Entre irrationnel et systèmes autonomes, Céleste Boursier-Mougenot, invité aux Abattoirs, rend visible et sensible l’imperceptible.
TOULOUSE - De manière aussi soudaine qu’inattendue, le téléphone sonne parfois, dans l’espace d’exposition ; un ancien modèle à cadran, en Bakélite, sorti en 1943 et dont la date donne à l’œuvre son titre, U43 (2012). Posé sur un haut et fin support en cire du même noir que sa coque et de la même dimension que sa base, l’objet semble surgir du sol à la manière d’une stèle commémorant on ne sait pas qui ou quoi. Personne parmi le public n’ose répondre. De toute façon, nul ne serait au bout du fil, hormis peut-être quelque présence fantomatique. Car relié à une messagerie elle-même connectée au service d’alertes Google News, l’appareil se manifeste chaque fois qu’une requête contenant les mots « fantôme » ou « spectre » est envoyée, et ce en plusieurs langues.
Voici donc que le hasard et aussi une dose d’irrationnel prennent possession de cette exposition mouvante en tous points signée Céleste Boursier-Mougenot, chorégraphiée presque, tant elle impose une mise en tension permanente des œuvres comme du spectateur. Morceau de choix de cet accrochage occupant le sous-sol des Abattoirs, à Toulouse, une production réalisée pour l’occasion voit trois pianos à queue se déplacer, seuls, dans le vaste espace que le regard peut embrasser depuis le rez-de-chaussée du musée en une plongée vertigineuse. Reliés à une caméra, les pianos donnent l’illusion d’évoluer sur un sol accidenté, au relief différent pour chacun, tandis qu’une girouette placée à l’extérieur va, en fonction de la force du vent, insuffler plus ou moins d’énergie, de vitesse, à leurs déplacements (Off Road, 2014). Si leurs trajectoires ne sont pas programmées, leurs possibilités d’interaction le sont, qui les autorise parfois à se frôler voire à se percuter, à s’accrocher pendant quelques instants avant de poursuivre chacun leur route. Ce faisant, ils semblent se comporter tels des animaux qui s’attirent ou se repoussent.
Systèmes ingénieux
Intitulée « Perturbations », l’exposition interroge avec finesse la capacité de rendre perceptibles, ou tout du moins curieusement palpables, des choses ou phénomènes qui ne le sont pas. À l’instar de cette autre production qui voit, soudainement là encore et en l’absence de contingence temporelle, une batterie rutilante installée sur une plateforme dans les escaliers, et douchée quelques instants par une averse sortie d’une valve à incendie fixée au plafond (Averses, 2014). Comme toujours, l’ensemble réagit à un système ingénieux et complexe, ici un télescope à gluons « artisanal », élaboré avec l’aide du Centre de physique des particules de Marseille, capable de capter certains rayons cosmiques traversant la matière et dont la présence, d’ordinaire, nous échappe. C’est lorsque la machine intercepte l’un d’eux que la pluie tombe soudain ; sa manifestation s’apparente ainsi à une sorte de bifurcation de la nature permettant de rendre visible et sensible l’imperceptible. Avec, en outre, récurrente chez l’artiste, la question de l’interaction entre l’environnement et le son, la manière dont ce dernier intervient dans la définition et la perception d’un espace.
L’irrationnel toujours avec Zombiedrones (2008), un simple téléviseur dont le signal a été distordu afin de rendre l’écran noir et à peine visible le contenu du programme sélectionné. Sur ce flux d’images se greffe un bruit entêtant provenant du signal vidéo perturbé. Relative à la question essentielle du contrôle et sa perte (un zombiedrone est un ordinateur dont quelqu’un a pris le contrôle à l’extérieur), cette œuvre interroge la manière non seulement de regarder la télé mais de regarder tout court, lorsque changer de canal s’apparente à bouleverser nos modes de réception.
Dans une exposition habitée par les fantômes et l’invisible, Céleste Boursier-Mougenot donne à lire autrement un monde déréglé dont il permet l’ouverture d’arcanes insoupçonnés révélant simultanément le proche et le lointain ; c’est ce télescopage qui est le plus troublant.
Commissaire : Olivier Michelon, directeur des Abattoirs
Nombre d’œuvres : 6
Jusqu’au 4 mai, Les Abattoirs, 76, allées Charles-de-Fitte, 31300 Toulouse, tél. 05 62 48 58 00 lundi-mardi 10h-18h, samedi-dimanche 11h-19h. Catalogue à paraître.
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Boursier-Mougenot : S.O.S. Fantômes
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Abonnez-vous dès 1 €Céleste Boursier-Mougenot, Zombiedrones, 2012, vue de l'installation au UMCA, Amherst. © Photo : Stephen Petegorsky
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Consulter la fiche biographique de Céleste Boursier-Mougenot
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Boursier-Mougenot : S.O.S. Fantômes