PARIS
Ancien journaliste, Dominique Baudis a été correspondant de la télévision française au Liban, grand reporter au Proche-Orient et présentateur du journal télévisé de TF1. Député maire de la ville de Toulouse de 1983 à 2001, il a été président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de 2001 à janvier 2007. Il a été nommé président de l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, le 1er février 2007. Dominique Baudis revient sur la situation de l’IMA et commente l’actualité.
L’IMA souffre d’un déficit annuel de 2 à 5 millions d’euros, car certains pays de la Ligue arabe ne paient pas leur cotisation. Comment les y contraindre ?
Avant de parler des souffrances de l’IMA, je voudrais quand même dire un mot de son rayonnement. Si l’IMA souffre, c’est parce que l’IMA rayonne. L’intensité de ses activités correspond à des missions et objectifs qui se sont développés d’année en année. Je veux mettre en lumière ce point, qui permet aussi d’éclairer tout le reste de la problématique. L’IMA fête ses 20 ans. Nous avons là une institution culturelle unique, dédiée à la relation entre le monde arabe et la France et à laquelle sont associés l’ensemble des pays membres de la Ligue arabe. Cette structure réunit en moyenne un million de visiteurs par an. Nous sommes quasiment au plafond de nos capacités d’accueil en termes de locaux, d’équipe. Pour la grande exposition annuelle, il peut y avoir des queues d’une heure. L’IMA dégage plus de 50 % de recettes propres. Peu d’institutions s’autofinancent à ce stade.
Néanmoins, le déficit galopant vous permet-il de remplir ces missions ? N’y a-t-il pas au fond une faillite du modèle originel de l’IMA ?
Nous remplissons parfaitement notre mission, qui est double. En premier lieu, il s’agit d’offrir aux pays du monde arabe une plate-forme pour présenter en France leur culture, leur civilisation, et nouer un dialogue avec eux. C’était l’idée pertinente de la fin des années 1970. Les évolutions politiques dans les années 1980-1990 ont montré de vrais risques de fractures Orient-Occident. L’IMA travaille à empêcher cette fracture et à tisser des liens. Français et Arabes sont voisins, mitoyens. Il y a parfois des ressentiments, mais l’indifférence est impossible. Nous essayons de valoriser tous les points de contact, tout ce qui nous rapproche. Et pour les différences, il s’agit de les analyser, d’en débattre, pour se comprendre, se respecter. La seconde mission est tournée vers la société française, qui a beaucoup évolué depuis trente ans. Il y a maintenant un nombre extrêmement important de citoyens français dont les origines puisent dans le monde arabe. Il faut faire en sorte que les jeunes Français issus de l’immigration sachent qu’ils sont citoyens d’un pays qui reconnaît et valorise la culture, la civilisation dont ils sont les héritiers. On ne peut atteindre de tels objectifs sans moyens. L’IMA vit principalement grâce à ses visiteurs, qui nous soutiennent financièrement.
Certes, mais la part de financement extérieur n’a cessé de fondre…
Les pays arabes n’ont pas tous honoré leurs engagements. Le ministère des Affaires étrangères a considéré qu’il ne pouvait pas compenser le manque à gagner. Du coup, notre subvention n’a pas bougé depuis 1990. Il faut consolider et reconstituer les apports initiaux. J’ai obtenu de l’État français une subvention de 3 millions d’euros, une somme qui correspond à ce que nous avons perdu au cours de ces dix-sept dernières années. Je suis à la recherche d’une stratégie qui permette de ramener les pays arabes vers l’IMA, y compris sur le plan financier, avec pour idée : c’est votre maison, mais dans une maison, on paye les charges. Est-ce qu’il faut reconstituer le système des cotisations, ou trouver d’autres solutions ? Il est encore un peu tôt pour se prononcer. Cette stratégie s’inscrira aussi dans un contrat d’objectifs et de moyens sur plusieurs années avec l’État français. Je lui demande 3 millions d’euros supplémentaires, mais je ne veux pas faire vivre à l’Institut chaque année la même incertitude.
Comment expliquez-vous que, dès le début, des pays n’aient pas payé leur cotisation ?
Des barèmes avaient été établis sur un principe de mutualisation des coûts pour financer des actions qui concernent globalement le monde arabe. Mais le monde arabe, ce sont des pays, des États, c’est-à-dire qu’ils portent avant tout une grande attention à eux-mêmes. Les pays arabes veulent aussi promouvoir leur identité en tant que nation. Au lieu d’avoir une approche exclusivement globalisée, il faut développer des démarches à caractère bilatéral. C’est ce que je suis en train d’explorer, parce que la mutualisation des coûts est illusoire.
Comptez-vous élargir le mode de financement de l’IMA ?
Jusqu’à présent, l’IMA n’était financé que par l’État français – et un seul ministère, celui des Affaires étrangères –, et par les pays arabes via un fonds de soutien de l’ordre de 1,5 million d’euros par an. Il faut trouver de nouvelles possibilités de financement dans des domaines laissés en jachère, notamment l’Europe. Nous nous inscrivons complètement dans le champ des politiques européennes en direction de la Méditerranée, c’est-à-dire du dialogue Nord-Sud. Nous n’avons encore pas reçu de l’Europe les soutiens que justifie l’action menée par l’IMA. Il faudrait aussi obtenir une aide des grandes collectivités locales. L’IMA joue un rôle très important en direction des jeunes. Mais ceux qui bénéficient de nos expositions viennent de Paris et de la région parisienne. Il y a peu de chances qu’un jeune de Marseille, de Lille ou de Toulouse puisse en profiter. Il faut que l’IMA aille vers eux, qu’il fasse voyager ses expositions de très grande qualité, ou plus modestes et pédagogiques, dans vingt grandes villes. Je connais des maires et des présidents de Région qui sont très demandeurs, peut-être plus qu’ils ne l’auraient été il y a vingt ans. Ils comprennent qu’ils doivent faire un effort, vu la composition de la population dont ils ont la charge. Nous pouvons aussi intensifier nos actions en direction des pays arabes. Nous le faisons cette année avec l’Algérie, puisque Alger est la capitale culturelle du monde arabe en 2007. Nous présenterons trois expositions : « L’âge d’or des sciences arabes », « L’art contemporain dans le monde arabe » et « La photographie contemporaine ». Nous pouvons démultiplier ces démarches.
Comptez-vous développer le mécénat ?
Une piste serait d’associer la société civile et en particulier les grands acteurs économiques à nos actions. Beaucoup d’entreprises françaises travaillent dans le monde arabe ; elles y réalisent des chiffres d’affaires considérables, mais elles se trouvent aussi sur un marché qui est très concurrentiel. Ces entreprises ont un atout que n’ont pas forcément le concurrent chinois ou américain : la proximité culturelle, qui peut être renforcée en contribuant aux actions de l’IMA.
Pensez-vous bénéficier d’une subvention du ministère de la Culture ?
Nous verrons cela dans le cadre de la discussion avec l’État sur le contrat d’objectifs et de moyens. Les ministères comme ceux de la Culture, de la Cohésion sociale ou de l’Éducation nationale peuvent et doivent s’intéresser à ce qui se passe ici et apporter leur concours. Je souhaite que nous obtenions au minimum 3 millions supplémentaires de la part de l’État. Si ensuite il y a une ventilation entre différents ministères, cela ne me choque pas, parce que notre activité n’est pas à 100 % à caractère diplomatique. Quand 800 personnes viennent ici tous les ans apprendre l’arabe, notre mission s’apparente à celle de l’Éducation nationale.
Pourquoi l’IMA n’a-t-il pas joué de rôle dans les négociations pour le Louvre-Abou Dhabi ?
Abou Dhabi, le Qatar, les pays du Golfe s’ouvrent beaucoup à la France au niveau de la culture et de l’éducation. L’IMA a un rôle à jouer dans ce domaine. Je souhaite que l’on s’associe à ces processus de relations bilatérales. Et nous commençons, puisque nous sommes consultés au sujet de la Sorbonne à Abou Dhabi sur les questions d’enseignement des langues.
Comment vous situez-vous par rapport à d’autres institutions qui ont ou qui vont développer des forts pôles vis-à-vis de l’Orient, comme le Musée du quai Branly ou le Musée du Louvre ?
Nous devons, dans le cadre de ce contrat d’objectifs et de moyens, et, puisque nous avons vingt ans d’expérience, reconsidérer la mission et le mode de fonctionnement des deux piliers historiques de l’IMA que sont le musée et la bibliothèque. Nous sommes obligés de revoir leurs missions et leur fonctionnement parce que, depuis vingt ans, l’environnement a évolué. Compte tenu de la fréquentation du musée, composée pour les deux tiers de jeunes, le musée devrait être très pédagogique, très interactif. Nous pouvons nous concentrer sur moins d’objets, mais en offrir plus de renseignements. Nous ne pourrons pas, ici, présenter les plus belles pièces des arts islamiques ou arabes à Paris. Faisons ce que le Louvre et Branly ne peuvent pas faire. Même chose pour la bibliothèque, qui, depuis son ouverture, a vu apparaître la bibliothèque François-Mitterrand. La bibliothèque des langues orientales va également s’ouvrir à proximité de l’IMA. Nous allons travailler avec elle pour coordonner nos actions dans l’intérêt du public.
Quelle exposition vous a marqué dernièrement ?
J’ai trouvé extraordinaire le regard des photographes arméniens sur l’Orient, ici, à l’IMA. À l’époque, les musulmans hésitaient à pratiquer la photographie parce qu’elle implique la représentation de l’image de l’homme et de la nature. Ce sont les Arméniens chrétiens qui, en Orient, se sont lancés dans la photographie. Puis se sont créées des dynasties de photographes sur trois ou quatre générations au Caire, à Beyrouth, Alep, Damas… Cette région, je la connais, j’y ai vécu, et ces photos me parlent beaucoup. Sinon, j’ai aussi beaucoup aimé la beauté et la pureté de Praxitèle, au Louvre (1).
(1) jusqu’au 18 juin ; lire le JdA no 256, 30 mars 2007, p. 9.
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Dominique Baudis, président de l’Institut du monde arabe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Dominique Baudis, président de l’Institut du monde arabe