicien Céleste Boursier-Mougenot, Emma Lavigne vient également de se voir attribuer le commissariat du pavillon français à la 56e Biennale d’art contemporain qui ouvrira en mai à Venise. C’est la première fois que la représentation de la France est choisie par un jury, après un appel à candidatures largement ouvert à l’avance. La concurrence était rude, puisque le duo était opposé dans la dernière ligne droite à une artiste à la notoriété plus affichée, Tatiana Trouvé, qui bénéficiait du soutien de François Pinault. Mais le jury a été attiré par l’expérimentation proposée par la conservatrice et un plasticien capable d’épiphanies, telle cette pièce dans laquelle des petits oiseaux venus d’Australie, répondant au nom évocateur de diamants mandarins, font vibrer une guitare électrique. À Venise, il est question de faire mouvoir un arbre, de métabolisme interne et de mouvement externe, de composés volatils, de débordements dans les allées des Giardini, de tension tissée de vibrations sonores.
La musique et le son réunissent les deux partenaires. Avant Beaubourg, Emma Lavigne s’était fait remarquer à la Cité de la musique, où elle a donné du punch à une série d’expositions (elle en a quasiment monté deux par an). La plus courue a été celle sur John Lennon en 2005, dont elle déroulait la vie et le chant comme un road movie. Quatre ans plus tard, au Musée des beaux-arts de Montréal, elle célébrait avec Yoko Ono les quarante ans du « bed-in », cette manifestation du couple qu’elle formait avec Lennon pour la paix au Vietnam, dans le lit d’un grand hôtel de la ville. Pour Emma Lavigne, comme pour Nathalie Bondil, qui dirige le musée, il aurait été impensable de ne pas faire appel à l’artiste pour faire partager sa vision. On a vu tout le contraire, à la rétrospective brouillonne sur David Bowie à Londres, où le Victoria & Albert Museum se faisait une fierté de n’avoir pas sollicité le chanteur pour évoquer sa carrière : il se retrouvait donc traité comme une image et non comme un créateur.
Alain Seban avait été très impressionné par « Warhol Live », qu’il est allé voir à Montréal en 2008, une exposition sur l’artiste et la musique qu’elle avait montée avec le conservateur d’art contemporain Stéphane Aquin et un orfèvre de la sonorisation, Thierry Planelle. À la Cité de la musique, elle sut aussi se lancer dans des manifestations expérimentales, en jouant de son empathie avec les artistes. Dix ans après leur expédition dans l’espace (« Espace Odyssée. Les musiques spatiales depuis 1950 » en 2004 à la Cité de la musique), Dominique Gonzalez-Foerster, dont elle prépare une rétrospective à Paris, en parle comme d’une personne « musicale, lumineuse et intense, qui travaille en profondeur… et en couleurs ». La jeune conservatrice y a aussi abordé les relations du corps avec la musique, des ballets mécaniques d’Oskar Schlemmer aux concerts robotiques de Kraftwerk, en passant par les échappées vocales de Cathy Berberian. Une expérience utile quand, avec Christine Macel, elles ont organisé l’exposition la plus riche à Beaubourg depuis longtemps, sur l’art et le ballet moderniste, « Danser sa vie ».
Découvrir intensément
Née d’un couple enseignant – lui, l’architecture, elle, la philosophie tout en pratiquant la psychothérapie –, Emma a vécu son enfance dans le Val-d’Oise dans une maison très contemporaine, au mobilier minimal. Il se trouve que son père, ingénieur, avait contrôlé les travaux de construction du Centre Pompidou… Des parents capables d’emmener leur petite fille à l’abbaye de Royaumont ou assister, à cinq ans, à un concert de Stockhausen, compositeur qu’elle cite volontiers dans ses textes. Elle en a conservé un souvenir vivace de la « présence sonore et visuelle du gong » ; elle a travaillé le piano et la danse ; cette insatiable curieuse était « fascinée par les enfants aveugles » se demandant toujours « comment il voyait le monde. » Emma Lavigne n’est pas devenue architecte, mais en a étudié l’histoire avant de l’enseigner, cette science l’ayant « aidée à comprendre la structure de la musique ». Les langues la passionnent également, avec un intérêt appuyé pour les alphabets aux caractères différents (encore un goût pour les fondations). « J’allais constamment d’un champ à l’autre, j’avais toujours peur de m’ennuyer. Cette pluridisciplinarité est dans les gênes du Centre Pompidou, c’est ce qui m’a attiré. J’ai adoré “Vienne, naissance d’un siècle”, cette exposition où l’on pouvait s’asseoir dans un café viennois après avoir écouté du Schoenberg. »
Dans ses manifestations, qui prennent en compte la musique, la danse ou la performance tout comme le tableau ou la sculpture, elle est constamment en quête d’un surcroît d’intensité, qu’elle voudrait comparable « à celle ressentie quand on assiste à un spectacle vivant ». Cœur, organisme, corps, live… les mots qui se réfèrent au vivant reviennent constamment dans son propos. « Cela fait longtemps que l’art ne réenchante plus le monde, mais il nous est possible de réinvestir le collectif, en prise avec la société d’aujourd’hui. Danser sa vie, ce n’était pas simplement une citation d’Isadora Duncan, mais une injonction philosophique : il faut y aller ».
1968 Naissance à Versailles
2000 Conservatrice à la Cité de la musique
2008 Conservatrice de l’art contemporain au Centre Pompidou. « Warhol Live » à Montréal
2009 « Imagine Peace » à Montréal, avec Yoko Ono
2014 Directrice du Centre Pompidou-Metz
2015 Commissaire du pavillon français à la Biennale de Venise
(1) Mode qui s’est développée à la fin du XIXe siècle, commentée entre autres par Goethe, consistant à recréer des compositions de peintres avec des personnages costumés.
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Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou-Metz
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou-Metz