Politique et quête esthétique font parfois bon ménage, comme l’illustre la – trop modeste – exposition du Metropolitan consacrée à Nelson A. Rockefeller.
NEW YORK - Les touristes qui arpentent les salles baignées de lumière du Metropolitan Museum of Art et peuplées de masques africains et océaniens à faire rougir de jalousie le Musée du quai Branly ignorent la plupart du temps qu’un homme se cache derrière cette collection d’exception : Nelson A. Rockefeller. Né en 1908 dans une célèbre famille de milliardaires américains qui tirèrent leur immense fortune en partie du pétrole, l’homme exerça jusqu’à sa mort, en 1979, de brillantes responsabilités politiques et administratives. Il fut ainsi élu gouverneur républicain de l’État de New York de 1959 à 1973, puis vice-président des États-Unis de 1974 à 1977. Cela n’empêcha pas cet infatigable arpenteur de la planète de se consacrer parallèlement à l’autre passion de sa vie : l’amour des cultures dites « primitives ». Sans doute les différentes missions qu’il effectua dès les années 1940 pour promouvoir la culture nord-américaine en Amérique latine contribuèrent-elles à forger sa sensibilité. Nelson A. Rockefeller fut ainsi l’un des premiers, dans son pays, à percevoir la charge émotionnelle et sacrée qui se dégageait des arts précolombiens. Une autre figure devait considérablement influencer sa quête inlassable et intuitive de la beauté sous toutes ses formes et sans hiérarchie aucune : sa propre mère, Abby Aldrich Rockefeller, qui fut, en 1929, à l’origine de la création du Museum of Modern Art de New York, ou MoMA. L’institution devait activement soutenir l’art moderne et jouer un rôle essentiel dans la découverte et la promotion de la photographie…
C’est dans ce climat d’émulation artistique et familiale, sur fond de missions diplomatiques, que l’homme d’État américain allait constituer l’une des plus belles collections d’art occidental et tribal au monde. N’y trouvait-on pas, pêle-mêle, des tableaux de peintres mexicains contemporains et des sculptures Dogon, aux côtés de masques eskimos ou océaniens ?
L’œil des érudits
Cumulant les responsabilités au sein d’institutions muséales (il fut le trésorier puis le président du MoMA), favorisant la création artistique avec plus ou moins de bonheur (on se souvient de la destruction des fresques de Diego Rivera pour le Rockefeller Center), Nelson Rockefeller jeta un véritable pavé dans la vie artistique de son pays en créant, en 1954, The Museum of Primitive Art, dévolu aux cultures indigènes des Amériques, de l’Afrique et de l’Océanie. Constituée, en grande partie, par les collections de son fondateur et mécène tout à la fois, cette institution d’avant-garde devait ainsi ouvrir ses portes au public new-yorkais en 1957, dans la 54e Rue…
Mais un visionnaire, aussi brillant soit-il, n’est jamais tout à fait seul. L’exposition du Metropolitan – dont on ne peut que regretter la modestie des espaces – rend ainsi hommage à ces deux autres figures d’exception qui accompagnèrent Nelson A. Rockefeller dans sa longue marche vers la réhabilitation des arts « tribaux » : René d’Harnoncourt et Robert Goldwater.
Brillant érudit d’origine viennoise, le premier fut l’un des plus ardents défenseurs de l’art et de l’artisanat des Indiens du Mexique, sur lesquels il accumula des documents et des dessins d’une grande valeur documentaire. On sait que son « œil » fut particulièrement décisif pour aider Nelson Rockefeller à constituer sa collection, entre 1949 et 1956…
Quant à Robert Goldwater (qui, pour l’état civil, n’était autre que l’époux de la plasticienne d’origine française Louise Bourgeois !), il fut incontestablement l’un des historiens de l’art les plus pertinents de sa génération. Nommé, dès sa création, directeur du Museum of Primitive Art de New York, il œuvra activement pour recueillir les fonds nécessaires au rassemblement de la quintessence des chefs-d’œuvre des arts tribaux...
Mais le coup d’éclat de Nelson A. Rockefeller fut sans conteste la création, en 1974, du département d’art primitif au sein même du Metropolitan Museum of Art. Soit plus d’un quart de siècle avant l’ouverture du pavillon des Sessions du Louvre ! L’aile somptueuse qui abrite ces collections a été baptisée du nom du fils du collectionneur, Michael, tragiquement disparu en 1961 lors de l’une de ses expéditions en Nouvelle-Guinée…
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Le Rockefeller collectionneur
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 octobre, The Metropolitan Museum of Art, Gallery 359, 1000 Fifth Avenue, New York, tél. 1 212 535 7710, tlj 10h-17h30, le vendredi et le samedi jusqu’à 21h, www.metmuseum.org
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Le Rockefeller collectionneur