Malines (Belgique) - Newtopia : sous ce titre-programme se trouvent réunis à Malines, à une trentaine de kilomètres de Bruxelles, en plusieurs sites de la ville, près de soixante-dix artistes autour d’une notion de poids : les droits de l’homme.
Katerina Gregos, la commissaire invitée, a su faire une exposition politique d’art sans s’enfermer dans l’art politique, et malgré un thème chargé, selon l’endroit où l’on se trouve dans le monde, tant par son histoire que comme urgence ou inquiétude. Loin cependant de chercher dans l’actualité crue, l’exposition parcourt le temps et la géographie, avec une division en chapitres thématiques qui parviennent à ne pas enfermer les œuvres. Datées des années 1940 comme produites pour l’exposition, les pièces n’énoncent souvent pas un commentaire direct sur le monde, mais tendent à la fois à élargir leur prise sur une réalité souvent dangereuse, à poétiser en préférant la force symbolique à la démonstration ou à la revendication. Du coup c’est bien l’histoire longue qui est appelée, traçant les contours des vastes aires dans lesquels la question des droits de l’homme – loin d’être une idée vide ou une coquetterie de « salonard », comme elle est parfois brocardée par ceux qui en devraient être les dépositaires – fut, est et sera un enjeu vital pour le grand nombre. Ainsi rappelons que Malines abrita un camp de transit d’où partirent plus de 25 000 juifs belges et plusieurs centaines de Tziganes pour les camps de la mort nazis. La ville s’en souvient et inaugure en novembre prochain un Musée de l’Holocauste dans la caserne Dossin, le site de l’ancien camp, qui doit d’ailleurs prolonger l’exposition avec une œuvre d’Esther Shalev-Gerz.
Histoire contemporaine
Aussi le parcours en quatre lieux principaux (et plusieurs sites spécifiques) propose dans un premier temps des œuvres ancrées dans les années 1960 à 1980, référant à des moments politiques qui marquent l’histoire contemporaine, du Chili à l’Afrique du Sud, des luttes anti-apartheid à la guerre du Viet Nam, en passant par les dictatures grecque ou argentine et la violence politique qui traverse l’Afrique démocratique.
Au-delà du genre
Comme dans l’ensemble de l’exposition, les œuvres cependant portent bien au-delà de leur contexte ; l’accrochage permettant la cohabitation de langages formels variés montrant, s’il le fallait, que tous les vocabulaires peuvent se voir traversés par une conscience aiguë du monde. Faire politiquement de l’art ne constitue pas un genre, un style, comme le prouve la cohabitation de grandes peintures de Léon Golub (White Squad XI, 1987, collection du Musée national d’art moderne), de l’emblématique globe électrique menaçant de Mona Hatoum (Hot spots, 2006), de l’installation de Cengiz Çekil (Towards chilwood, Since Childwood, 1974, douze bouteilles de coca bricolées en cocktail Molotov aux allures de jeu d’enfant, images de la violence politique des années 1970 en Turquie), mais aussi des affiches d’activistes voisinant avec une série de Chaise électrique de Warhol (1971), rappelant s’il le fallait que la peine de mort concerne toujours plus de 60 % de la planète. Les portraits photographiques de David Goldblatt croisent les panneaux de Thomas Locher quand il commente à sa manière des passages ambigus de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, non loin d’une installation de l’Anglais Satch Hoyt qui lance un lancinant « Say it loud, I’m black and I’m proud » (« Dis-le bien fort, je suis noir et j’en suis fier ») emprunté à James Brown. À côté d’Alfredo Jaar – qui fera aussi l’objet d’une rétrospective comme un volet supplémentaire à Bruxelles à partir de la mi-octobre –, de Hans Haacke, tous deux identifiés par leur pratique frontalement engagée, on trouvera encore une précieuse salle avec des éditions de Frans Masereel et des planches de Franz Holß, activiste antinazi, des années 1937-1938, choisies dans une archive de l’histoire sociale de flamande (l’Amsab-Institut d’histoire sociale), qui se conclut par un film surréalisant et cauchemardesque du tchèque Jan Svankmajer.
Ainsi est affirmé pour le reste du parcours que la question des droits de l’homme a de multiples facettes, qu’elle touche aussi aux droits sociaux (second chapitre), qu’elle est mise en cause par la globalisation (troisième chapitre), qu’elle demeure une conquête à faire pour l’avenir enfin. Mais c’est bien au-delà de la thèse que les œuvres articulent leur propos, loin du document, renvoyant à une conscience qui, si elle ne se refuse ni l’humour – fut-il noir – ni l’ambiguïté, n’a rien de circonstancielle. C’est d’ailleurs une des questions souterraines qui trouve une réponse dans le choix délibérément ouvert (pour environ la moitié des 74 participants) à des artistes non occidentaux : entre universalisme et relativisme, peut-on s’accorder qu’il y aura des exclus des droits de l’homme ? Ou encore que la question ne concerne plus le monde « avancé », l’occident marchand ? Sans donner de leçons, en s’inscrivant directement dans le débat public, et même dans l’espace public avec entre autre la nouvelle projection de Krzysztof Wodiczko, accompagnée d’un livret du visiteur commode et un catalogue consistant, Newtopia répond à son ambition, sur le bord politique de l’art, avec une plus claire réussite que la récente Manifesta 9, à laquelle a aussi contribué Katerina Gregos.
Divers lieux, jusqu’au 10 décembre, Malines (Mechelen), Belgique, tél: 00 32 01 52 98 04 6 ouvert tous les jours 10h-17h, sauf mercredi, www.newtopia.be. Catalogue collectif sous la direction de Katerina Gregos, édition Ludion, 256 p., 28 €
- Commissaire : Katerina Gregos
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Le pouvoir de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Le pouvoir de l’art