Prévu pour 2015, le projet d’un « musée de l’histoire de France en Algérie » a été stoppé net par le nouveau maire de Montpellier. Le conseil scientifique s’est indigné de cette décision. Ce collège d’experts a travaillé à l’historiographie de la période et à la constitution d’une collection, auxquelles 6 millions d’euros ont déjà été consacrés.
MONTPELLIER - « Gâchis intellectuel », « gâchis financier », « gâchis politique » : dans une lettre ouverte, les membres du conseil scientifique du « Musée de l’Histoire de France en Algérie » expriment leur amertume et leur incompréhension à la suite de la volonté du président de Montpellier Agglomération de stopper net l’ouverture de l’institution, prévue pour 2015.
L’idée d’un « musée de l’histoire de la France en Algérie » est ancienne. En 2002, George Frêche, alors président de la communauté d’agglomération de Montpellier, souhaite mettre en avant la mémoire des rapatriés d’Algérie et produire un discours positif sur la période française du pays, entre 1830 et 1962. Au départ, le musée est censé s’intituler « Musée de l’œuvre française en Algérie » : tout est dit.
L’institution doit s’installer dans l’hôtel Montcalm, joli édifice du XIXe siècle transféré par la Ville à l’agglomération en 2006. Le chantier est lancé en 2010, les 20 millions d’euros nécessaires à la réhabilitation des lieux financés presque exclusivement par la communauté d’agglomération. La maire (PS) de Montpellier, Hélène Mandroux, s’était en effet désengagée du projet, trop polémique : verts et communistes s’opposent en conseil municipal à l’édification d’un « temple du colonialisme ».
6 millions d’euros « non transférables »
La mort de Georges Frêche en 2010 ne sonne pas le glas du projet. Son successeur à l’agglomération, Jean-Pierre Moure, réoriente le programme scientifique dans une perspective plus historique que mémorielle. Une directrice, Florence Hudowicz, est nommée en 2010. Le conseil scientifique dont elle s’entoure accueille dès lors d’éminents historiens, tels Marc Ferro, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (lequel s’était opposé à la « Maison de l’Histoire de France ») et Benjamin Stora, grand spécialiste de la décolonisation et de l’histoire de l’immigration. De l’autre côté de la Méditerranée, des chercheurs algériens se mobilisent également. Tous travaillent de manière bénévole à élaborer un programme contenant « les qualités de rigueur scientifique, d’innovation et d’ouverture requises pour une présentation publique et dynamique de l’histoire contemporaine, apte à dépasser les débats mémoriels qui travaillent notre société ».
Sur les 1 500 mètres carrés dévolus aux expositions doivent se succéder archives, photographies et objets d’art. Une partie du fonds est issu des anciennes collections du Musée des arts africains et océaniens (Paris), fermé en 2003 et dont la majeure partie des collections a été transférée au Musée du quai Branly. Y figurent des toiles orientalistes de Vernet, Chassériau, Fromentin, Barrias… Depuis 2010, 3 millions d’euros ont été mobilisés pour constituer la collection, qui devait présenter 529 objets dans le parcours permanent, plus de 1 500 documents et 3 000 ouvrages dans la bibliothèque de recherche. En tout, 6 millions d’euros « non transférables » sur un autre projet ont été investis dans le musée, selon les membres du conseil scientifique. Les équipes travaillent actuellement à une exposition sur l’Algérie durant la Grande Guerre, labellisée par la Mission du Centenaire, et en partenariat avec le Musée du Louvre sur l’archéologie française en Algérie.
Mais le nouveau maire (Divers gauche) de Montpellier, Philippe Saurel, également président de l’agglomération, a décidé de mettre un terme à cette entreprise : « Le projet est encore réversible », justifie-t-il. Dans ses promesses de campagne figure la création d’un espace d’art contemporain, que le maire verrait bien prendre place dans l’hôtel Montcalm. En ligne de mire, des prêts et dépôts du Fonds régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou ou de la collection Soulages abritée au Musée Fabre – alors que le peintre exige que celle-ci soit conservée au musée. Si Montpellier manque d’un lieu de vastes dimensions pour l’art contemporain, les salles de l’hôtel sont trop exiguës pour montrer des pièces d’envergure. Et, souligne le conseil scientifique, les « investissements immobiliers et mobiliers, ne pourraient, en cas de changement de destination du musée, être “réversibles” sans d’importantes pertes et des dédommagements aux entrepreneurs, se chiffrant par millions d’euros ».
En juin, le conseil municipal devra voter pour ou contre la fin du musée. Pour le conseil scientifique, « cet ambitieux projet peut participer utilement à l’échelle nationale à un processus de réconciliation franco-algérien qui est aujourd’hui bien engagé ». Mais il y a peu de chances que les politiques locaux entendent cet argument.
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À Montpellier, on enterre un musée
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Abonnez-vous dès 1 €Permis de construire du Musée de l'Histoire de France en Algérie affichée sur les grilles de l'Hôtel Montcalm à Montpellier - © Photo JCC - Mai 2014
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : À Montpellier, on enterre un musée